L’opéra de Lorraine présente un des ultimes chefs d’œuvres de Donizetti, Don Pasquale, du 13 au 23 décembre. Donizetti est assurément un des rares compositeurs à réussir un opéra, quelque soit le genre, comme l’attestent Lucia di Lammermoor, L’Elixir d’amour, la trilogie sur les reines anglaises, et ici Don Pasquale. Le libretto de cette farce fine et précise contre le mariage d’un barbon aurait pu être rédigé non par Ruffini mais par Goldoni et son alliage avec la musique vive et pleine de rebonds de Donizetti est digne de celui entre Mozart et Da Ponte. Richard Strauss et Stephan Zweig s’en souviendront pour la Femme silencieuse.
Une des premières choses qui frappe ici est l’éclairage bleu chalcantite, jaune ocre ou rose aster du plateau. Le décor, quant à lui, tourne pour présenter l’entreprise de Don Pasquale, dont les lettres du nom ornent les murs, son riche salon bourgeois orangé ou l’aile dans laquelle l’équipe de nettoyage de Norina se détend dans une alcôve jaune. Si la concentration en une même architecture montre la prédominance de l’argent dans l’œuvre, ainsi que le signale également le cours de la bouse en une bande passante lumineuse au-dessus de la scène, y compris chez Don Pasquale, la réduction de l’espace scénique pour les personnages centraux, laissant le pourtour au chœur et valets, fait regretter une si chiche utilisation d’une si grande scène. Certains éléments de décors et de costumes comme les vêtements de Don Pasquale ou l’escalier du salon, sont d’un XXe siècle finissant, d’autres comme la parure de Norina en mariée ou la stucature en fond de scène d’un XXe siècle naissant, afin de signaler l’intemporalité de l’œuvre.
L’action se situe à Noël tant pour ainsi coller à décembre que parce que cette période est d’échange, de dons et d’amour, thèmes fondamentaux de l’opéra, permettant de jouer sur les sapins décoratifs de la scène. Le petit conifère doré de la table du salon en première partie devient ainsi gigantesque en seconde partie pour montrer les dépenses de Norina. Le décor est assurément une réussite de cette mise en scène. Son plus gros défaut est cependant une insistance dans la première partie, comme le jeu de Don Pasquale le ridiculisant, alors qu’il est le plus à plaindre de toute l’histoire, finissant au bord du mauvais goût en deuxième partie, par exemple avec la couleur rose des costumes de lutin du chœur. Et s’il est éventuellement compréhensible que Malatesta et Norina font l’amour dans la guérite jaune, même si Norina ne change jamais de sentiment pour Ernesto, Malatesta instigateur et elle actrice du complot. Avoir coloré en un rose à donner des cauchemars à Barbara Cartland le salon de Don Pasquale, dans lequel se gare en outre un train plein de cadeaux d’un bleu tellement sucré qu’il en donnerait presque des caries, est plus malencontreux.
Nonobstant, le chœur est comme chaque fois à Nancy fois d’une tenue et d’une souplesse remarquable, grâce au travail du chef de chœur Guillaume Fauchère. Marco Ciaponi en Ernesto campe un adulescent hors du coup interprétant un ténor clair, articulé et presque fragile, dont les airs semblent aériens, Germán Olvera un Malatesta apparemment sans malice dans sa rouerie exhalant un baryton à la ligne mélodique sûre et sans contrainte et Lucio Gallo un Don Pasquale, au jeu caricatural hélas, baryton-basse velouté et profond comme une couverture d’hiver. Et surtout, certainement la voix la plus appréciée de la soirée, Vuvu Mpofu en Norina, aux aigus de clochettes et au vibrato de carillon, charme à chaque air. Leurs combinaisons, est toujours une réussite, tant les plans sonores sont respectés et complémentaires.
Il ne faudrait surtout pas oublier le remarquable orchestre de l’Opéra national de Lorraine, à la fluidité précise et juste dans chaque scène. Il narre le drame aussi bien que des chanteurs, et les enceint dans sa pétillance.
Bien que l’exagération de certains éléments de mise en scène, comme les bonhommes de neige autour de l’entreprise, et de la direction d’acteur, comme le jeu de Giulio Cilona, tirent un peu vers le grossier, la partie musicale de l’opéra est une réussite. Le publique ne s’y trompe pas en applaudissant ce Don Pasquale, champagne grand cru classé bourgeois.
Andreas REY
17 décembre 2023
Direction musicale
Giulio Cilona
Chef de chœur
Guillaume Fauchère
Assistanat à la direction musicale
William Le Sage
Mise en scène
Tim Sheader
Scénographie
Leslie Travers
Costumes
Jean-Jacques Delmotte
Lumières
Howard Hudson
Collaboration au mouvement
Steve Elias
Assistanat à la mise en scène
Louise Brun
Don Pasquale
Lucio Gallo
Norina
Vuvu Mpofu
Ernesto
Marco Ciaponi
Le Docteur Malatesta
Germán Olvera
Le Notaire*
Séverine Maquaire
* soliste du Chœur de l’Opéra