Cette année, à l’occasion de la 78e édition du Festival de Bregenz, c’est Le Freischütz, opéra romantique par excellence de Carl Maria von Weber qui est programmé pour la première fois sur le lac et revisité par le même metteur en scène que le Rigoletto de 2019-2020, très spectaculaire et surtout très apprécié du public.
Le décor réalisé par le metteur en scène et décorateur Philipp Stölzl, représente un village gothique, pauvre et délabré dans un paysage hivernal, fantomatique et sinistre, avec des collines enneigées, des petites maisons en bois, des arbres dénudés. Un clocher de plus de 12 m de haut, à moitié démoli et en ruines suite aux destructions et aux brutalités de la guerre de 30 ans, émerge du lac gelé.
Les décors sont grandioses, d’autant plus que la scène panoramique est plus large et moins élevée que dans les productions précédentes. De plus, une lagune artificielle de 1.400 m2 a été construite (contenant plus 500.000 litres d’eau) car dans ce Freischütz de Bregenz, les artistes ne sont pas seulement sur l’eau mais aussi dans l’eau !!! Quelle prouesse ! Philipp Stölzl a voulu ce décor avec l’eau qui parle des peurs du diable et aussi dans cette eau sombre, certaines choses apparaissent et disparaissent.
Dès que les spectateurs prennent leur place, on entend déjà des corbeaux, des chouettes, le vent qui hurle… ce qui ajoute du fantastique au décor. Des hommes creusent une tombe, puis arrive l’enterrement, mais le curé, brusquement défroqué, se révèle en fait être le diable sous les traits de Samiel. L’horloge du clocher se met alors à tourner à l’envers, pour simuler le flash-back et le village s’anime.
Mais où est la musique de Carl Maria von Weber dans tout ça ?? On sait que Bregenz est tenu à des contraintes d’horaire (la durée du spectacle ne devant pas dépasser plus de 2heures). Mais cela justifie-t-il de couper des textes comme le premier air d’Agate, à ajouter des musiques additionnelles composées par Ludwig Frenzel (avec accordéon ??), à recouper le second air d’Agate, et surtout dans l’ouverture, la partie la plus connue et aussi la plus attendue. En fait, Stölzl a trahi l’œuvre originale.
Il y a donc pour cette production plus à dire sur la mise en scène que sur la musique (presque absente). C’est du grand spectacle entre Harry Potter, Jurassik Park avec le dragon qui apparaît, disparaît, crache du feu. Quelques scènes sont très frappantes : la danse des villageois, les mouvements accélérés de l’horloge du clocher, une charrette fantôme, le cercle de feu entourant Kaspar dans la scène de la Gorge aux Loups, l’incendie du village, le réveil d’Agate de son cauchemar dans son lit au milieu du marécage. Alors pourquoi donc tant de kitsch ?? L’’air d’Ännchen est accompagné de natation synchronisée façon Esther Williams, éclairée par une lune mauve. La pauvre Agate est atteinte d’hystérie sur son lit pendant la nuit d’orage. Puis ce Christ en croix occupant toute la surface de la lune avec un agneau et un œil maçonnique, l’arrivée du Prince Ottokar déguisé en Louis de Bavière, dans un char style « conte de fées » et cerise sur le gâteau : à la fin l’ermite habillé en Vierge dans un manteau bleu parsemé d’étoiles. Le metteur en scène Stölzl a expliqué qu’il voulait d’une part que le Freischütz soit abordable pour des personnes qui vont à l’opéra pour la première fois, avec des effets cinématographiques d’horreur, beaucoup de texte parlé, et peu d’arias. Il a donc décidé, secondé par Jan Dvorak, de réécrire entièrement le texte parlé de l’opéra. Où est le respect de l’œuvre de Carl Maria Von Weber – n’appelons pas ça un opéra mais une comédie, un show !!!!
Côté plateau vocal (si peu) comme tous les ans, trois distributions alternent et pas toujours égales vocalement. Et aussi du fait de la sonorisation, il est difficile de donner une appréciation sur la voix des chanteurs (surtout qu’ils ne chantaient pas beaucoup). Mandy Fredrich est une Agate plutôt enjouée, avec un beau timbre puissant (dommage de n’avoir pu l’apprécier plus longuement). Hanna Herfurtner campe une Ännchen solide scéniquement avec vocalement des nuances plus sombres. Rolf Romei incarne Max, le chasseur naïf et maladroit. Avec une petite voix de ténor, au vibrato léger, il ne convainc pas. Johannes Kammler est tout à fait crédible dans le rôle d’Ottokar. Les autres rôles sont tenus de façon convaincante : Franz Hawlata est un Kuno fantasque, David Steffens est parfait dans celui de Kaspar, quant à Philippe Spiegel, c’est un joyeux Killian. Frederic Jost est un ermite de luxe, brillant.
La palme revient à Niklas Wetzel qui incarne avec succès le rôle parlé de Samiel. Il est diabolique à souhait, manipule les personnages tel un magicien. Omniprésent sur scène, il s’exprime tantôt du haut du clocher, tantôt dans un arbre mort.
Du point de musical, on aurait voulu entendre plus de musique de Carl Maria von Weber. La cheffe Erina Yashima a dirigé l’Orchestre Symphonique de Vienne à l’intérieur du Festspielhaus, de façon correcte. La musique était diffusée à l’extérieur par un système de sonorisation spatialisée, considérée comme étant la meilleure au monde, mais pour cette production, elle semblait de moins bonne qualité que les années précédentes, surtout en ce qui concernait les voix.
Somme toute, ce fut un grand spectacle populaire, avec des effets spéciaux prodigieux, mais les applaudissements du public étaient bien tièdes.
Marie-Thérèse Werling
30 juillet 2024
Dialogues de Jan Dvořák
Concept Philipp Stölzl
Distribution :
Ottokar : Johannes Kammler
Kuno : Franz Hawlata
Agate : Mandy Fredrich
Ännchen : Hanna Herfurtner
Kaspar : David Steffens
Samiel : Niklas Wetzel
Max : Rolf Romei
1 ermite : Frederic Jost
Kilian : Philippe Spiegel
Direction Musicale : Erina Yashima
Chœur Philharmonique de Prague et l’Orchestre symphonique de Vienne