Avec pour point focal la Symphonie n°9 en ré mineur d’Anton Bruckner, dédiée à Dieu (« dem lieben Gott ») mais restée inachevée, ce concert aura pris la forme d’un voyage musical initiatique, entre flux et reflux continuel dans Atmosphères de Ligeti et « éther vaporeux » (selon les mots de Liszt !) du Prélude de Lohengrin.
Invité pour la première fois au festival d’Aix-en-Provence, l’illustre Orchestre symphonique de la Radiodiffusion bavaroise, placé – depuis 2023 – sous la direction de son nouveau directeur musical, Sir Simon Rattle, donne à entendre, sans entracte, un programme Ligeti-Wagner-Bruckner, jouant avec maestria sur des climax de tension sonore tout en conservant le caractère impalpable et mystérieux de trois œuvres détentrices d’autant de contrastes que de similitudes saisissantes.
Quel choix judicieux que de mettre en pièce introductive à ce beau programme Atmosphères, œuvre de musique contemporaine de György Ligeti (1961) qui, à partir d’un long accord continu, permet de vivre, pendant quelques neuf minutes, une lente transformation sonore remplie de mystère… celui-là même que l’on adore revoir à travers les images de Stanley Kubrick pour « 2001, l’Odyssée de l’Espace » !
D’emblée, les cordes de la phalange bavaroise prennent cette couleur diaphane irrésistible, les contrebasses – en particulier – nous désignant la direction de cet Infini, dénominateur commun de la soirée. De même, le travail avec les archets est une sorte de répétition générale de ce que l’on entendra, plus tard, parmi les contrebasses du premier mouvement de la neuvième de Bruckner, tandis que le vent souffle dans l’orchestre… nous laissant sur une impression d’au-delà que l’accord enchanté de la majeur du Prélude de Lohengrin, enchaîné sans pause – évitant ainsi tout applaudissement intempestif – vient poursuivre dans la continuité : une fort belle idée !
Lors de chaque concert dirigé par Simon Rattle auquel nous ayons assisté, on est toujours fasciné par cette battue qui, avec peu d’effets, obtient des orchestres de subtiles nuances dans la palette sonore : c’est de nouveau le cas avec l’orchestre de la Radiodiffusion bavaroise qui, quoique familier de la musique de Richard Wagner, trouve sous la direction de Rattle, dans le Prélude de Lohengrin, matière à développer, aux cordes, des phrases toujours plus aériennes et à délivrer une montée en palier vers un crescendo à la noblesse jamais tonitruante.
Le mysticisme de la musique de Wagner se retrouve évidemment dès le premier mouvement – noté « solennel et mystérieux » sur la partition – de la neuvième de Bruckner où le chef déploie un savant équilibre pour retenir la note dans les phrases confiées aux contrebasses puis aux huit cors, sur l’accord parfait de ré mineur. On se plaît ici à rechercher quelques réminiscences de la musique de Gustav Mahler… .Avouons, pour notre part, avoir été tétanisé, dans ce mouvement, par la force de frappe se dégageant de l’archet des contrebassistes… anticipant l’hallucinant Scherzo « animé et vif » (!) que nous propose la direction de Rattle, véritable tempête orchestrale qui se déchaîne alors sur le GTP ! Jouant ici sur des sonorités romantiques quasi-mendelssohniennes – lointaine citation du scherzo du Songe d’une nuit d’été – pour mieux les rompre par des pizzicati d’une brutalité parfaitement harmonique, le BRSO nous laisse positivement éreinté à l’issue des quelques onze minutes de ce mouvement fracassant !
Il ne nous restait plus qu’à retourner à la grande tradition de l’Adagio mahlérien – qui n’oublie jamais Wagner pour autant ! – avec un troisième mouvement « très lent et solennel » qui déchire le cœur par la somptuosité mélancolique des phrases d’abord confiées aux cordes et aux vents. Les espaces, presque en sourdine, qu’arrive ici à dégager, parmi les divers pupitres, la direction de Simon Rattle sont d’un pur enchantement tout comme la luminosité, splendide et recueillie, du choral « Abschied vom Leben » (« Adieu à la vie ») où triomphent, glorieux mais précis, cors et fameux tubas wagnériens dans la conclusion d’une symphonie « inachevée » … qui ne s’est pourtant jamais aussi bien terminée…
Le public du festival ne s’y est d’ailleurs pas trompé qui réserve à l’orchestre et à son nouveau maestro un triomphe mémorable ! Vivement le retour des bavarois à Aix-en-Provence… !
Hervé Casini
16 juillet 2025
Les artistes
Orchestre Symphonique de la Radiodiffusion bavaroise, direction : Sir Simon Rattle
Le programme
György Ligeti, Atmosphères (1961)
Richard Wagner, Prélude de Lohengrin (1850)
Anton Bruckner, Symphonie n°9 en ré mineur, inachevée (1887)