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Eugène Onéguine à l’Opéra de Marseille

Eugène Onéguine à l’Opéra de Marseille

mardi 11 février 2020
Thomas Bettinger – Regis Mengus, au centre Jean-Marie Delpas.  Photos Christian Dresse

Eugène Onéguine double de Tchaikovsky ? Vingt ans d’âge et pas une ride. Un opéra autobiographique qui ressemble à la vie…

Tchaïkovsky le disait lui-même : «… je veux des conflits et des situations  que j’ai vécus  ou que j’ai vus, capables de me bouleverser… » Les dés sont jetés. Œuvre énigme vraiment ou opéra autobiographique ?
Pourquoi Onéguine refuse-t-il l’amour de Tatiana, spontanément offert avec une totale sincérité ? Par scrupules ? Pourquoi pousse-t-il à bout Lensky, son meilleur ami, au point d’obliger celui-ci à le provoquer en duel ? Et pourquoi enfin, des années plus tard, retourne-t-il sa veste et essaie-t-il d’enlever Tatiana mariée à un vieillard ?

En réalité, Onéguine n’aime que Lenski et il le tue par désespoir, pour essayer de se libérer, de devenir un homme comme les autres, pour en fin de course lamentablement échouer. Onéguine n’est et ne sera jamais rien, le vide sidéral dans le pantalon, jusqu’au jour où par légèreté, ennui, égoïsme, stupidité, il commet, la face est sauvée car c’est un duel, ce crime. Événement qui le “constitue” peut-être, mais à quel prix ! 

Dans un décor à la simplicité élémentaire (quelques troncs d’arbres qui montent ou descendent au fil de l’action) la mise en scène d’Alain Garichot, malgré ses vingt ans d’âge tient toujours la route. 
Pour avoir écumé la France et la Navarre, le presbytère a toujours gardé son mystère et le jardin son éclat … Un réel climat d’ennui, de rêve, d’espoir, de désespoir se crée, car toujours intérieur, sensible, dramatique, romantique en diable, de ce romantisme frais, à l’image de la jeunesse des protagonistes.
Dans ce bal des vampires où les cœurs saignent, les fantasmes les plus inavoués vont et viennent entre banalité des scènes quotidiennes, bavardages courtois, confessions, valses endiablées ou mortifères, souvenirs furtifs, cette belle mise en scène, rigoureuse, cohérente, qui refuse l’anecdote ou le recours au folklore tapageur aurait peut-être gagné à éclairer, sans fausse pudibonderie, la vraie nature de l’amitié entre Onéguine et Lensky. 

Voilà toutefois un Eugène Onéguine tout en élégance. S’attachant à la psychologie des personnages et à leurs sentiments, Alain Garichot illustrant de belle manière, le passage, ici cruel car sans appel, de l’adolescence à l’âge adulte où chacun est renvoyé à sa solitude, son mal d’être, sa névrose, sa psychose.

Pour cet opéra, où la réalité dépasse la fiction, il faut un trio de choc. Jeune et beau. Pari presque tenu à Marseille. Marie-Adeline Henry campe une Tatiana écorchée vive, belle à faire damner toutes les icônes de Moscou, rêveuse, aristocrate racée aux scènes ultimes. La voix en ce soir de première trop métallique, aux aigus acides et laids, déçoit.

On cherche, tout au long du spectacle, avec l’Onéguine de Régis Mengus, le timbre idéalement musclé du rôle titre. Rarement hypnotique, le baryton peine à rendre justice à cet Onéguine cynique et désabusé. L’évidente fatigue vocale ruinera le pathétique final qui versera dès lors dans le vérisme le plus outrancier. 

Impossible par contre d’adresser un reproche sérieux au Lensky de Thomas Bettinger. Son adieu à la vie, distillé avec mélancolie, vaillance et générosité, rappelle irrésistiblement celui du regretté Nicolaï Gedda. Lensky parfait, simplement parfait, beau comme un Dieu, celui voulu par Pouchkine… Un ténor à suivre de très très près !

La fougue et la fraîcheur juvénile d’Olga conviennent fort bien à Emanuela Pascu. Il y a de la Carmen, de l’Amnéris ou de l’Azucena en stock chez cette belle mezzo. 

Si Eric Huchet cabotine à la perfection en Monsieur Triquet, le désormais baryton Nicolas Courjal ne nous fera pas oublier ses plus illustres prédécesseurs avec son Grémine clairet à l’extrême, pas imposant pour trois kopecks, mais sympathique car fort drôle dans son numéro de vraie fausse basse russe.
On relèvera pour finir l’excellence des seconds rôles, la belle prestation de Doris Lamprecht en Larina, la Niania de Cécile Galois et surtout le Zaretski de Jean-Marie Delpas, sérieux, imposant comme un Pope sibérien, qui en une poignée de notes nobles et percutantes nous le feraient bien imaginer dans le rôle titre ou même Grémine.
Chœur maison au dessus de tout soupçon. Aux dires d’un spécialiste présent dans la salle, russe parfait pour tous.
Dans la fosse Robert Tuohy ne néglige jamais, sans écraser son plateau, le caractère symphonique de l’ouvrage. Fonceuse, irisée par moments des fusées orchestrales de la Pathétique, sa rutilante direction cerne admirablement l’atmosphère du drame et transcende l’irrépressible mélancolie des héros.

Christian Colombeau
11 février 2020

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