Logo-Resonances-Lyriques
Menu
Festival de tragédies Nice Cimiez / Andromaque de Racine : Ruines d’amours dans les ruines des arènes

Festival de tragédies Nice Cimiez / Andromaque de Racine : Ruines d’amours dans les ruines des arènes

mardi 2 juillet 2024

Copyright : Simon Gosselin 

Et si les histoires d’amours impossibles n’étaient pas seulement le fruit de l’inconciliabilité d’individus entre eux, mais également, ou peut-être même plutôt, la conséquence de la déstructuration d’un monde incapable de générer des relations saines, belles et évidentes parce que lui-même anéanti, devenu laid, stérile et perdu ? Dans un contexte international ravagé de balles et de bombes, de crise généralisée (économique, sociale, culturelle…), Stéphane Braunschweig met en évidence cette dernière hypothèse sans doute trop souvent occultée.

D’emblée, il jette les cartes du décor au sol. Atout cœur ? A tout sang ! Non, ce n’est pas un tapis royal qui trône sur la scène des arènes, mais bien une flaque de sang qui se répand sous nos yeux choqués. Une flaque ? Plus précisément une véritable mare que les pieds des différents ennemis foulent violemment. Les ombres des ondes liquides hantent les pierres des ruines nocturnes. Au loin, le hurlement de corbeaux… spectateurs passagers !

Andromaque photo 1
Copyright : Simon Gosselin

Ennemis, victimes ? L’un n’est-il pas l’autre et l’autre l’un ? La mise en scène de Stéphane Braunschweig souligne en rouge les mots de Jean Racine pour surligner les maux d’une actualité belligérante brûlante. Comment aimer dans la mémoire du crime ? Comment se comporter dans le miroir de l’horreur passée ? Comment tendre sa main à jamais ensanglantée ? Dévastés par les meurtres accomplis lors de la guerre de Troie, les personnages raciniens marqués par les stigmates de la malédiction des Atrides jalonnée de crimes, trahisons, vengeances et sacrifices humains – tentent de se reconstruire tout en s’efforçant de rebâtir leur empire. D’autant que les braises encore brûlantes d’un conflit dont chacun doute qu’il soit clos, peuvent à chaque instant ranimer le feu. La guerre ne détruit pas seulement des vies biologiques, elle ruine encore les vies psychiques des âmes rescapées. 

Derrière le verbe du poète qui brandit l’étendard de l’Amour : « Je vous offre mon bras. Puis-je espérer encore/ Que vous accepterez un cœur qui vous adore ? » (Pyrrhus à Andromaque) se cache une guerre éternelle, traumatique et exacerbée des égos. C’est à qui satisfera le plus et le plus vite son orgueil, ses caprices, ses besoins de domination, ses ruses de vengeance, ses manipulations. « Que je me perde ou non, je songe à me venger » (Hermione).

Andromaque photo 2
Copyright : Simon Gosselin

Pour traduire ce mal-être, cette désorganisation des êtres, ces blessures guerrières indélébiles, Stéphane Braunschweig brise les repères habituels de société. Dans sa mise en scène, les femmes n’exhalent plus leurs charmes féminins mais revêtent des attitudes bien masculines. Toutes de noir vêtues jusqu’au brun de leurs cheveux (à l’exception d’Andromaque, seul personnage pur), ces dames de tragédie se meuvent en pantalons. Hermione (Chloé Réjon), personnage machiavélique, se déplace en rangers et badine avec l’amour comme un homme avide de pouvoir use de politique. On voit ainsi la fille d’Hélène et de Ménélas servir un verre d’alcool à Oreste sans l’élégance de son sexe, mais au contraire, avec la rigueur stratégique d’un officier de l’armée de terre…

Andromaque photo 4
Copyright : Simon Gosselin

En outre, le couple potentiel principal d’Andromaque (Bénédicte Cerutti) et de Pyrrhus (Alexandre Pallu) est présenté en totale disharmonie. A aucun moment, la séduction ne peut être, en l’occurrence, le maître-mot de ce duo, de telle sorte que le spectateur n’imagine, ni même ne souhaite imaginer, un amour possible entre les deux protagonistes. Le souverain d’Épire confié à un acteur de grande taille avec un jeu empreint d’une rage véhémente et prolixe, s’éprenant d’une Andromaque frêle, diaphane et discrète, étouffe toute rêverie romantique.

Andromaque photo 6
Copyright : Simon Gosselin

Enfin, l’interprétation des vers de Jean Racine rompt avec la musicalité originelle du texte. Le fils d’Achille – lequel assassina Hector, roi de Troie et époux d’Andromaque – en treillis kaki, se présente en effet comme un guerrier rustre, débordé par sa fureur. Avide d’amour plus qu’aimant, il réclame son dû – Andromaque, sa captive – par la force, comme un objet de convoitise, presque un mérite, plus que par une inclination amoureuse et sensible. Il est prêt à brûler tous ses vaisseaux en entrant en guerre contre son propre camp pour obtenir l’ « objet » de son désir, prêt à aimer, éduquer, élever jusqu’au fils de sa belle ennemie… mais prêt à le tuer aussi, s’il n’obtient pas son « jouet ». Amour ? Caprice ? Folie ?…

Oreste (Pierric Plathier) ambassadeur des Grecs et fils du roi Agamemnon, est certes amoureux d’Hermione, ce qui n’est pas réciproque, mais évoque surtout ici, par son jeu, l’attitude d’un émissaire concret, efficace, stratégique, en articulant les vers aussi bien que la prose ! Conseillé par Pylade (Jean-Baptiste Anoumon), son ami et confident, tout aussi agile orateur, les deux personnages s’organisent et s’unissent pour gagner la « partie ». 

Hermione (Chloé Réjon) aussi réclame son droit, sa promesse d’hymen avec le roi d’Épire. Personnage le plus pervers et le plus diabolique, elle manipule, exige, calcule, pousse jusqu’au crime avec un sang glacial et un œil luciférien !

Andromaque photo 9 1
©Nathalie Audin

Sacré bras de fer de Stéphane Braunschweig qui réussit à mettre en lumière, sans changer un mot de la langue de Racine, simplement par sa mise en scène (décor, costumes, direction d’acteurs…) la haine plutôt que l’amour ; qui présente les belligérants comme les véritables victimes d’un contexte sociétal qui les dépasse ! Dans ce parti pris, l’amour est un combat, une négociation, une guerre d’intérêts, une force obscure, un outil de déraison…

Un jeu d’échec où le cœur échoue, parce qu’un peuple porté au front, même vainqueur, est un peuple qui perd la face en détruisant ses… racines !

À méditer !

Nathalie Audin

2 juillet 2024

Mise en scène et scénographie : Stéphane Braunschweig

Distribution

Andromaque : Bénédicte Cerutti

Pyrrhus : Alexandre Pallu

Hermione : Chloé Réjon

Oreste : Pierric Plathier

Pylade : Jean-Baptiste Anoumon

Cléone : Clémentine Vignais

Phoenix : Jean-Philippe Vidal

Céphise : Boutaïna El Fekkak

Imprimer
Cookies
Nous utilisons des cookies. Vous pouvez configurer ou refuser les cookies dans votre navigateur. Vous pouvez aussi accepter tous les cookies en cliquant sur le bouton « Accepter tous les cookies ». Pour plus d’informations, vous pouvez consulter notre Politique de confidentialité et des cookies.