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FESTIVAL OPÉRATION OPÉRETTE / LA FOLLEMBÛCHE / OPUS 8 – Le Roi en jaune d’Artuan de Lierrée et Christophe Thill

FESTIVAL OPÉRATION OPÉRETTE / LA FOLLEMBÛCHE / OPUS 8 – Le Roi en jaune d’Artuan de Lierrée et Christophe Thill

vendredi 12 septembre 2025

©Maxime Caille

LE ROI EN JAUNE / ARTUAN DE LIERRÉE / CHRISTOPHE THILL

La 8ème édition du « Festival Opération Opérette » sera à marquer d’une pierre blanche pour sa programmation en général et pour son audace en particulier, celle de programmer un ouvrage contemporain en création mondiale, Le Roi en jaune d’Artuan de Lierrée et Christophe Thill, et d’avoir démontré combien les forces artistiques mobilisées par le Festival pouvaient ne rien avoir à envier aux rendez-vous lyriques les plus en vue. Le Roi en jaune présenté comme une opérette fantastique relève plutôt du théâtre musical tel que l’appréhendait la nomenclature des années 1970. La partition a été demandée à un jeune compositeur limougeaud, Artuan de Lierrée, dont la rencontre avec Christophe Thill, un passionné de littérature fantastique, a été des plus fructueux. Ce dernier était bien plus qu’un potentiel librettiste, terme qui paraît presque impropre ici. Christophe Thill en quasi franc-tireur a écrit pour une collection de poche une nouvelle traduction du Roi en jaune de Robert W. Chambers, ouvrage sur lequel s’était portée l’attention du compositeur.

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Le Roi en jaune en textes

Le Roi en jaune publié en 1895 parce qu’il tranche sur la globalité de l’œuvre de Chambers (1865-1923) est devenu culte. Il s’agit d’un recueil d’une dizaine de nouvelles dans lequel circulent certains thèmes de la première, Le Restaurateur de réputations, qui fait seul l’objet des dialogues de l’opéra. La trame dit à peine ce qu’est la richesse de la nouvelle et peut-être encore moins sa traduction scénique. À New-York en 1920, Hildred Castaigne à la suite d’une chute de cheval et de la lecture d’une pièce interdite a dû remettre sa vie entre les mains d’un asile d’aliénés. Il poursuit le but de restaurer la dynastie impériale d’Amérique dont il estime être le dernier descendant. Son parcours épique et fantastique est retracé dans la nouvelle et dans l’ouvrage lyrique. On peut voir dans le récit la vie tourmentée d’un cerveau dont le livret capte les moments les plus intenses. Hildred va être mis en contact avec ceux que son trauma appelle à la barre. Il peut s’agir en ouverture du spectacle du dialogue avec Hawberk qui inscrit dans la trajectoire à venir une forme de destin démoniaque à travers les métaphores de la forge, du blason et des armes. La scène qui suit de la rencontre avec Mr Wilde dont Hildred recherche l’appui ne se solde pas moins par une descente aux enfers ; Wilde profite de la misère humaine pour réparer les réputations contre de coquettes sommes d’argent. La quête d’Hildred se fixe sur des lieux mythiques relatifs à l’empire, Carcosa, comme des lacs embrumés, les promesses n’ayant guère de chance face à la violence destructrice qui s’instaure en ramenant à la surface les rapports familiaux et les passés les moins glorieux. La scène où Vance est désigné pour tuer et qui entraînera de se donner la mort, celles où Louis Castaigne pourtant d’allure fringante est condamné à sortir du jeu illustrent les aléas du parcours, la couronne dont se ceint Hildred apparaissant de plus en plus dérisoire, cachant mal « les haillons festonnés » du Roi en jaune. La danse macabre qui termine l’uchronie a des précédents et ne manquera, l’intertextualité fonctionnant à fond sur de tels sujets, pas d’avoir ses thuriféraires.

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©Maxime Caille

Partition, scénographie / lumières, mise en scène, plateau en totale osmose, atouts majeurs de la production

Ce spectacle étrange existe avant tout à travers une partition, une scénographie, une mise en scène et un plateau d’interprètes qu’il est difficile de séparer tant la fusion est l’atout majeur de la réussite.

La musique d’Artuan de Lierrée qui fera date est une évidence. Si le climat d’ensemble peut rappeler Debussy, qui touche peu à l’opéra en dehors de Pelléas et Mélisande, mais entre dans le décor du symbolisme fin de siècle auquel la partition n’est pas étrangère. Les climats particuliers n’en empruntent pas moins au cinéma des années soixante, celui par exemple des partitions de François de Roubaix (Danny Elfman le musicien de Tim Burton ne semble pas loin!). Les musiques planantes qui transportent au-delà du réel, les staccatos de certains échanges tendus s’expliquent par l’attention portée au théâtre, mais aussi par l’instrumentation choisie. Artuan de Lierrée qui joue au piano et aux claviers sa propre musique, Thibault Chaumeil qui accompagne aux percussions et à la clarinette (qui interprète également le rôle de Vance) ne sont pas les derniers à s’exprimer par les notes. À l’égal des chansons, les songs de la comédie musicale, les superbes ariosos confiés à Hildred installent la partition dans la diversité et la surprise, l’opéra notamment, mais jamais au détriment d’une continuité qu’assurent la conversation en musique (la mélodie infinie) et les mélodrames (les fonds musicaux). Le compositeur et son interprète ont été à juste titre longuement applaudis.

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©Maxime Caille

La scénographie de Le Poisson a tout autant recueilli l’assentiment du public, sensible à ce que le professionnalisme lui permettait de voir et d’éprouver. Les vidéos de la nature qui ouvrent le spectacle et qui ne s’interdisent pas le surtitrage subliment l’air de Cassilda ; impeccablement projetées, elles focalisent les images obsédantes de Carcosa, Hali ou Hastur, ramenant l’entité tentaculaire de l’empire convoité par Hildred aux blasons et cartes d’une symbolique fantastique. N’oublions pas le passage entre 1886 et 1892 de Chambers dans le Paris des Décadents, qui explique ce que son fantastique doit au symbolisme littéraire et pictural (Pelléas et Mélisande de Maeterlinck date de 1892 !). Pour les reste les éléments de décor en dur explorent les mêmes veines, les éclairages de Franck Roncière étant eux-mêmes signifiants.

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©Maxime Caille

Venus de genres hybrides Julie Lalande et Claude Gélébart signent une brillante mise en scène fondée sur une précise direction d’acteurs, sur des touches d’expressionnisme tout autant que sur le réalisme psychologique. Les nombreuses scènes d’affrontements sont superbement théâtralisées ; la montée en puissance de l’inanité et surtout de la mort est ressentie par le public au prix de mise en exergue d’un couteau ou d’objets transfigurés. La danse finale touche au surnaturel et émeut profondément.

Inutile de souligner au plan du jeu l’expression des deux metteurs en scène également comédiens. Julie Lalande, rompue à toutes les disciplines, sait aussi bien chanter que jouer. Son Hawberg est étrange, inquiétante, pièce maîtresse dans son premier dialogue avec Hildred. Claude Gélébart dans le rôle de Mr Wilde impressionne par la démultiplication des sous-entendus et des affects troubles. Thibault Chaumeil laisse percevoir l’intériorité d’un personnage rouage de l’action.

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©Maxime Caille

Le plateau est idéal par son équilibre en présentant aussi trois voix lyriques. Henri Pauliat est d’autant plus judicieusement distribué dans Hildred qu’il poursuit une carrière dans différents styles qui ne peuvent qu’aguerrir la polyvalence bienvenue de nos jours. La comédie musicale où on l’a vu briller avec les Misérables est cousine du théâtre musical plus opératique. La voix dans tous les cas est puissante, éloquente, aux différentes inflexions soucieuses des intérêts du rôle. Elle est associée à un charisme qui va vers le public.

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©Maxime Caille

Dans le rôle de Louis Castaigne Christophe Gateau n’est pas moins convaincant ; le timbre est riche, les accents clairs et bien projetés et le personnage du soldat fringant mais au tréfonds plus complexe ne manque pas d’en imposer. Dans le double rôle de Cassilda et Constance Hawberk Isabelle Savigny fait vivre un personnage plus éthéré que dans le Jour et la Nuit, preuve de la conversion des plus heureuses à l’art de la mélodie pour l’air d’entrée et de l’opéra pour Constance qu’elle joue avec raffinement et qu’elle chante à la perfection.

Le Roi en jaune qui a ouvert de nouvelles portes pour le Festival a été donné dans une salle comble qui a validé la direction prise.

Didier Roumilhac
12 septembre 2025

Scénographie, vidéo : Le Poisson
Mise en scène : Julie Lalande / Claude Gélébart assistés de Florence Kolski
Lumières : Frank Roncière
Musiciens : Artuan de Lierrée / Thibault Chaumeil


Hildred Castaigne : Henri Pauliat
Mr Wilde : Claude Gélébart
Cassilda / Constance Hawberk : Isabelle Savigny
Hawberk : Julie Lalande
Louis Castaigne : Christophe Gateau
Vance : Thibault Chaumeil

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