Quel bonheur et quelle joie d’assister à la représentation de la Chauve-Souris, car cette opérette viennoise composée par Johann Strauss (dont nous fêterons l’année prochaine le 200e anniversaire de sa naissance), souvent associée aux fêtes de fin d’année, est un enchantement du début à la fin, un festival de joie et de rire. Ce festival de bonheur et de gaîté est d’autant plus apprécié en ces temps turbulents dans lesquels nous vivons, où la musique de Strauss, composée avec une grande élégance et une grâce radieuse, constitue une authentique thérapie pour l’esprit.
Ce soir, c’est la musique qui est le spectacle. En effet, Romain Gilbert nous offre une mise en espace, tout à fait remarquable, pétillante et virevoltante à souhait. Cela nous épargne la déception d’une mise en scène ridicule, dénaturée, ce qui arrive de plus en plus souvent. Tous les chanteurs incarnent leur rôle à la perfection, merveilleusement dirigés par Romain Gilbert qui sait les placer et les faire se mouvoir comme d’authentiques stars de théâtre. Tous sont excellents dans les gags, mais juste ce qu’il faut pour ne pas sombrer dans le grotesque ou le ridicule. Le chant peut dès lors se déployer aussi librement qu’avantageusement et c’est un vrai régal pour les spectateurs.
Dans cette Chauve-Souris, tout est farce, mensonge, vengeance, jeux de pouvoirs, fête, prison et alcool. Il y a 3 actes, trois lieux différents, trois alcools : le vin doux au 1er acte chez les Eisenstein, le champagne chez le prince Orlovsky, et la slivovitz en prison, l’alcool porteur d’oubli.
Le plateau vocal est excellent et de haut niveau. De tout ce déploiement d’énergie, c’est la soprano allemande Alina Wunderlin dans le rôle de la soubrette Adèle qui est la meneuse la plus brillante. Elle se trémousse, se prend les pieds dans les câbles des guirlandes du sapin de Noël. Elle brille, irradie, chantant parfois un peu plus fort que les autres, ne reculant devant aucune vocalise périlleuse mais magistralement envoyée et maîtrisée. Son timbre est séduisant, ses aigus percutants et agiles. Bref, on dirait qu’elle est montée sur ressorts, aussi effrontée et adorablement insupportable que son personnage de soubrette un peu délurée.
À ses côtés, les autres artistes nous offrent de belles prestations, avec en tête un Huw Montague Rendall en rentier décontracté et séducteur, au timbre velouté et lumineux, et une tessiture homogène. On peut juste reprocher au baryton britannique l’absence d’accent viennois, ce qui est d’ailleurs le cas de l’ensemble des protagonistes.
Son comparse le Dr. Falke est impeccablement servi par le baryton croate Leon Košavić, qui donne à son personnage beaucoup de charisme et une belle allure.
Le baryton autrichien Michael Kraus, authentique viennois est un directeur de prison excellent, hilarant tout en faisant bon usage de sa voix profonde.
Le ténor Magnus Dietrich dans le rôle d’Alfred n’est pas en reste et nous ravit d’aigus percutants, alors qu’il faisait un peu pâle figure dans sa sérénade à Rosalinde au fond de la scène. Ajoutons que son talent vocal était la base parfaite pour le ridicule que cette opérette fait subir aux ténors.
Rosalinde est magistralement interprétée par la soprano roumaine Iulia Maria Dan, maîtresse femme, un rien fatal et autoritaire, mais tout en nuances et en raffinements. Une très belle et élégante Rosalinde, dont la voix se marie merveilleusement avec celle de ses partenaires.
Le rôle du Prince Orlofsky est parfois interprété soit par un falsettiste, soit par une mezzo (l’inoubliable Fassbaender). Ce soir, c’est la mezzo ukrainienne Ekaterina Chayka-Rubinstein, très drôle en Orlofsky, délogeant le chef de son pupitre pour diriger « une vraie marche russe », qui nous propose un prince blasé un peu trop sage.
Sandrine Buendia dans le rôle d’Ida et Kresimir Spicer dans celui du Dr. Blind (avocat) étaient remarquables dans leurs rôles respectifs.
Une mention spéciale pour Manfred Schwaiger dans son incarnation parlée, avec un bel accent viennois, de Frosch, gardien de la prison, remplissant toutes les attentes comiques.
La musique de Johann Strauss exige une direction d’une sensibilité fine, d’un phrasé souple et fluide, un maniement du rythme galopant que seuls les Viennois arrivent à rendre. Eh bien, Marc Minkowski à la tête de ses Musiciens du Louvre en grande forme, a réussi tout cela, avec subtilité, sensualité et surtout brio. Constamment tourné vers les solistes chanteurs, la complicité est totale et le tout se déguste comme un bon champagne. Avec Marc Minkowski la sympathie est garantie, lorsque le Dr. Falke a lancé la plaisanterie sur la fête du Prince « Minkowski » au lieu du Prince Orlofsky. Son approche avec les solistes, les chœurs et bien sûr les musiciens avait l’énergie, l’intensité et l’ambiance festive attendues, rendant cette partition avec raffinement et éclat.
L’objectif de cette soirée viennoise était atteint : réaliser une soirée amusante, souriante et lumineuse. Il ne fait aucun doute que la musique de Strauss, son interprétation si éclatante et un casting exceptionnel ont contribué à ce succès.
Des tonnerres d’applaudissements ont salué les solistes, les chœurs, les musiciens et leur si sympathique chef Marc Minkowski.
Marie-Thérèse Werling
13 décembre 2024
Direction musicale : Marc Minkowski
Mise en scène : Romain Gilbert
Distribution :
Gabriel von Eisenstein : Huw Montague Rendall
Rosalinde : Iulia Maria Dan
Frank : Michael Kraus
Prince Orlofsky : Ekaterina Chayka Rubinstein
Alfred : Magnus Dietrich
Dr Falke : Leon Kosavic
Dr Blind : Kresimir Spice
Adèle : Alina Wunderlin
Ida : Sandrine Buenida
Frosch : Manfred Schwaiger
Les musiciens du Louvre
Musikfest Bremen Chor