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Festival Lehár de Bad Ischl Schön ist die welt (Le monde est beau) ou le « Tristan de Franz Lehár »

Festival Lehár de Bad Ischl Schön ist die welt (Le monde est beau) ou le « Tristan de Franz Lehár »

jeudi 17 août 2023
Sieglinde Feldhofer-Thomas Blondelle ©fotohofer
L’argument

La princesse Elisabeth de Lichtenberg est en villégiature à l’Hôtel des Alpes en Suisse avec sa tante, la Duchesse Marie Brankenhorst. Arrive incognito le prince Georg, héritier de la couronne d’un pays imaginaire en difficultés financières. Pour cette raison un mariage a été arrangé entre les deux jeunes gens sans que ceux-ci se connaissent. Georg se présente à Elisabeth comme un guide de montagne, cette dernière prétendant pour sa part, être une simple touriste. Une attirance naît immédiatement entre les deux jeunes gens qui n’ont, ni l’un ni l’autre, l’intention de donner suite aux projets matrimoniaux qui leur sont imposés. Georg et Elisabeth passionnés de montagne partent en excursion dès le lendemain. Mais lorsqu’ils qu’ils s’apprêtent à redescendre, une avalanche leur coupe la route. Terrorisée, Elisabeth se jette dans les bras du jeune homme qui la calme. La solution de prudence s’impose : ils devront rester la nuit dans le refuge. Le coucher du soleil qui succède à la tempête offre un magnifique contrepoint à leur amour naissant. Revenus à l’hôtel le lendemain, par un coup de théâtre dont seule l’opérette a le secret, leur véritable identité est révélée. L’avenir le plus souriant s’ouvre ainsi pour les deux jeunes gens.

Franz Lehár « le Wagner de l’opérette ».

La particularité de cette opérette réside dans le fait que les deux principaux personnages occupent seuls l’intégralité du deuxième acte qui se déroule au sommet d’une montagne. Le compositeur estimait lui-même qu’il s’agissait là « d’un fait unique dans l’opérette pouvant être considéré comme un acte d’audace sans précédent ». 
Ce fut l’occasion, en outre, pour Lehár d’expérimenter toutes sortes de coloris orchestraux propres à l’opéra. A propos de ce long duo du deuxième acte, traitant de l’exaltation de la nature puis de la contemplation de la nuit avec les appels des cors dans le lointain et l’érotisme sous-jacent, certains chroniqueurs ont osé le parallèle avec le duo de Tristan et Isolde de Wagner reconnaissant dans cette œuvre en Lehár « le Wagner de l’opérette ». 

De « Endlich allein » (« Enfin seuls ») à « Schön ist die Welt » (« Le monde est beau ») : une longue gestation

Le 30 janvier 1914, Franz Lehár fait représenter au Theater An der Wien Endlich allein (Enfin seuls) sur un livret de Alfred Maria Willner et Robert Bodansky. En 1926, Franz Lehár entame, à l’occasion de Paganini, avec le ténor Richard Tauber, une fructueuse collaboration qui se poursuivra avec Le Tzarevitch (1927), Frédérique (1928), Le Pays du sourire (1929). C’est dans le droit fil de cette collaboration que le compositeur souhaita remanier Endlich allein, aidé dans cette tâche par les librettistes Ludwig Herzer et Fritz Löhner Beda. Le lieu où se déroule l’action (un hôtel dans la montagne) et l’intrigue demeurent quasiment identique : le Baron Frank Hansen devenant le Prince Georg et l’américaine Dolly Doverland se transformant en Elisabeth Princesse de Lichtenberg sous son nouveau titre Schön ist die Welt (Le Monde est beau qui deviendra La Chanson du bonheur, titre français lors de la première en France en 1935 à la Gaîté-Lyrique). L’œuvre originale est créée au Métropol Theater de Berlin le 3 décembre 1930 avec Richard Tauber dans le rôle de Georg et la soprano hongroise Gitta Alpar, première chanteuse de l’Opéra de Berlin qui allait, deux ans plus tard, créer Bal au Savoy de Paul Abraham.

Le deuxième acte : un long duo avec pour thématique l’exaltation de la nature et la contemplation de la nuit

Bien évidemment, le long duo du deuxième acte, cher à Lehár, fut conservé et la référence à Tristan et Isolde n'était pas pour lui déplaire.
Wagner est d’ailleurs explicitement évoqué dans le programme de la création de Schön ist die Welt. « Si l’une des grandes qualités de Richard Wagner est d’être wagnérien dans dix de ses œuvres et d’y être différent à chaque fois, on peut voir en Lehár, il faut bien le reconnaître, le Wagner de l’opérette… ». 
Le soin raffiné porté à l’orchestration, l’alternance de l’intervention des bois et des cuivres et l’utilisation en particulier du cor anglais pour le motif pastoral en contrepoint du chatoiement des cordes, viennent conforter ce parallèle que d’aucuns considéreront sans doute hardi, mais qui n’est pourtant pas sans fondement.
L’une des originalités de l’opérette est le contraste évident entre cet acte central et les actes 1 et 3 (qui se déroulent dans l’hôtel) beaucoup plus traditionnel avec l’intervention de comparses joyeux et des danses inspirées de la mode sud-américaine comme le tango et la rumba. Le happy-end vient de surcroît offrir une souriante conclusion, refusée aux œuvres précédentes du tandem Lehár-Tauber.

Deux interprètes de premier plan aussi brillants dans l’opéra que dans l’opérette

La partition hybride est, au premier et troisième acte, celle d’une opérette dans la lignée des viennois « joyeux » proche de Kálmán par le mélange des genres alternant valses langoureuses et danses syncopées. Comme on l’a indiqué plus haut, le deuxième acte pourrait être celui d’un opéra avec le long duo (vocalement difficile) ou s’entrecroisent les références à Puccini, Richard Strauss et Wagner. On redira ici, comme un constant leitmotiv, que les ouvrages de Lehár comme ceux de Richard Strauss sollicitent des moyens vocaux exigés pour les grandes partitions lyriques.
Comme il est de tradition dans ce pays, c’est un ténor dont la carrière en opéra est plus que significative, en l’occurrence Thomas Blondelle, qui incarne Georg. Son répertoire va de Belmonte de L’Enlèvement au sérail de Mozart, à Parsifal de Wagner en passant par Alfredo de La Traviata, Pelléas de Pelléas et Mélisande, Erik du Vaisseau Fantôme ou Hérode de Salomé. En ces lieux  il a été un puissant Sou-Chong du Pays du sourire, un électrisant Edwin de Princesse Czardas, un brillant Comte Zeldau de Sang viennois.
Il en va de même pour sa partenaire Sieglinde Feldhofer qui s’illustre dans Musetta de La Bohème, Susanna des Noces de Figaro ou encore Antonia des Contes d’Hoffmann, tout en assurant avec bonheur un nombre incommensurable d’opérettes et de comédies musicales, de Eva de Franz Lehár, à Maria de West Side Story en passant par Gabrielle de Sang Viennois. Elle a interprété sur cette scène nombre d’héroïnes des opérettes de Lehár comme Die Juxheirat (Le Mariage pour rire), Wiener Frauen (Les Femmes viennoises), Cloclo, Wo die lerche singt (Où chante l’alouette) qui ont toutes été enregistrées en version intégrale par la firme discographique CPO(1). Comment ne pas admirer la souveraine maîtrise du chant de ces deux artistes ? Rien ne parait jamais forcé et la qualité de leur phrasé comme la ligne vocale constamment élégante, s’inscrit très exactement dans le style requis. Ils sont de superbes interprètes de cet ineffable charme viennois(2).
Le couple secondaire est aussi digne d’éloges avec une trépidante Katharina Linhard qui dessine une volcanique Mercedes et Jonathan Hartzendorf en Comte Sascha Karlowitz à la jolie voix de ténor qui démontre ici (après sa remarquable prestation du Comte Stanislaus dans Der Vogelhändler) d'indéniables dons comiques lui permettant de brûler les planches. On retrouve avec plaisir le baryton-basse Gerd Vogel déjà particulièrement apprécié dans le Baron Weps du Vogelhändler et la pétulante Klára Vincze qui dessine une extravagante Duchesse Brankenhorst.

Une version « semi-scénique » où brillent l’orchestre et le chœur

Comme pour les versions qui ont, depuis des décennies au Festival de Lehár de Bad Ischl, fait l’objet d’un enregistrement discographique, la forme de cet ouvrage est « semi-scénique ». L’orchestre occupe donc la plus grande partie du plateau, ce qui n’empêche nullement les interprètes de jouer comme dans une version traditionnelle avec costumes et quelques embryons de décors côtés cour et jardin ainsi qu’avec des projections vidéo en fond de scène, qui au fur et à mesure décrivent les lieux de l’action.  La mise en scène précise et efficace est signée Angela Schweiger avec de forts beaux costumes de Simone Weissenbacher. Saluons l’exploit de Evamaria Mayer qui parvient à installer une chorégraphie attractive dans un espace aussi restreint. Une mention tout à fait particulière doit être décernée aux choristes (chef du chœur : Matthias Schoberwalter) dont les membres sont choisis parmi des jeunes gens qui se sentent complètement investis dans chacun des ouvrages programmés. On admire non seulement leur concentration, leur énergie mais encore une joie communicative de vivre et de jouer.
On ne peut que rester admiratif devant la qualité de l’orchestre qui dans ce pays sait traduire comme nul autre, tout la langueur, la sensualité et le rythme de l’opérette et en particulier celles de Franz Lehár qui, ne l’oublions pas, résidait dans cette cité dans une villa située au bord de L’Ischl. Marius Burkert dirige avec ferveur cette magnifique partition, si proche de celle d’un opéra. A noter, qu’il a participé à la plupart des œuvres de Franz Lehár enregistrées sur cette scène. 

Cette opérette quasiment inconnue en France de nos jours, a attiré lors des quatre représentations un nombreux public et a été jouée à guichets fermés. Les spectateurs ont, à juste titre, longuement acclamé Thomas Blondelle et Sieglinde Feldhofer, à l’issue du long duo qui constitue le deuxième acte. L’auditoire également conquis a également réservé de nombreux rappels à l’ensemble des interprètes, à l’orchestre et au chœur au rideau final.

Marie-Catherine Guigues
17 août 2023

(1) Cette production de Schön ist die Welt a fait également l’objet d’un enregistrement discographique pour CPO qui paraîtra dans les prochains mois.
(2) On peut se référer utilement à l’enregistrement historique dirigé par Franz Lehár lui-même avec le ténor Anton Dermota.

Direction musicale : Marius Burkert
Mise en scène : Angela Schweiger
Chorégraphie : Evamaria Mayer
Vidéo : Andreas Ivancsics
Costumes : Simone Weissenbacher

Elisabeth, Princesse de Lichtenberg : Sieglinde Feldhofer
Prince héritier Georg : Thomas Blondelle
Le roi, son père : Gerd Vogel
Comte Sascha Karlowitz, aide de camp du roi : Jonathan Hartzendorf
Mercedes : Katharina Linhard
Duchesse Brankenhorst : KláraVincze
Orchestre, chœur et ballet du Festival Lehár de Bad Ischl

 

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