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Festival d’Aix-en-Provence : Louise de Gustave Charpentier dans la mise en scène fascinante de Christof Loy

Festival d’Aix-en-Provence : Louise de Gustave Charpentier dans la mise en scène fascinante de Christof Loy

dimanche 13 juillet 2025

© Monika Rittershaus

Une revendication de liberté féministe à l’aube du 20e siècle et une ode naturaliste flamboyante à Paris

Créé à l’Opéra Comique en 1900, Louise s’inscrit dans le répertoire comme une œuvre atypique : ni vraiment tragédie, ni simple tableau social, c’est un roman musical, symbiose du théâtre et de la musique dans laquelle Charpentier, disciple spirituel de Zola, transpose la ville moderne dans l’espace lyrique. Ode à Paris comme un personnage à part entière, célébré dans un final aussi flamboyant qu’hallucinatoire « Paris, ô cité splendide ! »

Car l’opéra ne serait pas ce qu’il est sans son mythe de Paris, ville-lumière et ville-maudite à la fois. Louise est aussi une chronique d’un quartier populaire de Montmartre, à l’aube du 20e siècle, alors que les artistes, les ouvriers, les « petites gens » et les rêveurs y croisent leur destin. Une chronique naturaliste sur le Paris ouvrier. Une Bohème de la rue.

Le livret, écrit par Charpentier lui-même, s’inspire d’un fait personnel : l’histoire d’une jeune ouvrière qui s’émancipe de sa famille pour vivre un amour libre avec un artiste bohème, Julien. Mais au-delà du canevas sentimental, Louise est une fresque sociale, une méditation sur la liberté individuelle, l’oppression familiale, et le conflit entre aspiration et devoir.

Sur le plan musical, Louise est un exemple de raffinement orchestral. On y sent l’influence de Massenet dans le lyrisme mélodique, mais aussi celle de Debussy dans le traitement des timbres et des couleurs. L’orchestration y est audacieuse et luxuriante, avec un sens presque cinématographique des atmosphères. 

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© Monika Rittershaus

La mise en scène introspective et cohérente de Christof Loy

Comment traduire de nos jours, pour la mettre à portée de notre sensibilité actuelle, l’histoire d’une jeune fille quasiment séquestrée par ses parents qui l’empêchent de sortir sous prétexte qu’elle deviendrait « une fille des rues », de fréquenter un jeune homme parce qu’elle serait une dévergondée, d’un père qui considère que l’amoureux lui vole son enfant, des parents qui entendent garder leur fille auprès d’eux jusqu’à la fin de leurs jours ?… Louise est en proie à une lutte intérieure, prise entre les injonctions d’un père possessif, l’immobilisme d’une mère à la fois autoritaire et résignée, et l’appel à une autonomie quasiment irréaliste du fait des contraintes parentales.

Se fondant sans doute sur le terme de « folle », employé à maintes reprises dans le livret, pour qualifier Louise et le désir des parents de séquestrer leur fille dans l’espace clos de leur appartement, Chritof Loy prend le parti d’un drame psychique : celui de la claustration de l’héroïne dans un asile psychiatrique matérialisé par un imposant décor unique (procédé cher au metteur en scène comme dans Werther ou Russalka)1 : murs blancs, néons froids, étroits volets clos et mobilier spartiate où les personnages apparaissent tour à tour comme soignants, internes, ou patients indistinctement. Louise y projette des épisodes de vies imaginaires sous la forme d’un rêve ou d’un cauchemar angoissant vécu en un flash back fluide et cinématographique aussi fascinant que réussi. Loy opère ici une transposition radicale mais cohérente avec le livret, en mettant au centre non pas une réalité sociale extérieure, mais une intériorité en crise, interprétation convaincante de l’aliénation du désir féminin dans un monde répressif en lien avec la notion d’enfermement évoquée dans le livret.

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© Monika Rittershaus

Une distribution en parfaite osmose avec la remarquable direction d’acteurs du metteur en scène

Elsa Dreisig avait déjà au Festival d’Aix (en 2022) dessiné une Salomé de Strauss en tous points attachante dans la mise en scène d’Andrea Breth. Artiste d’une extrême sensibilité interprétative elle incarne une Louise totalement investie autant que bouleversante aux multiples facettes complexes, enfant soumise et femme amoureuse, rêveuse exaltée et patiente aliénée oscillant entre fragilité, abandon, révolte et dérive psychologique. L’intensité fiévreuse et passionnante de sa prestation théâtrale se double d’un phrasé souverain et d’une technique vocale accomplie entre douceur des mezza voce, et aigus brillants.

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© Monika Rittershaus

Adam Smith dispose du physique adéquat en Julien. Comédien convaincant et ici conforme au fantasme intérieur de Louise il lui manque néanmoins, d’un point de vue stylistique, l’adéquation parfaite du français dans un ouvrage qui le requiert aussi spécifiquement. Par ailleurs son registre aigu (dans un emploi qui le sollicite souvent) n’est pas suffisamment assuré.

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© Monika Rittershaus

Sophie Koch apporte a la mère de Louise une incontestable densité dramatique à ce personnage tout en contradictions. On remarque sa véhémence fondée sur des notes graves lors de son intervention – en contraste avec la joyeuse fête du couronnement de la muse à Montmartre – ou elle plaide le retour de sa fille au foyer familial pour rendre ses forces à son père gravement malade

Nicolas Courjal incarne ce père « toxique » partagé entre une agressivité forcenée et un « amour » pour le moins équivoque à l’endroit de sa fille (au point d’avoir des gestes incestueux à son égard au dernier acte). Le comédien est particulièrement investi dans ce rôle complexe (que Christof Loy rend d’autant plus ambigu aux yeux de Louise qu’amant et père, vêtus à l’identique, sont confondus dans l’esprit aliéné de la jeune fille comme deux hommes épris à des titres divers de celle-ci). Sa voix au timbre sombre et bien articulée dispose de la puissance requise pour marquer autoritarisme et violence avec parfois un vibrato quelque peu accentué.

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© Monika Rittershaus

La multitude de rôles secondaires sont remarquablement tenus par des artistes de premier plan comme Annick Massis (la balayeuse), Grégoire Mour (le Pape des fous), Marianne Croux (Irma), Marion Lebègue (Suzanne), Julie Pasturaud (Marguerite), Jennifer Courcier (Blanche) …A noter qu’il s’agit de l’une des difficultés pour nombre de théâtres de monter Louise sans compter qu’il faut en outre des danseurs et danseuses, un chœur d’enfants, une fanfare !…

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© Monika Rittershaus

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Une exécution musicale éblouissante par l’Orchestre de l’Opéra de Lyon sous la baguette inspirée de Giacomo Sagripanti

À l’instar d’une distribution vocale pléthorique Louise exige une formation orchestrale opulente, à la mesure d’une partition d’une exceptionnelle richesse. L’Orchestre de l’Opéra de Lyon, formation qui s’impose aujourd’hui comme l’une des plus remarquables de la scène française, aussi à l’aise dans le répertoire lyrique que dans les grandes fresques symphoniques, répond à cette exigence. Il s’est attaché, avec une fluidité remarquable, à rendre  justice à l’architecture musicale d’un œuvre toute en contrastes si caractéristique de la fin du XIXe siècle, en équilibre entre lyrisme post-wagnérien, colorisme impressionniste naissant, et vivacité de la scène naturaliste.

Sous la baguette précise et nuancée de Giacomo Sagripanti, la phalange lyonnaise a su mettre en valeur l’étonnante variété des motifs récurrents qui parcourent la partition – tantôt mélancoliques, tantôt éclatants – dans un déploiement symphonique dont la complexité évoque parfois les grandes fresques de Wagner ou de Massenet.

La direction de Giacomo Sagripanti s’est particulièrement distinguée par sa capacité à faire respirer l’orchestre : jamais étouffante, toujours en dialogue avec le plateau, elle a permis de créer un juste équilibre entre la fosse et les voix sans jamais les couvrir, condition essentielle pour que Louise conserve son ancrage dramatique et sa clarté narrative, veillant notamment à l’intimité et la poésie de certaines scènes notamment celles entre Louise et Julien ou déployant une énergie foisonnante lors de la fête populaire à Montmartre.

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© Monika Rittershaus

Une mention tout a fait spéciale pour les excellents Chœurs de l’Opéra de Lyon d’une densité impressionnante, (particulièrement spectaculaire à l’acte 3 lors du couronnement de la Muse) sans oublier la Maîtrise des Bouches du Rhône et l’Orchestre des jeunes de la Méditerranée.

Le public à longuement applaudi les artisans de ce spectacle lors des saluts.

Christian Jarniat
13 juillet 2025

1 Voir nos chroniques sur Werther au Théâtre des Champs Elysées ou Rusalka au Liceu de Barcelone mis en scène par Christoph Loy

Direction musicale : Giacomo Sagripanti

Mise en scène : Christof Loy
Scénographie : Étienne Pluss
Costumes : Robby Duiveman
Lumière : Valerio Tibéri
Dramaturgie : Louis Geisler

Distribution :

Louise : Elsa Dreisig
Julien, Le Noctambule : Adam Smith
La Mère, La Première d’atelier : Sophie Koch
Le Père, Le Chiffonnier : Nicolas Courjal
Un marchand d’habits, Le Pape des fous : Grégoire Mour
La Balayeuse : Annick Massis
Irma : Marianne Croux
Gertrude : Carol García
Camille : Karolina Bengtsson
Madeleine : Marie-Thérèse Keller
Marguerite, La Laitière : Julie Pasturaud
Élise, La Petite Chiffonnière : Marion Vergez-Pascal
Suzanne, La Glaneuse de charbon : Marion Lebègue
Blanche, La Plieuse de journaux : Jennifer Courcier
L’Apprentie, Le Gavroche : Céleste Pinel
Le Bricoleur : Frédéric Caton
Les Gardiens de la paix : Filipp Varik / Alexander de Jong

Chœurs de l’Opéra de Lyon Chef de chœurs / : Benedikt Kearns
Orchestre de l’Opéra de Lyon
Maîtrise des Bouches du Rhône /Orchestre des Jeunes de la Méditerranée

                                                                                                                                                       

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