Un programme fabuleux au Festspielhaus de Baden-Baden avec en première partie, le Concerto n° 1 de Johannes Brahms interprété par le pianiste islandais Vikingur Olafsson, suivi de la symphonie n° 3, dite l’Eroïca de Ludwig van Beethoven, avec le London Philharmonic Orchestra, dirigé par Edward Gardner, devant une salle comble.
En 1855, Brahms écrit à Clara Schumann : « Si vous saviez ce que j’ai rêvé cette nuit. J’avais utilisé ma malheureuse symphonie pour en faire un concerto pour piano que je jouais ». Le premier concerto naît donc d’une idée symphonique. En 1856, année de la mort de Robert Schumann, le ton des lettres entre Clara Schumann et Brahms a changé et laisse peu de doute quant à la nature de leurs relations. Elle reçut cette lettre : « Je consacre ces journées à peindre un tendre portrait de toi qui doit tenir d’adagio ». Le « tendre portrait » est le fameux concerto dont la création a lieu le 22 janvier 1859 à Hanovre, sous la direction du violoniste et chef d’orchestre Joseph Joachim. Brahms en était le soliste. Ce fut un véritable fiasco, le plus retentissant de toute la carrière de Brahms. Voici pour l’histoire.
Dès le début, Olafsson et le London Philharmonic Orchestra forment le partenariat étroit recherché par Brahms. Le soliste semble très concentré et attentif à ses émotions. Le premier mouvement Maestoso est construit à partir d’une caractéristique de la musique baroque. Le sentiment de liberté que l’on perçoit dès les premières mesures contraste avec la forme classique de la sonate. Le piano n’intervient qu’à près une longue introduction orchestrale. Son écriture est même dénuée de virtuosité spectaculaire. Ce premier mouvement révèle l’excellente technique et le toucher sensible d’Olafsson. Son jeu se caractérise par une clarté et une profondeur qui donnent à chaque motif une note dramatique discrète. Le pianiste a judicieusement équilibré les voix principales et secondaires du mouvement, sans jamais dominer l’orchestre. Edward Gardner et l’excellent London Philharmonic Orchestra ont accompagné le soliste de manière exemplaire.
Dans le second mouvement, « l’Adagio », le piano et l’Orchestre fusionnent en une seule voix, suggérant une dimension spirituelle. Si Brahms avait certainement une prière en tête avec ces mouvements divins, alors cette dévotion musicale a été réalisée. Le jeu d’Olafsson, dans ce mouvement, est plein de calme et sérénité. Son expressivité allait de la tendresse chuchotée aux timbres lourds qui rendent palpables le conflit intérieur ressenti par Brahms, sur l’avenir improbable et douloureux de son amour pour Clara. Le temps semble s’être arrêté et nous a éloignés pour un court instant du monde réel. Que c’était beau !!!
Dans le Rondo final, Olafsson impressionne non seulement par sa technique si bien maîtrisée, mais aussi par sa sensibilité dans le dialogue avec l’Orchestre. Le chef Edward Gardner a été très convaincant dans l’univers sonore de Brahms. Sous sa direction, le Royal Philharmonic Orchestra a rempli la salle comble du Festspielhaus de Baden-Baden d’une sonorité riche et chaleureuse sans jamais tomber dans le pathos. Il a su diriger l’orchestre avec précision tout en laissant au soliste un espace pour son interprétation personnelle. Olafsson a récompensé les longs applaudissements avec deux rappels, le premier un extrait de la 4e sonate pour orgue de Bach, arrangé par August Stradal et le second de Jean Philippe Rameau « le rappel des oiseaux ».
Après la pause, le London Philharmonic Orchestra a interprété la troisième symphonie, révolutionnaire, nommée l’Eroïca de Ludwig van Beethoven. Cette symphonie composée entre 1803 et 1804 fut d’abord dédiée à Bonaparte, mais le compositeur renonce à cette dédicace lorsqu’il apprend que Bonaparte se fait couronner Empereur. La symphonie est finalement dédiée à la mémoire « d’un grand homme », bien qu’elle ait été par la suite dédiée au grand mécène du compositeur, le Prince de Lokowitz. C’était la symphonie préférée de Beethoven, et elle est considérée par certains comme annonciatrice du romantisme musical.
Le premier mouvement, l’ Allegro con brio débute par deux accords brefs et théâtraux, avant la première exposition du thème principal « héroïque » aux violoncelles puis aux violons. L’orchestre développe une grande tension et un drame sous la direction très convaincante d’Edward Gardner. Les thèmes se développent avec une force impétueuse, comme si Gardner voulait réveiller l’esprit pionnier que Beethoven a voulu démontrer dans cette symphonie.
Le deuxième mouvement Marcia funebre déroule comme une lente marche funèbre dans laquelle le chef laisse chaque instrument s’épanouir dans sa signification. Les cordes créent un tapis sonore pâle et sombre, tandis que les instruments à vent donnent des accents clairs, presque abstraits. Le caractère mélancolique du mouvement a trouvé une interprétation touchante et respectueuse dans le jeu de l’orchestre, qui illustre avec une grande sensibilité l’esprit de cette « symphonie héroïque ».
Dans le Scherzo, Gardner et les musiciens de l’orchestre ont rendu ce mouvement vivant et riche en nuances grâce à une interprétation vivifiante. Les cors notamment brillent d’un éclat lumineux, rendant ce mouvement encore plus fort.
Le Finale révèle une fois de plus la taille majestueuse et grandiose de l’œuvre surtout dans le début du mouvement, par un vacarme des cordes. Gardner et le London Philharmonic Orchestra ont sublimé le thème héroïque dans les cors radieux avec puissance et confiance, puis avec les trompettes naturelles rayonnantes et les bois époustouflants. Les cordes et surtout les contrebasses remarquablement frappantes, ont provoqué des frissons de plaisir. L’interprétation de ce soir avec Gardner et le London Philharmonic ont magnifié et sublimé la puissance révolutionnaire que Beethoven a enregistrée pour la postérité avec l’Héroïque.
Le public enthousiaste a manifesté sa joie par de longs et bruyants applaudissements. Ce succès incite Edward Gardner à offrir un bis, un trésor, « la Valse triste » de Jean Sibelius, dans une exécution belle et raffinée.
Marie-Thérèse Werling
10 novembre 2024