On le sait depuis le 19e siècle, de nombreuses mythologies mentionnent le déluge comme le moyen choisi par une divinité pour exterminer ses créatures devenues insupportables. Pour les Hébreux, c’est leur violence mutuelle qui la motive. C’est de cette dernière tradition que s’inspire le librettiste Domenico Gilardoni, d’après Il Diluvio, drame de Francesco Ringhini, créé en 1830 (version de Naples).
A en juger par le spectacle proposé par MASBEDO (contraction de Nicolo Massazza et Jacopo Bedogni) et Mariano Furlani, c’est la violence excercée par les hommes sur la nature, les animaux, végétaux et les éléments, qui est en cause.
Dans cette production, l’action commence avant même que le public n’entre dans le Teatro Donizetti de Bergamo, récemment restauré. De jeunes « manifestants », en impers transparent jaunes et bleus suivent l’exemple de Gretha Thunberg et appellent à l’action, distribuant des tracts et montrant des vidéos de plastiques étouffant les récifs coralliens et polluant l’océan. Ils réapparaissent sur scène dès le début et forment un chœur résistant et silencieux.
L’action tragico-sacrée de Donizetti est un curieux mélange de sacré et de profane, avec des personnages de l’Ancien Testament plongés dans u psychodrame de jalousie et de trahison. Le pieux Noé a construit son arche prête pour le Déluge qui, prévient-il, punira le peuple païen de Sennàar. Ils vivent une vie d’excès sans joie et considèrent Noé comme
un alarmiste illusoire. Leur chef Cadmo, est marié à Sela, qui, à la colère de son mari, est devenue une adepte de Noé et de son Dieu. Son amie Ada nourrit des désirs secrets pour Cadmo et répand la fausse rumeur selon laquelle, Sela serait amoureuse d’un des fils de Noé. Malgré ses protestations, l’innocente Sela est condamnée à mort par Cadmo, qui refuse de reconnaître que sa propre mort et celle de tous ceux qui l’entourent sont imminentes.
Imaginée mise en scène et conçue par le duo MASBEDO, la production prend l’urgence climatique comme postulat louable, mais noie ensuite les interprètes dans un raz de marée d’images et de vidéos agressives. On y voit des ouragans dévaster des villes entières, des inondations bouleversant les maisons comme des jouets, des icebergs se fiissurer, des incendies de forêts se propager. Durant la fête des partisans de Sennàar, des images surgissent montrant des animaux, des poissons, des porcelets éviscérés, leurs entrailles étant constituées de gelées de fête rouge, verte et bleue qu’ingurgitent les figurants sur scène et les laissant suinter entre leurs gros doigts. Horrible et dégoûtant – Inutile de mentionner qu’aux saluts, ces concepteurs ont été accueillis par des bordées de huées sonores que les applaudissements n’ont pas réussis à étouffer !!!
Le plateau vocal était de haut niveau et avait beaucoup de mérite de se retrouver dans cette mise en scène si dérangeante.
La soprano Giuliana Gianfadoni campe une Sela très convaincante. Elle exhibe un timbre exquis dans une beauté lumineuse, ferme et homogène dans sa texture, elle est animée d’une musicalité constante, précise dans sa virtuosité.
Le ténor chevronné et volumineux Enea Scala (très performant au dernier Festival Rossini à Pesaro) aborde le rôle de Cadmo avec efficacité, avec une voix puissante et convaincante.
L’exceptionnelle basse argentine, Nahuel Di Pierro interprète un Noé imposant et intègre, avec une musicalité constante. Il déploie avec noblesse des accents forts, dans un timbre d’une belle couleur sombre, large, doux et moelleux.
Le lieutenant de Cadmo, Artoo est nourri de la voix claironnante de l’impétueux Wangmao Wang.
Le rôle d’Ada, rivale de Sela et intrigante en robe rouge est dignement chanté par la mezzo Maria Elena Pepi, avec une voix profonde et une élégante présence scénique
Nicolo Donini s’est bien comporté dans le rôle du fils de Noé, Jafet, tout comme les performances des autres interprètes, dont certains sont des étudiants de l’Atelier Donizetti.
Les chœurs de l’Accademia del Teatro alla Scala, dirigés par Salvo Sgro, sont appréciés pour la plénitude sonore et le beau jeu de nuances.
Le chef Riccardo Frizza, très efficace dans sa direction a réussi l’objectif difficile de souder efficacement la dimension plus chorale et « biblique » avec la portée propre de l’œuvre de Donizetti. Un autre mérite du chef est sa profonde connaissance du chant. Les musiciens, bien inspirés en ont profité, car toujours accompagnés de sensibilité.
Somme toute, en dépit de l’agressivité des vidéos, nous avons assisté à un très beau spectacle musical et vocal avec l’excellent orchestre de Bergamo, un chef attentif Riccardo Frizza, des solistes et des chœurs de la Scala de Milano efficaces et très professionnels.
MarieThérèse Werling
17 novembre 2023