Siegfried, deuxième journée du « Ring revisité » par Valentin Schwarz est surtout (à défaut de vraie et cohérente mise en scène) l’occasion de découvrir la prise de rôle par Klaus-Florian Vogt dans le rôle-titre sous la direction bien maîtrisée de la cheffe australienne Simone Young.
Cette deuxième journée s’ouvre sur la fête d’anniversaire de Segfried, pas très engageante, organisée par Mime déguisé en magicien et qui réchauffe une part de gâteau dans un micro-ondes (sensé être la forge !!!). Siegfried, enfant terrible élevé par le peu recommandable Mime déballe ses cadeaux : une épée laser (Notung ?), qu’il s’empresse de détruire. L’intérieur de cette maison ayant appartenu à Hunding est assez lugubre : un ensemble de poupées qui figurent les amis de Siegfried, des sacs en plastique en guise de baldaquins. Valentin Schwarz remplace la scène de la forge par jeu complexe où l’arme légendaire Notung apparaît à l’intérieur d’une béquille sur laquelle s’appuie Mime, façon canne-épée.
Hagen en « golden boy » assiste Fafner en vieillard victime d’une crise cardiaque, allongé sur lit médicalisé, sous perfusion et respirateur. L’oiseau de la forêt déguisé en infirmière, Erda habillée telle une SDF complètent cette étonnante galerie de personnages farfelus. Tout au long de cette scène passe de main en main, ce pyramidion lumineux qui symbolise, depuis le prologue, la toute-puissance des dieux !!!
Autre détail incohérent, Brünnhilde surgit d’une autre pyramide, emmaillotée dans des bandelettes de momie, rescapée d’une chirurgie esthétique (figurant dans la Walkyrie). Siegfried lui enlève ses bandelettes et étant ainsi éternellement jeune, elle peut se jeter dans les bras de Siegfried, non sans avoir attisé la jalousie de Grane (son fidèle cheval interprété par un figurant ????). Toute la fin du 3e acte avec la découverte réciproque de l’amour par Brünnhilde et Siegfried n’est plus qu’une longue poursuite sans originalité à travers les escaliers où Brünnhilde monte et descend une pyramide, soulève un extincteur et redescend. Elle enlace Siegried, le pousse sur le lit médicalisé où agonisait Fafner, puis se jette sur lui (cela devait être la scène d’amour)… Le metteur en scène Valentin Schwarz a réussi à rendre le tout confus, son message perd en lisibilité, en sensibilité, en romantisme. Dommage, le ridicule et l’incohérence de ce Ring risquent bien d’être de ceux, dont on ne se relève pas.
Heureusement, la musique de Wagner est toujours aussi belle et puissante car dans Siegfried (et surtout dans le 2e acte) les cuivres et les vents sont à l’honneur. Leur timbre rauque, rude et tellement dense mais sublimé par l’acoustique miraculeuse du Festspielhaus Bayreuth rend bien les profondeurs de l’antre du dragon (on cherche encore le dragon).
L’alchimie de tous ces ingrédients : acoustique exceptionnelle de la salle a donné force et confiance aux chanteurs dans cette aventure rocambolesque qu’est ce Siegfried hors du temps.
Klaus-Florian Vogt pour ses débuts dans Siegfried est tout simplement exceptionnel, apportant au personnage de Siegfried une naïveté d’adolescent, mais d’une fureur impétueuse. Sa profondeur du chant s’appuie sur ses qualités de ligne et de souffle qui s’épanouissent si naturellement. Sa performance est d’autant plus impressionnante qu’il avait chanté Tannhäuser la veille et se lancera dans le Crépuscule des Dieux, le lendemain soir. Un vrai « Helden Tenor » !!!
Catherine Foster est une Brünnhilde très convaincante scéniquement, un peu moins vocalement, notamment au début du 3e acte, passant un peu trop en force par moments. Mais elle réussit parfaitement le long duo avec Siegfried faisant preuve d’une belle endurance.
Okka von der Damerau incarne une Erda (malheureusement vêtue de haillons) avec constance et une belle intensité qui lui valent de longs applaudissements au salut final.
Quant à Alexandra Steiner, elle est un « Wald Vogel » frais et mutin mais possède une voix trop lourde pour ce rôle.
Tobias Kehrer est exceptionnel en Fafner. Bien que chantant dos à la scène une bonne partie du 2e acte, sa belle présence reste fort sonore et bien projetée.
La basse Tomasz Konieczny empoigne à bras-le-corps le rôle du Wanderer, auquel il confère une force et une ténacité plus que convaincantes, achevant ainsi son marathon de façon brillante (il était Wotan dans l’Or du Rhin et la Walkyrie).
Les deux autres grands triomphateurs de la soirée sont le formidable Mime, très acerbe de Ya-Chung-Huang et l’excellent Alberich d’une noirceur extrême d’Olafur Sigurdason. Ils sont tout simplement admirables dans des rôles complexes, à mi-chemin entre « parler et chanter ». Leur présence scénique accroche le spectateur à l’action durant toute leur prestation.
La direction musicale de Simone Young donne de la cohérence à l’action dramatique, mais on reste un peu sur notre faim dans le début du duo où l’émotion pointe à peine, mais sans jamais aboutir. Cependant les plans sonores et les timbres gagnent, au fur et à mesure, en profondeur et donnant ainsi une belle vigueur à l’ensemble de l’exécution.
Au tomber du rideau, une immense acclamation, des applaudissements fort bruyants accueillent l’ensemble du plateau exceptionnel, avec une attention particulière pour Klaus-Florian Vogt (tellement justifiée).
Marie-Thérèse Werling
24 aout 2024
Direction musicale : Simone Young
Metteur en scène : Valentin Schwarz
Distribution :
Siegfried Klaus-Florian Vogt
Mime Ya-Chung Huang
le Wanderer Tomasz Konieczny
Brünnhilde Catherine Foster
Alberich Olafur Siguardarson
Fafner Tobias Kehrer
Erda Okka von der Damerau
Le Waldvogel Alexandra Steiner
Festspielorchester Bayreuth