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Festival de Bayreuth 2024 : De Glace et de Feu

Festival de Bayreuth 2024 : De Glace et de Feu

dimanche 18 août 2024

Crédit photographique © Bayreuther Festspiele /Enrico Nawrath

Le petit monde des wagnériens attendait de pied ferme le Tristan et Isolde confié au metteur en scène Islandais Thorleifur Örn Arnarsson pour l’édition 2024 du Festival de Bayreuth. L’Islande est une vaste île très peu arborée, elle abrite des espaces parfois quasi désertiques, une nature faite de glace et de feu, souvent hostile et difficile à apprivoiser. Le soir, lorsque l’obscurité envahit les chaumières, on peut voir en ombres chinoises derrière les voiles des fenêtres tout un peuple qui semble immobile. En fait les Islandais ne sont pas figés, ils tricotent. Hommes et femmes méditent au coin du feu en tricotant à une vitesse vertigineuse les pullovers et cache-nez de leurs enfants… Et sur le port de Reykjavik la silhouette d’un Drakkar dresse fièrement sa belle structure dorée comme pour défier le passé, le présent et l’avenir… Et bien voilà, tous les ingrédients de la culture islandaise se retrouvent dans le propos du metteur en scène qui propose un discours totalement intériorisé, quasi nihiliste enserré dans des carcasses nautiques ou les bois dorés qui semblent, pour conclure l’épopée intérieure de Tristan, refléter les armatures des violons, violoncelles, altos et contrebasses de l’orchestre.

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Crédit photographique © Bayreuther Festspiele /Enrico Nawrath

Au premier acte Isolde est enchâssée dans une immense robe, on s’aperçoit bien vite que c’est sa future robe nuptiale. On comprend donc qu’elle est en quelque sorte déjà prisonnière d’un futur qu’elle refuse… En y regardant bien, la robe est parsemée d’inscriptions, illisibles bien sûr pour les spectateurs, mais ce journal intime qui l’enserre comme un carcan, n’évoquerait-il pas le poids du passé et du présent, conjugués pour eux aussi annihiler toute liberté d’action et limiter toute vie à une unique vie intérieure… Au deuxième acte la scène d’amour prend place à fond de cales, un « accumoncellement » (Pardonnez ce néologisme) d’objets dignes de l’antre d’un brocanteur évoque l’art, la culture, la science et sert de toile de fonds aux ébats dénués de tout romantisme de deux amoureux qui ressemblent déjà à des condamnés à mort. Au troisième acte les carcasses nautiques apparaissent totalement fragmentées et dépiautées et s’élancent vers le ciel comme les hampes d’instruments à cordes nimbées d’une lumière dorée. Arnarsson a bien compris que « l’action », en trois actes composés par Wagner, en contenait en fait très peu. La direction d’acteur est réduite à néant et semblable à des Islandais taciturnes et immobiles qui tricotent au crépuscule. Les protagonistes tricotent et détricotent leur monde intérieur jusqu’à l’absurde, jusqu’à la mort… Dans cet univers où tout romantisme serait superflu, point de batailles, point de coup d’épée, point de voiles aux vents, les fioles donnent la mort et c’est par le poison que périra Tristan…. Assurément le discours interpelle et le temps des futures représentations permettra de mieux le comprendre et l’analyser… Face à ce labyrinthe de noirceur, Semyon Bychkov sollicite vigoureusement les pupitres mais comment rendre grâce au fameux triangle de la partition, un angle épique, un angle romantique et un angle dramatique quand la construction du concept décide d’en faire abstraction. Pour trancher le dilemme Bychkov affiche force décibels, sacrifie moults nuances et délivre in fine une lecture semblable à une bande son, de qualité certes, mais rarement émouvante, et pour tout dire assez monolithique. Vocalement tous les seconds rôles sont magnifiquement assumés avec une mention spéciale pour le Melot incisif de Birger Radde. Christa Meyer est chez elle au Festpielhaus et campe une Brangäne au souffle inépuisable, à l’émission ronde et chaleureuse. Gunther Groissbock n’est pas au mieux de sa forme mais sauve sa prestation par la force des acquis de l’expérience et par sa grande connaissance de l’acoustique de la salle. Olafur Sigurdarson est un Kurwenal martial et solide, au timbre cuivré et à l’émission percutante. Andréas Schager est généreux dans l’effort (trop peut être car il termine totalement épuisé…), extraverti, et arbore un volume sonore aujourd’hui sans égal dans le monde des Heldenténor. Mais est-il vraiment un Tristan pour autant ? Tristan n’est pas Siegfried, et si la vaillance est requise, elle ne saurait suffire pour la trame d’un rôle qui d’Eros à Thanatos dessine la complexité de l’humanité… Camilla Nylund enfin triomphe légitimement en Isolde, belle scéniquement et vocalement rayonnante, elle recueille une longue ovation à l’issue du spectacle. On l’a bien compris, ce Tristan n’est pas parfait mais il interpelle … et Wagner, du haut de l’Olympe, en est sûrement très conscient. Dans un billet envoyé à Mathilde Wesendonck en avril 1859, il lui écrivait (avec sa modestie habituelle) « Ce Tristan sera quelque chose de terrible, seule la médiocrité des représentations peut me sauver. Si elles étaient parfaitement bonnes, les spectateurs en deviendraient fous ».

Impossible de terminer ce billet d’impressions sur le Festival de Bayreuth 2024 sans évoquer la prestation de Nathalie Stutzmann dans la reprise du Tannhäuser mis en scène par Tobias Kratzer. Débarrassée de ses scories, la lecture de Kratzer est en passe de devenir l’un des grands classiques du festival, très apprécié du public, il a d’ailleurs fallu agencer le calendrier pour des représentations supplémentaires afin de faire face à une très forte demande de places.

Mais la grande triomphatrice de cette série de spectacles est assurément la cheffe française qui maîtrise la phalange orchestrale d’une baguette de feu dans une poigne de velours. L’équilibre voix/orchestre atteint des sommets, la précision et la coordination musique/action éblouissent, le raffinement des tempi surprend parfois et (notamment dans les dernières mesures de l’ouvrage) les harmonies wagnériennes se parent de couleurs novatrices et enchanteresses……

Chapeau l’artiste !!

Yves Courmes.

18 août 2024

Direction musicale Semyon Bychkov
Mise en scène Thorleifur Örn Arnarsson
Scénographie Vytautas Narbutas
Costumes Sibylle Wallum
Dramaturgie Andri Hardmeier
Lumières Sascha Zauner

Distribution :

Tristan Andreas Schager
Mark Günther Groissböck
Isolde Camilla Nylund
Kurwenal Olafur Sigurdarson
Melot Birger Radde
Brangäne Christa Mayer
Un berger Daniel Jenz
Un timonier Lawson Anderson
Jeune marin Matthew Newlin

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