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Festival de Pâques Baden Baden avril 2025 : Sous les cerisiers en fleurs, une « BUTTERFLY » émouvante et d’anthologie, cadeau d’adieu sublime des Berliner Philharmoniker à Baden-Baden

Festival de Pâques Baden Baden avril 2025 : Sous les cerisiers en fleurs, une « BUTTERFLY » émouvante et d’anthologie, cadeau d’adieu sublime des Berliner Philharmoniker à Baden-Baden

samedi 12 avril 2025

Monika Rittershaus du Festspielhaus BADEN BADEN

Que d’émotion dans cette nouvelle production de Madame Butterfly au Festival de Pâques 2025 à Baden-Baden !!!

Personnellement, je dois avouer que je n’ai jamais vécu de moments aussi sublimes et touchants dans un opéra que dans cette représentation de Butterfly et il me semble difficile qu’un jour cette œuvre de Puccini puisse être mise en scène sous une forme plus parfaite. Oui ! ce soir on a touché la « perfection », grâce à la mise en scène intelligente de Davide Livermore, des voix exceptionnelles (jusque dans les seconds rôles), d’un Orchestre Philharmonique de Berlin exceptionnel, sous la direction tellement inspirée de leur chef Kiirill Petrenko. Toutes les étoiles étaient alignées pour un spectacle exceptionnel. La magie de la musique de Puccini a ainsi opéré magnifiquement.

Pour sa première mise en scène à Baden-Baden, le metteur en scène italien Davide Livermore a choisi de placer l’action de l’opéra en 1978, tout en conservant les traditions (cerisiers en fleurs, kimonos….), dans un espace scénique soigneusement éclairé où les ombres ondulantes se mêlent aux projections silencieuses. Sa mise en scène se déploie comme une toile d’images et de symboles. Rien n’est superflu :chaque objet et chaque projection suivent un concept finement équilibré. Il nous offre un monde poétique dans lequel le tragique et le tendre se heurtent.

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©Monika Rittershaus

La scène s’ouvre dans un décor un peu lugubre de Nagasaki. Le fils (Dolore) de Cio-Cio-San, désormais adulte, quitte l’Amérique et arrive au Japon pour retracer ses racines familiales. Dans une scène spécialement ajoutée, il rencontre Suzuki, très âgée, autrefois fidèle servante de sa mère. À travers des photographies, des dessins enfantins et des souvenirs, l’histoire tragique de Cio-Cio-San lui est révélée dans un long flashback détaillé à l’aide des vidéos de D-Wok, complice du metteur en scène. Ce dispositif ne gêne en rien le plaisir de l’histoire, bien au contraire, il ajoute un élément d’émotion supplémentaire. Les vidéos de D-Wok sont magnifiques : arbres en fleurs, ciels nuageux, cercle rouge du soleil, montagnes plongées dans la brume, tandis que Gio Forma (décorateur) crée une scénographie simple mais efficace : une structure avec des murs en bois stylisés et des panneaux mobiles et transparents, qui changent constamment accentuant le tumulte intérieur de l’intrigue. Parfois l’espace s’ouvre pour créer des panoramas presque cinématographiques, et parfois il se referme comme dans l’acte 3 où la maison devient une cage-prison pour le « papillon Cio-Cio-San ». La mise en scène de Livermore comporte des moments de magie d’une rare beauté (lorsque la robe de Butterfly se transforme en un instant derrière le drapeau étoilé et à rayures qui tombe du plafond. De même, le moment du déshabillage pour la première nuit d’amour, une scène abordée avec beaucoup d’élégance par le metteur en scène qui place une autre Butterfly, avec un masque dans les bras de Pinkerton, préservant ainsi la pureté de l’amour de l’ex-geisha. Et dans la scène finale, le drapeau américain que l’on voit flotter en lambeaux dans l’eau dans les vidéos du dernier acte, devient le linceul de Butterfly, sacrifiée….Un moment d’une émotion extrême…

La puissance dramatique et émotionnelle ressentie lors de cette « Butterfly d’anthologie » vient de la liaison cohérente de tous les éléments artistiques et de l’équipe de direction partageant une vision commune : Livermore comme source d’inspiration intelligente,  Giò Forma avec son univers scénique transformateur, et Mariana Fracasso dans ses magnifiques costumes, D-Wok avec le concept vidéo visuellement puissant, mais toujours bien intégré dans l’histoire de l’œuvre de Puccini.

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©Monika Rittershaus

Comme on pouvait s’y attendre, Kirill Petrenko a livré une performance magistrale au podium, en interprétant la partition comme une calligraphie japonaise. Du premier scintillement des cordes jusqu’au dernier accord qui s’estompe, le public a été captivé par une tension entre le son et le silence, entre la beauté extatique et le désespoir le plus profond. Dès le début, la partition est débarrassée de toute mièvrerie présumée, de tout sentimentalisme, de tout « puccinisme», car ce soir avec les Berliner, nous écoutions de la musique « moderne » du XXe siècle, épurée et dramatiquement efficace. La musique de Butterfly contient une violence sous-jacente qui explose en véritables éruptions instrumentales, dans la scène d’amour de l’acte 2, lorsque l’orchestre émet un fortissimo perçant ou lorsque les timbales annoncent par leur battement que Pinkerton ne reviendra jamais. Et surtout, le moment du troisième acte où Cio-Cio-San apprend que l’on veut lui enlever son enfant est impressionnant. Pour le reste, les sonorités sont superbes, les fioritures exotiques magnifiquement recrées, les délicats moments de bois semblaient venir d’un seul instrument : tout était parfait, rien ne manquait. Puis, le célèbre chœur fredonné de la fin du 2e acte devenait une méditation flottante : chœur et orchestre fusionnaient dans un murmure, comme si un voile sonore descendait sur Nagasaki la nuit. C’était tout simplement un moment magique de calme dans lequel la musique semblait presque respirer. Oui, dans les mains de Petrenko, la partition était devenue une carte d’émotions, chaque mesure devant une nouvelle facette et une réflexion sur la fragilité de l’espoir.

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©Monika Rittershaus

Il est vrai, que dans un tel environnement orchestral si richement nuancé, les chanteurs ont pu s’épanouir idéalement. Surtout Eleonora Buratto, dans le rôle-titre de Cio-Cio-San a établi des performances. Avec une maîtrise vocale impeccable, une clarté surnaturelle dans sa voix, elle incarnait si parfaitement la jeune geisha, jeune fille innocente, qui enflammée par l’amour sacrifiera tout. Le soprano d’Eleonora Buratto possède à la fois une chaleur envoûtante et la pureté d’un son de cloche, chaque phrase respirant naturellement. Elle donnait à chaque scène la nuance juste ; quand Cio-Cio-San rêvait de son amour, le timbre de Buratto brillait d’espoir, presque d’une tendresse enfantine. Dans les moments d’humiliation ou de peur, un ton plus sombre brillait. Son grand air « Un bel dì, vedremo » du deuxième acte était particulièrement inoubliable, restant le point culminant émotionnel de la soirée. Eleonora Buratto a évoqué d’une voix rayonnante et pleine d’espoir cet air des futures retrouvailles avec son amant, décrivant une illusion de bonheur si délicate et si belle. Le public écoutait avec un silence religieux et applaudissait frénétiquement à la fin de l’air. Enfin, dans l’acte final, lorsque Butterfly réalisait que tout espoir était vain, Eleonora Buratto apportait dans sa voix à la fois désespoir et sublime fierté. Dans les scènes d’adieu, (la douce berceuse pour son enfant et le murmure brisé « Con onor muore » peu avant le suicide) elle chantait avec une intensité émouvante qui faisait monter les larmes. Ce soir-là, Eleonora Buratto a démontré une perfection vocale et dramatique, rendant cette Butterfly inoubliable, un vrai symbole de l’art lyrique intemporel.

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©Monika Rittershaus

A ses côtés, le personnage méprisable du lieutenant BF Pinkerton était tenu par le ténor  Jonathan Tetelman qui a brillé dans ce rôle du lieutenant BF Pinkerton avec un ténor à la fois puissant et lyrique. Il ne faisait rien pour que son personnage « macho » devienne plus moralement acceptable, mais utilisait son splendide instrument vocal et ses prouesses physiques pour rendre plausible l’amour de la jeune Japonaise pour le fringant « Yankee ». Spécialisé dans le répertoire italien, le ténor américano-chilien (il fut un magnifique Stiffelio à l’Opéra National du Rhin, il y a quelques années) relevait le défi avec une interprétation éclatante, ses aigus éblouissants tenus encore plus longtemps que ne le prévoyait la partition. On pouvait comprendre pourquoi Cio-Cio-San était tombée amoureuse de ce timbre qui possédait cette douceur mielleuse qui fait que le héros de cet opéra apparaît à la fois séduisant et trompeur. Même si Pinkerton est un personnage moralement discutable, Jonathan Tetelman a fait tout son possible pour lui donner au moins vers la fin, des remords humains. Dans le duo amoureux du premier acte (« Viene la sera »), son ténor caresse la soprano de Butterfly avec une infinie douceur, donnant à la scène un beau romantisme sans jamais paraître kitsch. Et puis, dans le troisième acte, lorsque Pinkerton revient à Nagasaki et réalise l’ampleur de sa trahison, Tetelman intensifiait encore son jeu, une grande émotion se dégageant de son chant. Dans l’air « Addio, fiorito asil », avec lequel Pinkerton fait ses adieux à leur maison commune, Tetelman façonnait chaque syllabe avec un remord douloureux. Transformant le séducteur insouciant en coupable brisé de manière impressionnante vocalement, surtout quand il criait désespérément à la fin « Butterfly, Butterfly »…

Les seconds rôles étaient également excellents, véritables piliers du drame musical avec un très bon Tassis Christoyannis donnant  au Consul Sharpless une intensité et une profondeur émotionnelle inhabituelles. Avec son baryton chaleureux et fluide, son timbre chatoyant, il a dépeint Sharpless comme un ami compatissant une sorte de voix de la conscience. Son chant sonnait agréablement rond et paternel, tel un bon père de famille, qu’il maintiendra tout au long de la soirée. Sa présence scénique et saisissante associée à des lignes mélodieuses et cantabiles, ont rendu l’impuissance de Sharpless face à la catastrophe imminente d’une clarté déchirante.

Non moins impressionnante était Teresa Iervolino dans le rôle de Suzuki, la fidèle servante et confidente  de Butterfly. Sa voix chaleureuse de mezzo-soprano a peint l’image d’une femme compatissante mais qui agit également de manière pragmatique. Iervolino a conçu une Suzuki très convaincante, avec un phrasé clair et une noble simplicité . Sa voix était pleine et ronde, sa performance concentrée et confiante. Dans les duos avec Cio-Cio-San – comme le délicat duo fleur-fleur, lorsque toutes deux décorent la maison de fleurs – elle s’harmonisait intimement avec Buratto, leurs voix fusionnant dans une sonorité tonale, soprano et mezzo-soprano. Elle a chanté Suzuki avec beaucoup d’emphase et une dévotion inébranlable.  

Dans le petit rôle de Kate Pinkerton, Lilia Istratii avec son timbre brillant et sa digne réserve, a donné un portrait doux et compréhensif de l’épouse américaine. Didier Pieri, dans le rôle du courtier matrimonial Goro, a trouvé exactement le ton juste d’un opportuniste lisse et quelque peu louche : son ténor sonnait brillant et plein de caractère lorsqu’il arrange le mariage arrangé et s’enfuit plus tard lâchement. Aksel Daveyan a donné au riche prince Yamadori une touche de dignité et de mélancolie avec son baryton bien sonore. Giorgi Chelidze, quant à lui, laissa sa voix de basse tonner de manière terrifiante dans le rôle d’Oncle Bonzo.

Il convient également de mentionner la contribution du Chœur philharmonique tchèque de Brno , qui a apporté une richesse sonore et une densité atmosphérique.

C’était une soirée qui a montré ce que l’opéra peut idéalement être : une œuvre d’art totale, un drame profondément humain, où beauté, émotions, performances musicales et vocales battaient à l’unisson. Quel beau cadeau d’adieu offert par les Berliner Philharmoniker au Festspielhaus de Baden-Baden, après 12 ans de merveilleuse contribution musicale, car ils vont retourner dorénavant à Salzburg.

Marie-Thérèse Werling
12 avril 2025

Direction : Kirill Petrenko 
Mise en scène : Davide Limermore 
Video : D-Wok 
Décors : Gio Forma 
Costumes : Mariana Fracasso
Lumières : Flammetta Baldisseri 

Cio-Cio-San : Eleonora Buratto 
Pinkerton ; Jonathan Tetelman 
Suzuki : Teresa Iervolino 
Sharpless : Tassis Christoyannis 
Kate Pinkerton : Lilia Istratil 
Goro : Didier Pieri 
Le Prince Yamadori : Aksel Daveyan 
L’oncle bronze : Giogi Chelidze 


Berliner Philharmoniker
Chœur du Tschechischer Philharmoniker de Brno

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