Logo-Resonances-Lyriques
Menu
FESTIVAL SIBELIUS / ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE LA RADIO SUEDOISE / SIBELIUS HALL / Sibelius

FESTIVAL SIBELIUS / ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE LA RADIO SUEDOISE / SIBELIUS HALL / Sibelius

vendredi 8 septembre 2023
©Maarit Kytöharju
La deuxième journée du Festival Sibelius de Lahti permet d’entendre une reconstitution du concert dirigé le 24 mars 1924 par le compositeur lui-même, à Stockholm, d’où la présence, pour cet événement, de l’un des meilleurs orchestres nordiques (qui fut, ne l’oublions pas, celui de Celibidache, Blomstedt ou encore Salonen !) : l’Orchestre symphonique de la radio suédoise, dirigé par Daniel Harding. Ce concert de 1924 eut une importance certaine dans la carrière de Sibelius car ce fut la première exécution de la Symphonie n°7, op. 105, (alors encore intitulée Fantasia sinfonica), la seule symphonie de Sibelius à n’avoir pas été jouée en premier sur le sol finlandais.
 
Une Symphonie n°7 sereine et mystique : la quête du Graal finlandais
     Ce qui frappe de prime abord, c’est la légèreté du trait, le côté très chambriste de l’orchestre, un tempo assez modéré, qui laisse le temps à l’orchestre de déployer ses charmes. Parfois, on se croirait dans la Fantaisie sur un thème de Thomas Tallis de Vaughan Williams, qui admirait tant Sibelius (et c’était réciproque) : une douce sonorité, faite de recueillement et de transcendance raffinée. Daniel Harding, par son geste ample, choisit d’insister sur les continuités et les fluidités du langage sibélien, dans une approche pastorale et lumineuse, plutôt que sur les rugosités minérales révélées par certains chefs finlandais, tels Vänskä ou Berglund. Le chef anglais polit, sculpte des phrases sonores remplies de beauté, offrant un propos moins idiomatique peut-être, mais plus immédiatement aimable et accessible, notamment dans le traitement des flûtes et plus généralement des vents, primesautiers et doux.
     Les chefs britanniques ont une véritable affinité avec la musique de Sibelius, qu’ils ont toujours très bien servie (songeons à Sir Thomas Beecham ou à Sir Colin Davis, sans même parler de Sir John Barbirolli, ces deux derniers chefs ayant laissé de belles intégrales au disque, très hautement recommandées). Daniel Harding ne fait pas exception à la règle. Dans cette symphonie très particulière, en un seul mouvement, arrive malgré tout un spectaculaire climax, soigneusement préparé, grâce à une tension bien dosée et une attention accordée aux détails fourmillants qui annoncent Tapiola. Au sujet de cette œuvre, Serge Koussevitzky avait parlé de « Parsifal finlandais » : le point culminant de l’œuvre (trilles de trombones rugissants) semble annoncer l’apparition de quelque objet magique ; ce n’est peut-être pas le Graal auquel songeait Sibelius, mais bien plutôt au Sampo, qui, dans la mythologie finlandaise était un artefact magique, un moulin capable de créer de l’or, de l’argent et du grain à partir de rien, enfreignant de nombreuses lois de la physique.
     N’est-ce pas le miracle de cette Septième symphonie, qui, du silence, à la contemplation, sculpte des moments de grâce (solides bassons, hautbois impeccables et très engagés), jusqu’à la manifestation de l’objet magique, dans le registre suraigu des violons, avant l’apaisement des dernières mesures, laissant la place à la simple évocation de « l’azur, l’azur, l’azur », pour reprendre les mots de Mallarmé, du lac de Lahti qui miroite sous les derniers rayons du soleil de septembre ?
 
Le Concerto pour violon épique et fougueux de l’incandescente María Dueñas
 
     Le Concerto pour violon op. 47 est un des plus grands concertos du répertoire, l’un des plus virtuoses, assurément, et les grands violonistes s’y sont forcément illustrés, de Heifetz à Hilary Hahn.
Daniel Harding et son orchestre partent d’un pianissimo incroyable des cordes, d’où s’élève, frêle et discret, le vibrato du violon de María Dueñas, jeune violoniste espagnole prodige. Très vite, c’est la hargne qui prend le dessus, dans une alliance parfaite de poésie et de spectaculaire, dans ce mouvement encore imprégné de l’esprit kalévalien, si décisif dans l’œuvre du premier Sibelius. Douée d’une intelligence déjà exceptionnelle, d’une ductilité et d’une technique époustouflantes, avec des prises de risques, María Dueñas entame un dialogue fougueux avec l’orchestre : sa manière de maîtriser les nuances (des pianissimi à se pâmer !), sa concentration, son intuition, tout démontre que nous sommes au-delà d’une performance technique virtuose froide : il y a de l’âme, de la fougue, de la générosité, de la passion dans le jeu de cette jeune violoniste. L’orchestre se montre de plus en plus vif, avec des cuivres impressionnants, un refus du legato, mais aussi de beaux miroitements de temps suspendu qui font penser à l’Enchantement du Vendredi Saint du Parsifal de Wagner. L’excellence de l’ensemble suscite des applaudissements spontanés à la fin de cet Allegro moderato à couper le souffle, dont l’auditeur ressort les larmes aux yeux et des frissons. Quelle merveille !
     L’Adagio di molto permet d’apprécier des cordes dans l’ensemble toujours aussi impeccables en toile de fond, excellant dans les pianissimi, soutenant un chant qui rappelle le lancinant « kantele », instrument hypnotique, sorte de cithare à cordes pincées, traditionnel en Finlande. María Dueñas a du caractère, des nuances infinies, des possibilités techniques et émotionnelles hors normes, aidées par un orchestre très à l’aise dans cette musique. Aurait-on ici la Martha Argerich du violon ?
     Arrive l’ultime mouvement, Allegro, ma non tanto, cavalcade finale, avec des aigus divins, des clarinettes très soignées, des cuivres racés, des flûtes admirables qui soutiennent le jeu d’une violoniste maîtrisant toutes les difficultés techniques – redoutables – de ce morceau de bravoure. On retient son souffle jusqu’à la fin, triomphale.
     En bis, María Dueñas propose une courte pièce virtuose, l’Applemania du compositeur russo-autrichien contemporain Aleksey Igudesman, une sorte de florilège des plus grandes difficultés du violon. Tonnerre d’applaudissements.
 
Une Première symphonie romantique et hivernale
 
     Fascinant programme que celui que conçut Sibelius pour son concert de Stockholm : partant de la Symphonie n°7, il choisit de remonter aux sources de son langage pour terminer par la Première symphonie op. 39, plus classique dans sa structure, mais déjà inouïe dans son style. Le très beau solo de clarinette de l’incipit, à la sonorité sinueuse et élégante, bien posée, laisse la place à un discours aussi lissé et poli, mais doté cette fois-ci d’un sens de la narration, absent de la Symphonie n°7, plus abstraite et construite d’un seul tenant. Nous avons affaire à un bel orchestre, indéniablement, aux sonorités pleines et riches, des trombones puissants. Harding trouve le bon équilibre entre épopée et intimisme. Parfois, l’oreille se surprend, dans les moments cuivrés, à entendre Bruckner, qu’admirait tant Sibelius, à moins que nous ne nous égarions parfois dans les « murmures de la forêt », bien que Sibelius ne portât point dans son cœur l’auteur de Siegfried. Dans le dialogue entre la harpe et la clarinette passent déjà quelques échos du futur poème symphonique Le Barde, déployant le même sens de la répétition incantatoire.
     L’Andante, en dépit d’une attaque peu précise des cors, permet d’apprécier encore plus l’excellente tenue des trombones et du tuba, tandis que les flûtes virevoltantes rappellent la Symphonie n°1 « Rêve d’hiver » de Tchaïkovski, les mêmes flocons qui tombent, ouatés, mélancoliques, sur le sol gelé. Harding se montre attentif aux brusques syncopes de ce mouvement et creuse les contrastes, alternant lyrisme, violence. Le Scherzo, exécuté un peu trop vite parfois, au détriment de la rigueur rythmique, est mené tambour battant, avec des bassons remarquables, et toujours une discrète présence brucknérienne. Le Finale (Quasi una fantasia) est interprété de manière plus attendue comme la suite de la Pathétique, sans perdre de vue l’intention narrative. Dans des tempi parfois un peu expérimentaux, Harding fait bien ressortir les dettes de Sibelius à l’égard de ses illustres devanciers, sans oublier de montrer l’affirmation d’une nouvelle voie originale en musique, notamment les lignes de fracture annonciatrices de la Quatrième symphonie. L’interprétation s’achève dans un lyrisme appuyé, des timbales incantatoires et une belle tenue des cordes, incontestable réussite de cette soirée suédoise.
     Telles les deux extrémités de l’arc-en-ciel, les deux symphonies de Sibelius et le Concerto pour violon, ont indiscutablement charmé l’auditoire, avec un très bel orchestre, aux sonorités majestueuses, une jeune violoniste prodige et un très bon chef attentif aux héritages musicaux de Sibelius ; on aimerait l’entendre davantage dans cette musique : tout cela confirme l’excellente tenue du Festival Sibelius de Lahti.

Philippe Rosset
8 septembre 2023

Imprimer
Cookies
Nous utilisons des cookies. Vous pouvez configurer ou refuser les cookies dans votre navigateur. Vous pouvez aussi accepter tous les cookies en cliquant sur le bouton « Accepter tous les cookies ». Pour plus d’informations, vous pouvez consulter notre Politique de confidentialité et des cookies.