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Eugène Oneguine à l’opéra de Nice

Eugène Oneguine à l’opéra de Nice

vendredi 17 février 2017
Oleg Tsibulko, Marie-Adeline Henry et Andrei Zhilikhovsky – Photo Dominique Jaussein

Pour qui est un habitué du théâtre (aussi bien parlé que chanté), il est un signe qui ne trompe pas : la qualité d’écoute du public. Lorsque règne un profond silence qui n’est interrompu par rien : ni le moindre petit bruit, ni un seul toussotement (même rapidement étouffé), voire même par un infime chuchotement, c’est que l’on vit un moment rare et fascinant. Ce fut le cas lors de cette première représentation d’ « Eugène Onéguine » donnée à l’Opéra de Nice. Dire que ces « scènes lyriques » de Tchaïkovski sont l’un des purs chefs d’œuvres du répertoire est évidement enfoncer une porte ouverte. Le livret, écrit par le compositeur lui-même d’après le roman en vers d’Alexandre Pouchkine et la partition sont absolument admirables, tant d’un point de vue de la pertinence dramatique que de l’émotion qui parcourt l’opéra d’un bout à l’autre. Encore faut-il qu’il soit servi par un chef d’orchestre qui sache traduire la poésie mélancolique d’une partition au tissu parfois quasi mozartien ce que fait à merveille Daniel Kawka à la baguette mais également par des interprètes capables d’exprimer toute la palette des sentiments, sur le plan du théâtre comme sur celui du chant. Par une alchimie miraculeuse, tous ces ingrédients étaient réunis pour la circonstance et, de cela, il convient de féliciter le nouveau directeur de l’Opéra de Nice, Eric Chevalier, qui, à cette occasion, a réussi un éloquent pari.

La production d’Angers-Nantes Opéra permet à Alain Garichot de proposer une mise en scène qui allie à la fois la sobriété et le soin apporté aux détails. Celui-ci a opté pour un décor unique signé Elsa Pavanel rehaussé des suggestives lumières de Marc Delamézière. D’épais troncs d’arbre dont on peut imaginer (à défaut de le voir) que l’abondant feuillage se perd dans les cintres. C’est en ces lieux que la quasi-totalité de l’action va se dérouler : le jardin de Madame Larine, la chambre de Tatiana (une méridienne et un voilage blanc suspendu suffiront à l’évoquer), la fête d’anniversaire et le duel entre Onéguine et Lenski. Seul le dernier tableau s’ouvre sur un espace vide avec, au lointain, la projection de l’astre lunaire nimbant le plateau d’un romantisme nostalgique. Onéguine y traîne sa langueur et sa désespérance, tandis que les invités, avec des masques blancs, exécutent la polonaise, tels de somptueux fantômes surgis du passé (magnifiques costumes de Claude Masson !). C’est dans cet environnement particulièrement dépouillé (une seule chaise) que va se dérouler la tragique séparation entre Tatiana et Onéguine, tandis que tombent, comme une pluie, une multitude de lettres évoquant le souvenir fatal et obsédant de la missive qui scella, quelques années auparavant, le sort des deux héros. Ce dépouillement sert particulièrement l’œuvre et, loin de tout fatras décoratif, concentre l’attention du public sur le drame sentimental que vivent les personnages. Car la vraie richesse se trouve dans la magnifique direction d’acteurs d’Alain Garichot d’une foisonnante inventivité. Rien n’est laissé au hasard et pas un instant la tension ne se relâche. C’est ainsi que les interprètes vivent chaque seconde avec une implication qui tient en permanence le spectateur en haleine.

Pour ce faire, il faut des artistes de haut vol et, là encore, nous tenons une distribution homogène et sans reproche. A noter que les protagonistes masculins sont slaves tandis que les interprètes féminines sont françaises (au passage, saluons la performance de celles-ci pour avoir appris leur rôle dans la langue originale russe). Sur cette même scène Marie-Adeline Henry avait été en 2014, dans La Veuve joyeuse, une séduisante Missia. Elle est ici une Tatiana frémissante, d’une grande beauté physique, sachant faire se succéder, avec une extrême sensibilité, les émois de la jeune fille comme le refus sacrificiel de la femme dont l’apparent épanouissement dissimule les blessures et le deuil (robe noire oblige) d’un amour à jamais perdu. La tessiture lui sied parfaitement mêlant, avec bonheur, le caractère diaphane de ses sons murmurés avec l’ardeur opulente de ses phrases passionnées. Sa scène de la lettre (qui est un des grands moments de l’opéra) est, à tous égards, remarquable. Son partenaire, Andrei Zhilikhovsky est un Onéguine racé, de belle allure, élégant dans le phrasé, doté d’un timbre clair à l’aigu facile ainsi que d’un legato maîtrisé. En témoignent non seulement son air au cours duquel il restitue à Tatiana sa longue lettre d’aveux se terminant par une superbe mezza-voce, mais aussi sa scène finale bouleversante. Beau timbre également que celui d’Igor Morozov en Lenski qui chante avec autant de retenue que de finesse. Au demeurant tous ces qualificatifs s’appliquent à l’ensemble des protagonistes qui interprètent cet opéra comme un lied, s’attachant autant aux mots qu’à la mélodie et accréditant ainsi l’idéal suprême des florentins, pères fondateurs de l’opéra : « chanter comme on parle », et cela en évitant tous les effets histrioniques que l’on retrouve quelquefois dans les mauvaises interprétations des œuvres véristes. Il en va également de l’unique aria confiée au prince Grémine qu’Oleg Tsibulko livre à fleur de lèvres comme une confidence faite en aparté à Onéguine pour évoquer l’amour voué à Tatiana devenue son épouse Une mention spéciale à la lumineuse et attachante Olga de Julie Robart-Gendre qui met en valeur dans ce rôle la belle couleur mordorée de son chaleureux timbre de mezzo-soprano A inclure dans les mêmes éloges la Filipievna de Karine Ohanyan, la Madame Larine de Doris Lamprecht, le Monsieur Triquet de Thomas Morris. Le chœur s’est montré exemplaire dans toutes ses interventions.

Christian Jarniat
17 février 2017

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