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Festival de Salzbourg 2024 — La Clemenza di Tito ou le pardon inutile

Festival de Salzbourg 2024 — La Clemenza di Tito ou le pardon inutile

lundi 5 août 2024

© SF/Marco Borrelli

La nouvelle production de la Clemenza di Tito dans la mise en scène de Robert Carsen a connu sa première lors du Festival de la Pentecôte de cette année. Elle est reprise pour six représentations dans le cadre du Festival d’été. L’ensemble instrumental et vocal Il canto d’Orfeo et les Musiciens du Princes – Monaco sont placés sous la direction de Gianluca Capuano.

Caterino Mazzolà avait composé son livret, qui glorifie l’absolutisme, à partir de Métastase et de La vie des douze Césars de Suétone. Son texte met en relief la question de la bonne gouvernance, une question qui était d’actualité en 1791 lors de la création de l’œuvre et qui reste d’une actualité brûlante aujourd’hui : elle est notamment au cœur de l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021 à Washington par les partisans de Trump, des récentes élections françaises et de la lutte pour le pouvoir aux États-Unis. En situant l’action au 21ème siècle, la mise en scène de Robert Carsen s’est attachée à mettre en évidence les résonances contemporaines de cet opéra éminemment politique qui s’interroge sur les enjeux du pouvoir.

Robert Carsen souligne que deux conceptions du pouvoir s’affrontent dans l’opéra: Vitellia, dévorée par la haine, revendique le pouvoir pour elle-même et, pour y arriver, veut épouser Titus et retrouver ainsi le statut social qu’elle a perdu. Dotée d’un ego aux dimensions colossales, elle se livre aux manigances les plus retorses et ne recule devant rien pour  arriver à ses fins ; Titus, humaniste libéral, se préoccupe davantage des exigences du peuple et de l’amélioration de ses conditions d’existence que de l’exercice de son propre pouvoir à des fins personnelles. Le parallèle avec l’actualité est évident. Carsen relève un autre aspect du livret, lui aussi actuel : la référence au personnage historique de Titus, qui régnait à l’époque de l’éruption du Vésuve et qui s’est efforcé — notamment en investissant son propre argent — de diminuer les souffrances du peuple. Le super volcan des Champs Phlégréens situés à l’ouest de Naples et du Vésuve, connaît ces derniers temps une activité volcanique intense, qui suscite l’inquiétude tant des populations que des autorités italiennes régionales et nationales. 

Malgré la dichotomie évidente des personnages de Vitellia et de Titus, Robert Carsen voit La clemenza di Tito comme une œuvre ambivalente, ce qui correspond bien à son approche personnelle : ” J’apprécie l’ambiguïté. Pour moi, ce ne sont pas seulement les contrastes noir-blanc, mais aussi les nuances de gris, les notes subtiles d’un morceau, qui sont particulièrement intéressantes”. Ces notes sont généralement mises en valeur dans les opéras de Mozart : ” Mozart traite ses personnages avec beaucoup d’amour et d’estime. “

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© SF/Marco Borrelli

Fifty shades of grey. Cinquante nuances de gris. L’action se situe dans un lieu aux murs et au mobilier en camaïeu de gris qui au gré de transformations minimes figure tantôt la salle du Sénat, parfois surmontée des tribunes qui peuvent accueillir le peuple, tantôt le bureau de l’empereur. Les tables et chaises du Sénat sont disposées en U, deux écrans latéraux sont placés de part et d’autre du lieu de réunion. Un décor d’avant-scène, qui permet les changements de décor sans interruption, figure une grande porte  qui donne accès à la salle sénatoriale. Des personnages sérieux et affairés en costumes sombres, gris ou noirs, munis de téléphones et d’ordinateurs portables, porteurs de cartes électroniques ouvre portes, semblent se livrer à des activités pressantes. Seuls quelques-uns des protagonistes se détachent de l’ensemble par des vêtements de couleurs : Vitellia avec ses chemisiers violet ou blanc, Annio en complet blanc cassé, Servilia porteuse d’un jupe dorée, Publio en costume bleu foncé. 

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© SF/Marco Borrelli

Selon le livret, à la fin de l’acte I, Vitellia pousse Sesto à l’irréparable, les conjurés mettent le feu au Capitole. Robert Carsen figure ce soulèvement en faisant projeter des vidéos de l’invasion du Capitole washingtonien par les troupes de Donald Trump sur l’ensemble du décor ainsi que sur les deux écrans. C’est d’un effet saisissant. Au deuxième acte, la culpabilité de Sesto est prouvée par les moyens contemporains de la reconnaissance visuelle : des caméras ont filmé la prise du Capitole, Sesto est identifié comme l’instigateur du mouvement. Robert Carsen modifie la scène finale du deuxième acte : après que Vitellia a renoncé à l’amour et au pouvoir, elle change brutalement son fusil d’épaule ; ses partisans ont envahi la scène et les tribunes d’arrière-scène, Sesto est arrêté, Vitellia prend le pouvoir et fait assassiner Tito. Inutile clemenza, le pardon a été inutile.  Terrible miroir de notre temps, la conclusion de Carsen s’alimente des tristes réalités des dictatures contemporaines. La probité, le désintéressement, le sens du service et du bien public, la clémence ne sont pas d’actualité. L’ont-ils jamais été ?

Gianluca Capuano dirige son premier opéra de Mozart et sa sixième production d’opéra à Salzbourg. Il considère la Clemenza comme une œuvre ambivalente : d’une part, un hommage à l’apogée de l’opera seria métastasien, d’autre part, une œuvre moderne et tournée vers l’avenir, tant dans la structure formelle que dans les harmoniques. Ainsi des aspects presque proto-romantiques de la fin de de l’acte I. Un trio très rapide, puis immédiatement un grand récitatif accompagnato de Sesto, puis directement le final. La modernité est présente dès le début, avec le duo d’entrée. Gianluca Capuano dirige avec une vivacité soutenue les Musiciens du Prince-Monaco, qu’il a fondés de concert avec Cecilia Bartoli en 2016, et qui jouent avec un sens de la nuance d’une subtilité raffinée sur des instruments d’époque.  L’ensemble instrumental et vocal Il Canto di Orfeo, également fondé par Gianluca Capuano en 2005 et préparé ici par Jacopo Facchini, laisse entendre d’exquises sonorités. Fruit d’une collaboration de longue date, la cohésion musicale est extraordinaire, d’une beauté confondante, elle est à l’aune de la qualité remarquable de chacun des interprètes.

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© SF/Marco Borrelli

La distribution est elle aussi exceptionnelle, homogène et complice. Riche d’une carrière de plus de 35 ans, Cecilia Bartoli chante Sesto depuis 1994, avec un enregistrement CD paru chez Decca. Mais jusqu’à cette année, elle n’avait jamais abordé le rôle sur scène. Le rôle est d’une difficulté extrême. Écrit à l’origine pour un castrat, il exige une tessiture de plus de deux octaves. Cecilia Bartoli lui apporte sa musicalité et sa théâtralité légendaires, son imagination nourrie par une recherche intense, sa profondeur de sentiments, la chaleur de son charisme. Elle rend avec un sens de la nuance inégalé la complexité de ce personnage écartelé entre les exigences versatiles de la femme qu’il  aime et sa loyauté à l’égard de Tito, empereur et ami. Grand chanteur (entre autres) mozartien, Daniel Behle, a remporté le titre OPUS de chanteur de l’année en 2020 avec son album « MoZart ». Il campe avec prestance et dignité le rôle difficile de Tito, ce personnage médaillé d’or pour sa probité, son sens du devoir et son indulgente bonté. Doté d’une projection impeccable, il excelle dans les longs récitatifs qu’il rend avec une grande force expressive et que le public suit avec une attention soutenue. Alexandra Marcellier campe une fascinante Vitellia, son excellent jeu d’actrice la rend parfaitement perverse, intrigante et manipulatrice, odieuse en un mot comme en cent. Titrée « Révélation » aux Victoires de la Musique classique 2023, jeune et talentueuse, tenant magistralement sa partie dans la cour des grands, elle avait déjà interprété le rôle en 2022/2023 avec Cecilia Bartoli et les Musiciens du Prince. Robert Carsen s’est volontairement détourné des rôles en pantalon, refusant de travestir Cecilia Bartoli en homme, tout en lui laissant porter complet veston, ce qui donne un côté ambigu intense et troublant aux scènes de séduction au cours desquelles Vitellia exerce ses charmes rapprochés sur un Sesto ensorcelé, sans doute aussi par la perfection des colorature de la soprano. La même ambiguïté se retrouve dans les amours d’Annio et Servilia, chantées elles aussi par deux femmes. Anna Tetruashvili donne un Annio solaire, éclatant de ferveur. La jeune mezzo-soprano israélienne qui a fait cette année le bonheur des spectateurs munichois du Teater-am-Gärtnerplatz accumule les distinctions. La ravissante Raphaëloise Mélissa Petit était elle aussi de la partie dans la version concertante de la Clemenza de Salzbourg en 2021. Sa Servilia reçoit une acclamation soutenue. Son grand air de l’acte II, “S’altro che lagrime”, avec ses aigus lumineux et assurés, est un moment de pur bonheur. Enfin Ildebrando D’Arcangelo prête son physique impressionnant et sa basse solide au capitaine de la garde prétorienne Publio. 

Une mise en scène clairvoyante, une direction d’orchestre informée, un plateau de rêve et des musiciens accomplis ont rendu palpitant cet opéra qui ne l’est pas nécessairement. Un chef d’œuvre du genre

Luc-Henri ROGER
5 aout 2024

Wolfgang Amadeus Mozart (1756 – 1791)

La clemenza di Tito
Opera seria en deux actes KV 621 (1791)
Livret de Caterino Tommaso Mazzolà
d’après le drame musical de Pietro Metastasio


Direction musicale :  Gianluca Capuano
Mise en scène et lumières :  Robert Carsen 

Lumières :  Robert Carsen et Peter Van Praet

Décors et costumes :  Gideon Davey

Vidéo :  Thomas Achitz

Chorégraphie :  Ramses Sigl


Distribution 

Tito : Daniel Behle

Vitellia : Alexandra Marcellier

Servillia Mélissa Petit

Sesto : Cecilia Bartoli

 Annio : Anna Tetruashvili

 Publio : Ildebrando D’Arcangelo

Il canto di Orfeo, Les Musiciens du Prince – Monaco

Crédit photographique © SF/Marco Borrelli

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