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Festival DANCE 2023 à Munich — Deux soirées d’exception avec le Ballet of Difference de Richard Siegal

Festival DANCE 2023 à Munich — Deux soirées d’exception avec le Ballet of Difference de Richard Siegal

samedi 20 mai 2023
Crédit photographique © Thomas Schermer / Ballet of Difference

Au cours de deux soirées inoubliables le festival DANCE 2023 nous a offert quatre chorégraphies plus ébouriffantes les unes que les autres par la compagnie Ballet of Difference du chorégraphe américain Richard Siegal.

Une longue coopération avec le festival munichois DANCE

Richard Siegals, ancien danseur de Forsythe, est le fondateur et le directeur artistique de Richard Siegal/Ballet of Difference, une compagnie de ballet contemporain fondée à Munich et aujourd’hui basée au Schauspiel de Cologne. Incontournable sur la scène allemande, il est actif à Munich et à Cologne et ne cesse de créer des œuvres qui, tout en utilisant les moyens du ballet classique, remettent en question l’idée même du ballet, le déconstruisent, le font évoluer et le conduisent ainsi vers l’avenir. Avec sa compagnie, il se rapproche peu à peu de cet objectif. 

Richard Siegal est un habitué du festival munichois DANCE. Il considère Munich comme l’un de mes principaux ” foyers ” artistiques.Il y a présenté ses œuvres depuis 2010, avec une première production intitulée CoPirates. Il y est revenu en 2012 avec Black Swan, puis en 2015 avec Portrait réalisé en collaboration avec le Bayerisches Staatsballett. Munich est aussi la ville où il a fondé en 2017 le Ballet of Difference (BoD), y donnant la première de BoD avec la soiréE My Generation. Puis ce fut Roughhouse en 2019 avec le Schauspiel Köln. Dernièrement, il a enthousiasmé le public avec le film New Ocean Sea Cycle à la Pinakothek der Moderne et Two for the Show, créé spécialement pour l’espace numérique dans le cadre de DANCE 2021. 

L’avenir de la danse, c’est maintenant

La compagnie Richard Siegal / Ballet of différence a réuni des danseuses et danseurs de haut niveau venus des quatre coins du monde qui unissent leurs forces dans un ballet inédit qui célèbre les différentes cultures, les influences esthétiques et la ” queerness ” *. Résolument tournée vers l’avenir, elle se considère comme l’expression joyeuse d’un présent multiculturel et comme une alternative aux institutions établies. Pour créer les univers visuels époustouflants de ses pièces, Siegal collabore avec des créateurs de mode, des artistes visuels, des éclairagistes, des musiciens et des scientifiques de renommée mondiale. Dansant le ballet classique sur pointes, Richard Siegal / Ballet of Difference traverse les discours sociaux, les disciplines esthétiques et les expressions artistiques. La compagnie dépasse toutes les limites avec ses corps tourbillonnants, ses poses gracieuses qui transmettent des émotions grandioses. Les représentations de BoD ont lieu sur scène, dans des musées et dans des espaces analogiques et numériques. 

Deux soirées d’exception 

Triple

Comme son nom l’indique, la soirée présente trois ballets que Richard Siegal a créés entre 2014 et 2021, comme une rétrospective de son processus de création récent et qui incarne d’une certaine manière la mission artistique et sociale du Ballet of Difference. Dans ces trois œuvres, Siegal remet certes en question les conventions du ballet classique, tout en s’en tenant à sa beauté et à sa fascination. Il y fusionne la tradition culturelle vieille de 400 ans de l’art chorégraphique avec des notions très contemporaines telles que la diversité, la ” queerness “, les sous-cultures, la mode, la technologie, en un mot la politique de l’altérité. Ces œuvres s’engagent en faveur du progrès et d’un élargissement de la notion de moralité, non pas dans une attitude défensive, mais par une affirmation joyeuse, voire athlétique, de la force de l’innovation associée à l’ancien.

ALL FOR ONE ouvre la soirée et nous entraîne pendant une vingtaine de minutes dans un monde éclairé au néon, dans lequel les danseuses et danseurs se présentent dans d’extraordinaires costumes sculpturaux conçus par Flora Miranda qui ressemblent à des objets futuristes. L’utilisation virtuose des chaussons de pointe renforce l’impression de pureté architecturale. Le décor est constitué d’une sculpture lumineuse évolutive qui accompagne la danse, une création développée par Richard Siegal en collaboration avec le concepteur d’éclairage Matthias Singer. Les mouvements et notamment les ports de bras et les déhanchements prononcés revendiquent souvent la proclamation des différences, de la fierté queer et de la force et du pouvoir de la création artistique. Absolument fabuleux !

La deuxième œuvre, METRIC DOZEN, est un ballet d’une extrême rapidité, une création brillante, chorégraphiée à l’origine pour le Ballet National de Marseille. L’éclairage joue un rôle central dans la modélisation du ballet. Les mouvements des dix danseurs et danseuses sont basés sur une trame imaginaire dans l’espace, et même si nous n’en voyons pas grand-chose, nous apercevons clairement les pas ciblés, les annonces claires des corps. Dans le fait de voir et d’être vu, il y a le jeu de la représentation de soi, le fait de donner et de recevoir sous les feux des projecteurs, avec notamment un jeu très recherché sur le traditionnel cône lumineux qui suit la danse des protagonistes, une réflexion du rapport des danseurs et danseuses avec le faisceau lumineux.

La première soirée se termine par MY GENERATION, un univers très coloré et électrisé qui rappelle le pop art créé pour le Cedar Lake Contemporary Ballet de New York, et que les artistes du Ballet of Difference se sont réappropriés avec enthousiasme. Une danse virtuose dans des costumes aux couleurs foisonnantes du créateur de mode Bernhard Wilhelm sur des chaussons de pointe, un univers qui opère la jonction entre le ballet classique et Malibu. L’œuvre se partage entre une vision critique exprimée par une exagération ironique et une profession de foi festive pour la culture pop.

Une soirée aux musiques tonitruantes, sur une scène construite et sculptée par les jeux des lumières, une danse à la fois virtuose et sexy, énergique et en apesanteur, qui se termine par un véritable triomphe, des applaudissements sans fin et une standing ovation. 

Xerrox vol. 2 

La chorégraphie de la seconde soirée est le fruit de l’admiration de longue date que porte Richard Siegal à la musique d’Alva Noto, un compositeur de musique électronique allemand né en 1965 avec lequel il a entrepris de multiples collaborations artistiques. Dans cette œuvre qui porte le nom d’un album solo du compositeur, les deux créateurs questionnent la manière dont les valeurs culturelles sont encodées dans leur forme et si elles peuvent (ou devraient) être séparées de la technique. Le résultat donne un mélange luxuriant, parfois ludique, de ballet classique et d’esthétique contemporaine. 

Dans XERROX VOL. 2 ce n’est plus la seule lumière qui définit le décor. Un immense voile gris foncé forme comme un hémicycle ovoïdal en fond de scène. Ce voile est animé par des souffleries et devient une toile flottante et bruyante, une voile, une vague qui enfante et engloutit, à la fois protectrice et inquiétante, une porte vers un autre monde. Ce décor offre un cadre hyper-poétique qui peut se traduire en d’innombrables métaphores. Les processus presque empathiques du matériau fluide sont en corrélation avec les danseuses et les danseurs et leur langage de mouvement. Les ports de bras, les positions des bras et des mains, constituent le noyau chorégraphique du travail. On y retrouve des  formations du ballet classique, mais qui semblent ici comme remixées, suivant d’autres règles, démontées et réassemblées. Le fond sonore de la musique d’Alva Noto donne à la chorégraphie des aspects contemplatifs, des arrêts sur image qui permettent des moments de méditation musicale qui s’installe dans les corps comme un calme intérieur, une statique active. Pour cette chorégraphie, Richard Siegal a composé un pas de deux époustouflant qui exige de la danseuse une souplesse à la limite du possible, c’est d’une virtuosité et d’une beauté ineffables. Un deuxième pas de deux est exécuté par deux danseurs masculins.

Cette seconde soirée a remporté le même succès d’acclamation et de reconnaissance, et une standing ovation éperdue toute similaire à la première. Ces deux spectacles dans toutes leurs facettes démontrent de manière éclatante que la compagnie de ballet de Richard Siegal n’a pas volé son nom : ils font la différence ! Et c’est dans cette différence créative, qui pourtant s’inscrit dans la continuité du ballet classique dont elle utilise aussi toutes les possibilités, que se trouve l’avenir du ballet du 21ème siècle.

Luc-Henri ROGER
19 et 20 Mai 2023

Les danseuses et danseurs du Ballet of Difference :  Martina Chavez, Livia Gil, Gustavo Gomes, Karin Honda, Pier-Loup Lacour, Sean Lammer, Nicolás Martínez, Margarida Isabel de Abreu Neto, Ian Sanford, Evan Supple, Madison Vomastek.
 
 

* On pourrait tenter de définir la queerness comme la fierté des personnes hors normes, qui sortent des moules et préfèrent vivre la tête haute. C’est le mot qu’ont choisi certain(e)s pour se définir, pour défier les persécutions du monde patriarcal. C’est le choix de politiser sa sexualité, de construire du collectif, de questionner les rapports de domination, les diktats du genre.

Sources du texte : libre compilation de la présentation des oeuvres par DANCE 2023 et de l’interview  de Richard Siegal par Yvonne von Duehren / Page web de la compagnie de Richard Siegal

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