Offenbach for ever
Coscoletto ou Le Lazzarone (Limoges, Centre Culturel Jean Gagnant)
Le choix s’est porté sur Coscoletto ou Le Lazzarone, un titre bien oublié depuis sa création à Bads Ems en 1865. L’ouvrage n’avait pas été repris à la rentrée suivante sur une scène parisienne contrairement à l’habitude. L’exhumation a eu d’abord lieu en Allemagne dans les années 2000. Les rares représentations françaises ont nécessité la traduction du livret germanique seul disponible, le texte français d’origine de Charles Nuitter et Étienne Tréfeu étant égaré. C’est la version de Jean-Louis Guignon qui a été présentée à Limoges.
Le jeune Coscoletto n’osant avouer son amour à Defina va déclencher une série de méprises et de quiproquos qui vont prospérer au premier acte. En s’épanchant auprès de Mariana elle-même éprise du jeune homme, il va provoquer la colère du mari Frangipani, le marchand de macaronis, et mettre des bâtons dans les roues de deux barbons, le fabricant de cordes à linge Polycarpo et le pharmacien Arsenico. Le final de l’acte I musicalement survolté se déroule sur fond d’éruption du Vésuve. À l’acte II construit comme une pièce Feydeau, les personnages sans clarifier leur situation se croiront un temps empoisonnés par un plat de macaronis, heureusement inoffensif.
On imagine ce que la partition d’Offenbach peut apporter à ce scénario : un duo avec tarentelle, un numéro avec aboiements de chiens, un air de la vengeance, des couplets verveux, des ensembles simili grand opéra…
La mise en scène de Jean-Pierre Descheix déborde d’invention et de trouvailles, très commedia dell’arte, dont relèvent les personnages bien typés, costumés pour certains avec extravagance ; le metteur en scène sait adapter à chaque numéro un mouvement, une gestuelle qui littéralement le chorégraphie.
Le rôle de Coscoletto écrit pour un travesti a été adapté à une voix de ténor. Alfred Bironien est un interprète idéal pour le rôle. La voix bien timbrée, la ductilité, la diction parfaite offrent aux notes leur totale plénitude. Le jeu aux expressions quasi filmiques donne au personnage quelque part sa fragilité mais aussi sa juvénilité et son entrain.
Delphine Cadet interprète le rôle de Mariana, un personnage écartelé entre son amour pour Coscoletto et le rôle que lui fait jouer le jeune homme épris par ailleurs. C’est avec une voix ample, aux subtiles harmoniques, homogène sur tous les registres, mais aussi un jeu hors pair qu’est traduite cette ambiguïté. Delphine Cadet sait aussi tirer de jolis sons de la flûte dont elle agrémente son duo de l’acte II avec Coscoletto. Lison Ratier jeune interprète de Delfina possède un timbre clair, une projection excellente et un engagement scénique qui lui permettent de jouer le côté volontaire de son personnage. Frangipani revient à Bardassar Ohanian, une vraie voix d’opéra bienvenue dans un rôle qui tout en parodiant le grand style doit en assumer la vocalité détournée. Olivier Montmory qui reprend le rôle de Polycarpo au pied levé le chante avec une solide voix de ténor central aux éclats puissants et le joue avec un sens aigu de la caricature. Christophe Gateau met son timbre percutant et bien projeté au service d’un rôle joué avec un humour ravageur qui rend impatient le public de le retrouver à chacune de ses entrées en scène. Enfin dans le rôle d’une voisine Nathalie Courtioux-Robinier est bien loin de n’être qu’une utilité ; haute en couleur et bien en voix elle dénoue l’intrigue et rallie le public.
Du haut de ses… vingt et un ans Lola Giry au piano investit la délicatesse et la bouffonnerie d’un ouvrage imposé avec un brillant rare.
Les compositeurs de la Belle Époque
Le concert « Louis Ganne et son temps » ainsi que l’opérette Les Maris de Ginette de Fourdrain ont permis de mettre ces derniers en évidence.
Si Louis Ganne et Claude Terrasse sur lesquels le festival s’est focalisé sont encore connus, il n’en va pas de même pour Félix Fourdrain. Les trois compositeurs disparaissent en 1923, mais les carrières ne sont pas exactement parallèles. Fourdrain (né en 1880) plus jeune que ses confrères meurt à 43 ans ce qui décale sensiblement sa production. Ganne fait représenter ses Saltimbanques en 1899 et donne encore Cocorico en 1913. Terrasse lui aussi échelonne sur la Belle Époque l’essentiel de son œuvre avec une focalisation sur le début du siècle. Félix Fourdrain après avoir donné des ouvrages sérieux se tourne vers des œuvres plus légères, Les Contes de Perrault en 1913 et Les Maris de Ginette en 1916.
Les trois compositeurs ont reçu une solide formation (Niedermeyer et / ou Conservatoire). Ils tirent parti des nouvelles conceptions de l’harmonisation et de la modalité et font évoluer la question du rythme par rapport à l’usage qu’en faisait l’opérette classique. On associe Terrasse au retour de la parodie musicale et on évoque souvent Fauré ou Debussy pour cerner sa modernité musicale (Debussy ne tarit pas d’éloges sur Les Travaux d’Hercule). Certains détails dans les partitions de Fourdrain annoncent l’esprit des danses modernes de l’entre-deux-guerres. Dolly (1921) cédera en partie à cette nouvelle esthétique.
Concert « Louis Ganne et son temps » (Bosmie-L’Aiguille)
Le concert Ganne a permis d’entendre des extraits d’ouvrages encore connus de nos jours comme Les Saltimbanques, Hans le joueur de flûte, La fiancée du Scaphandrier, d’autres moins populaires tirés de l’œuvre de Ganne d’ailleurs (Rhodope, Cocorico), mais aussi d’Henri Hirchmann ou Charles Cuvillier ; du premier La Petite Bohême (sur une trame similaire à celle de l’ouvrage de Puccini), du second La Reine joyeuse qui s’est voulue concurrente de La Veuve Joyeuse. D’autres compositeurs ont été également repêchés comme Justin Clérice, Frédéric Toulmouche ou Rodolphe Berger !
Cinq interprètes connaissant bien ce répertoire se sont brillamment illustrés dans ce concert donné en plein air dans le très beau parc du Boucheron à Bosmie-L’Aiguille : Jeanne-Marie Lévy à la voix opulente et à la diction légendaire, Isabelle Savigny soprano à la voix bien timbrée, puissante quand il faut et expressive. Côté interprètes masculins, venus de l’Atelier Lyrique Angevin dont on connaît l’appétence pour les redécouvertes, Charles Mesrine, ténor stylé, attentif aux couleurs, Alexandre Nervet-Palma ténor à la subtile musicalité et à la voix charmeuse (qui n’est pas sans rappeler quelques grands devanciers Mallabrera, Amade ou Alvi) et Nicolas Bercet baryton à l’aura évidente et au chant éloquent.
L'univers musical de l'époque est parfaitement restitué au piano par Zoé Crozet-Robin.
Les Maris de Ginette (Saint-Yrieix-La-Perche et Aixe-sur-Vienne)
Le livret est particulièrement amusant, mettant en scène Ginette le jour de ses noces qui se retrouve avec deux maris, l’officiel et celui pour lequel penche son cœur, sur fond de dot à récupérer. L’artifice du dénouement n’est pas moins original ; pour se sortir d’une situation inextricable les auteurs ont imaginé une procédure plus rapide que le divorce, l’annulation du mariage résultant de l’invalidation du maire par le préfet !
La distribution est à l’image d’une opérette aux emplois bien spécifiques, mi classique, mi entre-deux-guerres déjà.
Charlotte Bonnet est une des grandes promesses du chant français, déjà affichée dans les productions les plus remarquées à l’Opéra de Paris ou à Monte Carlo. Elle dote Ginette d’une voix longue, puissante, homogène dans tous les registres dont elle déploie les plus riches harmoniques. Elle passe des duos romantiques (avec voix sur le souffle) aux airs endiablés comme cette exogène chanson des marins de l’acte II pleine d’entrain, clin d’œil à une forme incontournable de l’opérette classique.
Dans le rôle de Simone, Nathalie Courtioux Robinier trouve un personnage joué formidablement mais chanté avec non moins d’énergie et de style. La fantaisiste que la version concert ne semble pas frustrer a une voix percutante, projetée, aux inflexions bien accordées aux excentricités du livret.
Les autres interprètes féminins sont excellentes : Florence Kolski en malicieuse Madame Boucardier, Natassia Cabrié-Kolski qui sans avoir beaucoup à chanter impose une véritable personnalité, Dominique Febvre-Troubat très bien elle aussi.
Henri Pauliat est le chanteur et l’acteur idéal dans le rôle d’André. L’émission, la couleur, l’art des demi-teintes composent un spectre vocal de ténor romantique ; dans les grands duos ou dans l’air de l’acte III exhumé, du rendu des affects émane une séduction qui s’allie à une interprétation raffinée.
À l’opposé le rôle d’Oscar impose un personnage antipathique. Olivier Montmory l’incarne en excellent comédien ; il le dote d’une voix solide, au timbre plein et clair, d’un magnétisme certain.
Le rôle d’Hector Chapitel est fait pour Dominique Desmons qu’il ait à chanter (quel fabuleux ténor bouffe à la voix parfaitement identifiable!) ou à jouer dans un emploi où son invention comique semble sans limite.
Claude Gélébart dans Furet est plus vrai que nature, comédien de grande classe, au capital d’empathie qui sait aller vers le public.
Sunera Silva affiche non seulement un jeu naturel et sensible dans Robert mais il est aussi un soutien bienvenu dans le chœur.
Ce dernier, dirigé par Jean-Christophe Gauthier, est parfait dans ses interventions bien comprises par rapport à l’intrigue.
La version concert était présentée comme un enregistrement de la radio d’autrefois. Pouvait-on trouver mieux qu’Armand Degher pour ressusciter les « speakers » d’alors ; le comédien est inventif et bien chantant dans le rôle du gendarme Jolibois, créant une véritable dramaturgie.
Jacqueline Bensimhon au piano semble se jouer de la partition dont elle s’approprie tous les codes mais surtout le style et l’esprit.
Le public a ovationné le spectacle. Notons qu’à la seconde séance le théâtre affichait complet.
Didier Roumilhac