Le metteur en scène allemand Tobias Kratzer et son équipe ont (soi-disant) revisité cette année sur la « colline verte » la version de Tannhäuser de 2019.
Tellement décriée lors de la production de 2019 à laquelle j’avais assisté, la mise en scène bien que peu changée cette fois, je dois l’avouer, apparaît avec du recul plus « savoureuse ». Le travail de Tobias Kratzer reste l’un de ses plus accomplis, celui de mettre en scène une production totale entre l’intérieur et l’extérieur du Festspielhaus de Bayreuth, avec en plus un spectacle style « cabaret » pendant le 1er entracte sur le « Lac », situé au bas du Festspielhaus, avec Venus, le Gâteau Chocolat et le nain Oskar, qui de ce fait, devient partie intégrante de l’opéra. Sa vision de l’œuvre de Wagner est intelligente et surtout d’actualité : l’opposition de deux mondes celui des marginaux et des privilégiés où Tannhäuser va errer durant tout l’opéra, retraçant aussi en quelque sorte la vie de Wagner lui-même, à la recherche de sa voie. Un grand moment d’émotion également avec l’hommage rendu à Stephan Gould, qui a tenu le rôle de Tannhäuser en 2019, marquant Bayreuth de son immense talent pendant de nombreuses années et qui est décédé en septembre 2023.
Dans cette présentation, rien n’a vraiment changé depuis 2019. La camionnette Citroën vintage, avec toujours le lapin de « play boy » sur le toit, sillonne la forêt de Thuringe, offrant de beaux paysages, grâce à l’utilisation fort judicieuse de la vidéo par Manuel Braun. A son bord, Tannhäuser en tenue de clown d’une troupe de cirque, Vénus en combinaison pailletée, conduit la camionnette. Le nain Oskar avec son éternel tambour (clin d’œil au Tambour de Schlöndorff ) et l’interprète star du cirque, la drag queen « le Gâteau Chocolat » complètent cette délirante équipe d’artistes « révolutionnaires ». C’est ainsi que Tannhäuser libéré rejoint le Vénusberg, après avoir renié et rejeté l’ancien monde de la Wartburg, celui d’Elisabeth. Cependant, lorsque Vénus renverse volontairement un agent de la sécurité devant un « Burger King » qui les a surpris en train de siphonner de l’essence et de partir sans payer les sandwichs Tannhäuser revient à la réalité et rejette ce monde de plaisirs, d’interdits, descend de la camionnette et est ainsi encouragé par une cycliste d’aller à Rome pour demander le pardon. Puis la Citroën arrive sur scène, devant une maisonnette forestière, censée être la maison de Blanche-Neige (le Gâteau Chocolat y étant déguisé). Les comparses s’empressent de coller des affiches sur lesquelles on peut lire : « Frei im Wollen, Frei im Thun, Frei im Geniessen » (libre de vouloir, libre d’agir, libre de jouir) phrase écrite par Richard Wagner pendant la Révolution de 1848. Puis on les aperçoit devant la villa Wahnfried où ils croisent non pas des pèlerins, mais des spectateurs en tenue de soirée, ses amis habillés en chevaliers médiévaux. Elisabeth arrive également et gifle Tannhäuser. Ainsi s’achève le premier acte.
Le second acte est très classique, dans la tradition de l’ordre établi, mais entretient tout de même cette ambivalence entre le temps réel et la fiction. Un écran sur la partie supérieure de la scène montre une vidéo des interprètes dans les coulisses, avec un certain humour. La partie inférieure traditionnelle, représente la salle de la Wartburg, où se déroule le tournoi de chants. C’est bien le théâtre dans le théâtre avec l’arrivée impromptue des comparses, le Gâteau Chocolat en robe jaune éclatante et Oskar, jouant les troublions, grâce à l’échelle posée contre le balcon du Festspielhaus. Quant à Vénus, après avoir assommé une choriste pour lui voler sa tenue, elle perturbe sérieusement le bon déroulement du concours de chants et encourage Tannhäuser à chanter et à louer l’amour sensuel et charnel. Sur l’écran, on aperçoit Katarina Wagner appeler la police de Bayreuth, qui arrive à grand renfort, avec sirènes et gyrophares allumés pour arrêter Tannhäuser.
Durant la pause du 2e acte, le public découvre l’échelle avec la banderole dépliée du 1er acte. Un grand succès au vu des nombreux selfies des spectateurs.
Le troisième acte laisse place à la désolation, celle d’Oskar seul au milieu d’une décharge ou casse automobile, où gisent des carcasses de voitures accidentées et au milieu, la camionnette entièrement délabrée qui a servi au road trip. Oskar, offre à Elisabeth de partager son repas. Puis il déchire un morceau de l’affiche (pour un usage personnel) et part derrière la camionnette. Rires du public !!!.
Wolfram, quant à lui tente de consoler et séduire Elisabeth, déguisé grossièrement en Tannhäuser. Elle finit par céder et se donne à lui.
Cette sorte de no man’s land sert de décor au retour des pèlerins en guenilles de Rome, un Tannhäuser tout penaud, presque un clochard, le suicide sacrificatoire d’Elisabeth, tandis que Wolfram chante la très belle « Romance à l’étoile ». La scène tourne et l’on aperçoit un énorme panneau publicitaire montrant le Gâteau Chocolat posant pour une marque de montres de luxe. La dernière image montre Tannhäuser au volant de la Citroën avec Elisabeth, tendrement et amoureusement penchée sur son épaule, symboles d’un bonheur enfui et perdu…
La distribution entièrement renouvelée frôle la perfection avec la somptueuse soprano norvégienne Elisabeth Teige, exceptionnelle, élégante et charismatique, dotée d’un timbre d’une beauté claire et limpide, donnant toutes les nuances nécessaires dans son entrée puissante et royale du second acte (Dich, Teure Halle) jusqu’à son émouvante prière au 3e acte (Allmächt’ge Jungfrau).
Le rôle-titre est tenu avec ardeur par le ténor wagnérien par excellence Klaus-Florian Vogt grâce à son timbre angélique d’une jeunesse inentamée (en dépit de ses 54 ans), son endurance (dans l’air du 3e acte récit de Rome) son souffle généreux et la souplesse infinie de son chant .
Ekatarina Gubanova campe une Vénus sexy, espiègle et virevoltante dont le ramage et le plumage s’accordent merveilleusement vocalement et scéniquement, sans jamais être vulgaire.
Le chant du baryton Markus Eiche dans le rôle de Wolfram est d’une beauté et d’un romantisme renversants tout au long de l’œuvre. Son aria du dernier acte « O du mein holder Abendstern » est d’une tendresse infinie, à faire monter les larmes aux yeux.
Siyabongo Maqungo campe un Walther von der Vogelweide à la voix charmante et très appropriée. L’autoritaire et impressionnant Günther Groissböck en Landgrave, le fougueux Olafur Sigurdarson complètent avec bonheur cette exceptionnelle et éblouissante distribution.
Quant aux excellents Chœurs du Festival, dont la prestation reste toujours d’une grande qualité, sont des partenaires à part entière, contribuant largement au triomphe de cette soirée, comme en témoigne la « standing ovation » très prolongée au moment des saluts.
Mais, c’est avant tout la haute qualité du chant et la musicalité de l’Orchestre qui dominent. La symbiose de la cheffe française Nathalie Stutzmann avec ses interprètes et la musique ne faiblit jamais tout au long de l’œuvre. Elle est parfaite dans sa maestria de la direction, équilibrée, bien précise, en phase avec la dramaturgie. D’un romantisme impétueux, d’une sensualité constante, elle déploie une belle sonorité dans ces vagues de cordes parfois furieusement déroulées, dans ces cuivres flamboyants. Elle sait éclairer tous les instruments . Du très grand art.
Cette année encore, la production revisitée de 2024 est d’un très haut niveau, vocalement, scéniquement. Le metteur en scène Tobias Kratzer Robias sait démontrer que l’on peut défendre l’opéra avec humour, distance mais aussi avec fidélité.
Un spectacle plaisant, très longuement et bruyamment applaudi par un public enthousiaste.
Marie-Thérèse Werling
Direction musicale : Nathalie Stutzmann
Metteur en scène : Tobias Kratzer
Vidéo : Manuel Braun
Chef de chœurs : Eberhard Friedrirch
Distribution :
Landgraf Hermann : Günther Groissböck
Tannhäuser : Klaus-Florian Vogt
Wolfram von Eschenbach : Markus Eiche
Walther von der Vogelweide : Siyabonga Maqungo
Biterolf : Olafur Sigurdarson
Heinrich der Schreiber : Martin Koch
Elisabeth : Elisabeth Teige
Venus : Ekatarina Gubanova
Oskar : Manni Laudenbach