Dans les programmes de récital, le « Bel Canto » brille toujours d’un éclat extraordinaire, car personne n’a su subtiliser la voix comme l’ont fait les compositeurs d’opéras romantiques en Italie, tels que Rossini, Bellini, Donizetti, Verdi. Et en plus, avec la distribution exceptionnelle de ce soir avec Regula Mühlemann qui a triomphé à Baden-Baden dans L’Elixir d’amore, puis en Papagena dans la Flûte enchantée, la cheffe d’orchestre taïwanaise Y-Chen-Li, Kappelmeisterin au Deutsche Oper Berlin et le Kammerorchester de Bâle, difficile de faire mieux !!!
La soirée débute avec l’ouverture du Barbier de Séville de Rossini, dirigée avec légèreté par la cheffe taïwanaise Y-Chen-Li, à la tête du Kammerorchester de Bâle. Puis la soprano suisse Regula Mühlemann, divinement belle dans une robe vert bronze, nous séduit immédiatement par l’air du même opéra « Una voce poco fa » qu’elle a chanté avec un charme fou et une voix impeccable, claire, aux nuances corsées.
Après Rossini, elle nous impressionne dans l’air « Quel guardo il cavaliere », extrait de Don Pasquale de Donizetti. Joueuse, un brin coquine, elle revient sur scène, feuilletant un magazine qui montre des torses masculins (de quoi rendre jalouse la cheffe…). On est bluffé par sa légèreté et sa souplesse dans ce répertoire belcantiste par excellence. Elle aborde les vocalises avec une agilité folle, soutenant chaque note et tout cela avec un sourire complice avec la cheffe. Elle prend la parole pour évoquer en quelques mots l’intrigue d’un autre opéra de Rossini Le Turc en Italie.
Après l’interprétation élégante de la « Sinfonia » de Rossini par les Musiciens du Kammerorchester, la cheffe jette un sac de voyage aux pieds de Regula Mühlemann, qui sort une collection d’escarpins de toutes les couleurs, mais avec une pointe de contrariété dans la voix : eh oui, non seulement elle chante, mais elle joue aussi le rôle de Fiorilla dans cette œuvre de Rossini, avec beaucoup de conviction.
Après la pause, le Kammerorchester interprète le prélude de l’opéra de Bellini Beatrice di Tenda avec beaucoup de subtilité et sensibilité. Regula Müehlemann dans une élégante robe fourreau japonisante, nous offre de l’opéra de Bellini I Capuletti et Monteccchi l’air sublime et triste « Eccomi in lieta vesta, Oh, quante volte », qu’elle chante avec une immense émotion, sans jamais jouer la surbrillance, mais avec une fluidité raffinée.
Le court et célèbre « Pizzicato » du ballet Sylvia de Leo Delibes était joué avec ravissement et leur exécution de l’ouverture de l’opéra Macbeth de Verdi a mis en valeur le côté dramatique, sombre et tragique de cette œuvre.
Avant d’attaquer « C’en est donc fait…..Salut à la France » Regula Mühlemann a encore pris la parole pour évoquer le sujet de La Fille du Régiment opéra français de Donizetti. Pour cette œuvre légère, outre son physique plus qu’avenant et surtout correspondant au personnage de Marie, Regula Mühlemann l’interprète avec autant de charme que de vivacité. La plainte « où elle se sent comme un oiseau dans une cage dorée », accompagnée au violoncelle finit en joie avec l’appel de la caisse claire et des trompettes. Pour une chanteuse étrangère, son français est absolument parfait, et l’on apprécie ses qualités indéniables de musicienne avec un legato de son chant admirable. Un petit clin d’œil à la France avec en fond de scène, le drapeau tricolore pour ce « Salut à la France ».
Un moment de pur bonheur pour les Français présents dans la salle du Festspielhaus.
Mais le moment le plus attendu était certes l’air « Ardon gi-incesi….Spargi d’amaro pianto » de Lucia di Lammermoor de Donizetti. Cet « air de la folie » redoutable exige la plus grande précision de la part de la chanteuse. La façon dont Regula Mühlemann maîtrise sans effort, même les notes les plus aiguës de cet air, laisse les auditeurs stupéfaits. L’émotion est à son comble lorsque les sanglots de Lucia dans une tension dramatique extrême expirent aux côtés du solo magnifique de la flûte. Le public a retenu son souffle devant tant de virtuosité, de perfection et d’émotion.
Le public totalement conquis et enthousiaste n’a pas tari d’applaudissements et d’ovations debout. Regula Mühlemann, rayonnante l’a remercié avec un bis (certes pas du répertoire belcantiste mais tout aussi lyrique) avec l’air de Juliette « Je veux vivre…. » de Roméo et Juliette de Charles Gounod.
Une magnifique conclusion pour un concert de très haute qualité où Regula Mühlemann a su créer une complicité avec le public.
Marie-Thérèse Werling
14 mars 2025