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Envoûtantes couleurs poétiques pour Turandot à l’Opéra Bastille

Envoûtantes couleurs poétiques pour Turandot à l’Opéra Bastille

lundi 6 novembre 2023
Tamara Wilson et Brian Jagde © Agathe Poupeney
L’Opéra de Paris propose, avec l’ouvrage inachevé de Puccini, un voyage dans la Chine médiévale pour rencontrer la sanguinaire princesse Turandot à la beauté légendaire. Robert Wilson, aujourd’hui âgé de 82 ans, reprend sa production atypique présentée sur la scène de Bastille en 2021 avec un plateau vocal entièrement renouvelé pour l’occasion. 
La mise en scène de l’américain emporte le spectateur dans une vision onirique et colorée de l’Empire du Milieu. On ne peut être qu'envoûté par la beauté épurée des tableaux présentés, largement inspirés du théâtre Nô. Les lumières particulièrement saisissantes, tantôt bleutées à l’image du comportement glaçant de la princesse Turandot, tantôt rouges, évoquent tour à tour le sang et l’amour.

Robert Wilson utilise avec parcimonie les éléments relatifs à la culture chinoise en nous invitant à une version plus intemporelle de l’opéra. Les quelques composantes du décor permettent d’imager l’intrigue. De grands paravents coulissants au plafond découpent graphiquement l’espace par contraste avec la lumière ou dessinent les créneaux de la grande muraille de Chine. Un entrelacs revient aussi à plusieurs reprises, tantôt dans un jeu d’ombres et de lumières, tantôt par le biais de projections. Ce processus, au moment des énigmes et de la recherche du nom du prince étranger, pourrait évoquer l’effervescence et les méandres de la pensée des protagonistes.

La direction d’acteurs de l'artiste américain, est comme à l’habitude, minimaliste. Les interpètes adoptent une gestuelle très stylisée et symbolique, visant à laisser toute la place à l’intériorité des personnages – ainsi qu’à la musique – au risque de devenir parfois trop statiques. Les superbes costumes d’inspiration asiatique visant à l'abstraction sont signés par Jacques Reynaud, l’arrière-arrière-petit-fils de Puccini. 

Le carcan rigide et épuré de la mise en scène contraste avec l’incandescence de la musique de Puccini portée par le flamboyant orchestre de l’Opéra de Paris, sous la direction de Marco Armiliato. Le langage harmonique audacieux et moderne du compositeur est mis en lumière par le chef italien, sans pour autant renier le naturel et la fluidité qui caractérisent l’ouvrage. Les émotions se trouvent encore une fois ici exacerbées par une musique aux nombreuses fulgurances. Les couleurs développées par l’orchestre sous la baguette de Marco Armiliato exhalent une poésie rare, notamment lors du souvenir nostalgique de la maison de Ping, bordée d’un petit lac bleu, évocation lyrique du compositeur et de sa dernière demeure. 

Le plateau vocal de cette soirée de première a été entièrement renouvelé depuis 2021, à l’exception de Carlo Bosi qui incarne un majestueux Altoum. Son chant, descendu des cieux en même temps que le personnage, apparaît suspendu dans les airs.
Tamara Wilson marque avec Turandot ses débuts à l’Opéra de Paris. Elle relève le défi de faire oublier l’absence de Sondra Radvanovski qui devait chanter le rôle en ce soir de première. La soprano américaine délivre une prestation solide et convaincante, tant scéniquement que vocalement. Toute vêtue de rouge, elle captive instantanément l’attention du spectateur par sa présence hypnotique. Les aigus sont parfaitement émis et les graves charnus. Elle franchit sans encombre les difficultés pourtant nombreuses du rôle. Nous aurions cependant souhaité une allusion plus nostalgique et tendre de son aïeule, la princesse Lo-u-ling, qui aurait permis d’entrevoir la vulnérabilité du personnage.   
Brian Jagde se trouve un peu à l’étroit dans les contraintes imposées par la mise en scène. Sa voix parfaitement projetée au timbre chaud associé à la finesse du chant ne parvient pas toujours à faire vivre son Calaf, archétype du ténor vaillant et héroïque décidé à conquérir le cœur de la princesse. Toutefois, sa prestation virile et affirmée emporte la totale adhésion du public qu’il comble de notes particulièrement tenues ! 
Ermonela Jaho illumine par sa présence la scène de l’Opéra Bastille. Elle campe une Liù sentimentale et bouleversante qui meurt par amour, totalement empreinte de l’esthétique des « petites femmes pucciniennes ». Dans cette gestuelle extrêmement corsetée, elle laisse transparaître, avec beaucoup de grâce, toute la noblesse du personnage. Elle gratifie l'auditoire de pianissimi suspendus faisant instantanément naître frissons et larmes. Vêtue de blanc, couleur associée au deuil dans la culture chinoise, la soprano albanaise quitte la scène avec élégance et noblesse, en accompagnant une dernière fois Timur. 
Les ministres Ping, Pang et Pong, respectivement campés par Florent Mbia, Maciej Kwasnikowski et Nicholas Jones, sont traités selon les codes de la commedia dell’arte. Ils rappellent ainsi le caractère purement italien que souhaitait leur conférer Puccini au moment de la composition. Les trois complices traduisent au mieux le caractère volontairement caricatural des scènes où ils sont parties prenantes et leur confèrent une légèreté nouvelle particulièrement appréciée des spectateurs.
Timur est interprété par le formidable wagnérien à la voix de basse généreuse et au timbre somptueux, Mika Kares. Véritable figure archétypale de la sagesse et de la pondération, il met en garde son fils avec beaucoup d’affection et manifeste son attachement à sa jeune servante dans un adieu déchirant.
 
Le chœur est dans Turandot un véritable personnage central versatile aux accents souvent velléitaires. Préparé par Ching-Lien Wu, il accomplit une performance sans défaut lors de l’époustouflante série de tableaux de l’acte 1. Parfois écho d'une foule assoiffée de sang lorsqu'elle appelle au meurtre soutenue par un orchestre aux tonalités barbares, parfois prière transcendante à la lune nimbée d'émotion pour le jeune prince qui va être sacrifié il s’impose comme le véritable protagoniste du drame alors que la ville entière est soumise à la torture, avant un dernier revirement face au sacrifice de la douce Liu. 

L’ultime opéra de Puccini a donc pleinement convaincu la salle en ce soir de première. Les richesses mélodiques et expressives de la partition ont enchanté les oreilles. Le contraste entre la mise en scène millimétrée de Robert Wilson et les rutilances de l’orchestre aux couleurs multiples sans cesse renouvelées ont conquis le public qui a réservé à cette production un chaleureux accueil. 

Aurélie Mazenq
6 novembre 2023

Distribution :

Direction musicale : Marco Armiliato
Mise en scène : Robert Wilson

Turandot : Tamara Wilson
Calaf : Brian Jagde
Liù : Ermonela Jaho
Timur : Mika Kares
Ping : Florent Mbia
Pang : Maciej Kwasnikowski
Pong : Nicholas Jones
Altoum : Carlo Bosi

 

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