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Festival Opéra des Landes (Soustons) / La Flûte enchantée

Festival Opéra des Landes (Soustons) / La Flûte enchantée

mardi 16 juillet 2024

Crédit photos Vincent Lajus

En plus d’un vaste programme de concerts, récitals et chœurs, le Festival Opéra des Landes pour sa 23ème édition (qui se déroule à Soustons et dans le département des Landes du 15 au 25 juillet 2024) sous la nouvelle direction de Yassine Benameur propose deux ouvrages lyriques parmi les plus prisés du public, La Flûte enchantée (Die Zauberflöte) de Mozart et La Vie parisienne de Jacques Offenbach. Cette dernière production, ayant déjà largement rencontré son public, provient d’« Opéra éclaté ». La Flûte enchantée est une reprise de la mise en scène d’Éric Perez donnée, après Saint-Céré, dans de nombreux théâtres, mais pas dans la nouvelle distribution de Soustons.

Survol d’un ouvrage atypique en forme de testament

La Flûte enchantée de Mozart sur un livret d’Emanuel Shikaneder est indiscutablement un ouvrage à part. Si elle est donnée partout dans les grandes maisons d’opéra du monde entier, sa création en 1791 interpelle. La Flûte enchantée voit le jour au theater auf der Wieden (en fait tout un ensemble un peu phalanstérien), un de ces nombreux établissements situés dans des zones périurbaines viennoises qui rapprochent le théâtre et la musique du public populaire. Mozart dans cet environnement très stimulant a déjà collaboré à Der Stein der Weisen et a pu faire émerger dans la forme du singspiel un opéra national allemand, les passages parlés facilitant l’accès à l’œuvre.

Dans la salle d’un millier de places les moyens sont suffisants pour actionner une machinerie complexe dont l’intrigue est dépendante. L’action fonctionne sur des strates étagées : des êtres supérieurs, la Reine de la Nuit, même déchue, et Sarastro, gardien du temple de la Sagesse. Sous leur emprise le prince Tamino est appelé à délivrer la belle Pamina qui a été retirée à la première, sa mère, par le second théoriquement cruel. Si l’acte I est consacré à faire se rencontrer les deux jeunes gens, l’acte II les conduira à traverser les épreuves initiatiques conduisant à la sagesse et à la beauté, Pamina scellant avec ces valeurs un rôle déterminant et nouveau pour l’époque. Les deux premières épreuves, celles de la Terre et de l’Air, sous la stricte condition du silence n’en sont pas moins diluées dans les complications de l’intrigue et bousculées par le caractère cyclothymique de Pamina. Pour les deux dernières, celles du Feu et de l’Eau, les effets de mise en scène sont souvent (et notamment à la création) inversement proportionnels à la sobriété des rites décrits dans les didascalies du livret.

Pour l’oiseleur Papageno, futur partenaire de Papagena, les mêmes épreuves ne sont pas couronnées de succès, avec une traduction dans la vie ordinaire de ce que vit le premier couple dans l’exceptionnel.

Les chemins sont tracés par trois dames, trois garçons, un esclave malfaisant, un temple maçonnique, une flûte enchantée et un jeu de clochettes.

L’ouvrage ouvre sur bien des interprétations et surtout sur les façons de les faire exister au théâtre. Plusieurs mises en scène se sont interrogées sur le décor, mais surtout sur la théâtralité. Les apparitions, les déguisements, la féerie, les artifices sont l’essence même de la pièce. Leur fonctionnement peut trouver sa traduction dans le retour aux traditions de la scène ; on a pu restaurer châssis et poulies, mais faire aussi appel aux effets boostés du numérique. Les scènes féeriques comme celles des souterrains ou de l’empyrée, du Serpent ou des nacelles, des épreuves s’y sont particulièrement prêtées.

On ne s’est pas moins interrogé sur la modernité du message, son universalisme résumé par les idées de Raison et de Nature, même si la réévaluation a conduit à s’expliquer sur les éléments du texte les plus datés, les préjugés féminins ou le rôle des esclaves. Notons tout de même pour relativiser des idées schématiques ce que disait Henry Barraud de La Reine de la Nuit :« La Reine de la Nuit n’est pas une incarnation du mal ; c’est une aspirante à une initiation que lui interdit sa condition féminine. » (ASO, 1976)

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Crédit photos Vincent Lajus

La mise en scène d’Éric Perez

La mise en scène d’Éric Perez constamment animée, vivante et colorée est placée sous le signe du masque et du jeu. La proposition sait nous intéresser à l’action. Le choix de transposer le texte allemand (il s’agit en l’occurrence de parlé et non de récitatifs) en français rapproche le récit du spectateur qui pénètre dans l’univers des personnages. Jusqu’aux années 1960 c’est d’ailleurs la totalité du singspiel qui était donnée dans des traductions, plusieurs ayant eu cours sur diverses scènes parisiennes. La scénographie de Patrice Gouron est simple mais pertinente. Le dispositif part d’un damier qui verra ses couleurs et sa configuration évoluer avec les épreuves que traversent les personnages qui s’échappent pour mieux revenir, qui se dérobent pour mieux se montrer. La magie provoquée par la flûte ou le glockenspiel fait entrer dans le monde féerique que La Flûte enchantée met au premier plan. L’instrument génère les animaux masqués, le glockenspiel déclenche la folie d’esclaves déjantés (l’effet a été applaudi). Le côté singspiel est souligné par l’entrain et la légèreté des personnages, Pamina et Tamino en costumes très commedia dell’arte au deuxième acte, Papageno et Papagena en mode comédie musicale aux costumes et allures pop, les trois dames excentriques à souhait. Les costumes très imaginatifs sont signés Jean-Michel Angays.

Le pan liturgique de l’œuvre n’est pas pour autant laissé de côté même si une réduction a dû être opérée pour ne pas amoindrir l’effet du chœur des prêtres avec un effectif qui n’en n’aurait pas eu l’ampleur et la noblesse. Néanmoins le chœur installé de côté enchâsse le spectacle et en fait un objet d’enjeux philosophiques. Les trois portes des temples sont là et la pensée de l’Aufklärung (notre Siècle des Lumières) est d’autant mieux ressentie qu’elle n’est pas pompeuse. Les épreuves sont bien identifiées et leur mise en scène représentée pour les deux dernières sous les espèces du Feu et de l’Eau, cette dernière puisée comme l’eau d’une onction. L’ acte II initiatique de bout en bout qui voit les personnages allongés rappelle (dans une pièce aux enjeux souvent tragiques) le thème central de La Flûte enchantée qui est celui de la mort à soi-même. Éric Perez a su ne pas faire de ses personnages des allégories, des emblèmes, mais les faire exister avec leur personnalité propre. Si Monostatos n’est que caricature, la Reine de la Nuit n’est sans doute pas que colère et méchanceté ; Tamino et Pamina ont la fibre d’adolescents écorchés vifs qui vivent au rythme d’événements qui les dépassent avant qu’ils n’en reprennent la maîtrise sensible ; Sarastro est double, les trois dames aguicheuses en diable, les Enfants malicieux… Cette mise en scène ne pouvait que séduire.

Les voix

Les voix de La Flûte enchantée semblent entrer des cases relatives à différents types musicaux, mais que bien des interprètes transcendent, ce qui le cas du plateau engagé, jeune et brillant réuni à l’Opéra des Landes.

Tamino et Pamina incarnent l’« opéra seria » ; n’oublions pas que Mozart créé à quelques jours d’intervalle La Clémence de Titus et La Flûte enchantée.

Le ténor américain Mark Van Arsdale a le timbre plein et articulé qui donne à Tamino l’empreinte musicale d’un rôle qui va passer du sentiment amoureux de son premier aria (l’air du portrait) aux accents héroïques qui culmineront dans les dernières épreuves après avoir traduit dans de fabuleux ariosos les interrogations surgies dans son parcours ; la voix est rayonnante, le personnage est au plus juste dans ses affects et sa théâtralité.

Pamina passe elle aussi par toutes sortes d’étapes ; coupée de sa mère au premier acte, elle n’avance vers la sagesse et l’amour qu’après un deuxième acte avec ses retours en arrière. Sonia Menem est la Pamina idéale aux harmoniques riches, au timbre clair et à la projection toute en élégance ; le personnage est à la fois dans l’intensité et le beau chant comme en témoigne l’air « Ach, ich fühl’s » très applaudi à l’acte II.

On a aussi les rôles hors normes qu’illustre avec une maestria sans égale la Reine de la Nuit de Marlène Assayag ; les vocalises jointes aux hauteurs stratosphériques (contre fa) n’ôtent rien au personnage de son engagement, tout en soulignant les déterminismes qui différencient psychologiquement ses deux airs.

Matthieu Toulouse est un Sarastro d’une réelle présence, à la ligne de chant pure, aux accents nobles et puissants.

Le Pagageno de Lysandre Châlon a indiscutablement marqué le public ; on voit ce qu’apporte à ce rôle la voix de baryton basse baignée dans le baroque et que l’interprète met au service de l’emploi bouffe avec un art accompli ; le jeu réjouissant couronne l’éclat vocal. Le public ne s’y est pas trompé à l’applaudimètre.

Morgane Bertrand habituée à triompher dans l’opérette vocale (elle est une Gabrielle survoltée dans La Vie parisienne dans ce même festival) est parfaite.

Monostatos entre moins dans une catégorie vocale prédéterminée, ce qui laisse une certaine latitude à l’interprète ; le remarquable comédien (avec des expressions dignes des meilleurs hits fantastiques) comme le chanteur percutant qu’est Alfred Bironien ne peut faire du rôle qu’un grand moment de théâtre chanté.

Les trois dames Pauline Jolly, Aviva Manenti, Olga Bystrova interviennent avec toute la vigueur vocale voulue et le jeu dynamique qui va avec.

Andoni Etcharren met un très beau phrasé au service du Sprecher et de l’homme d’armes ; dans ce rôle gémellaire Fabio Sitzia est également doté du legato voulu, les deux interprètes apportant un plus dramatique.

Le public a fait un sort particulier aux enfants du conservatoire des Landes Elie Marmier, Léna Smaili et Luis Casamayou, qui excellent dans des rôles qui n’ont rien d’évidents.

La direction musicale de Gaspard Brécourt joue la carte de la musique pure et du théâtre, dans une superbe synergie. Vers lui comme à l’ensemble du spectacle ont été les applaudissements nombreux d’un public qui semble viscéralement attaché à ce beau Festival Opéra des Landes.

Didier Roumilhac
16 juillet 2024

Direction musicale: Gaspard Brécourt
Mise en scène : Éric Perez
Chef des chœurs : Valérie Esparre
Décor : Patrice Gouron
Costumes : Jean-Michel Angays
Lumière : Joël Fabing

Pamina : Sonia Menen
Tamino : Mark Van Arsdale
Papageno : Lysandre Châlon
La Reine de la Nuit : Marlène Assayag
Papagena : Morgane Bertrand
Sarastro : Matthieu Toulouse
Monostatos : Alfred Bironien
1ère dame : Pauline Jolly
2e dame : Aviva Manenti
3e dame : Olga Bystrova
Sprecher, homme d’armes : Andoni Etcharren
Homme d’armes : Fabio Sitzia

Enfants du conservatoire des Landes
1er enfant : Elie Marmier
2e enfant : Léna Smaili
3e enfant : Louise Casamayou
Chœur et orchestre Opéra des Landes

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