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Don Giovanni à l’opéra de Monte-Carlo

Don Giovanni à l’opéra de Monte-Carlo

mercredi 25 mars 2015
Erwin Schrott – Photo Alain Hamel

Décidemment, il va devenir compliqué de trouver dans le dictionnaire des synonymes les adjectifs les plus élogieux pour qualifier chaque spectacle de la saison lyrique monégasque. Après le triomphal « Pagliacci », il paraissait bien difficile d’atteindre de nouveaux sommets. Disons-le d’entrée, ce fut néanmoins le cas avec ce « Don Giovanni » qui restera sans aucun doute, pour longtemps, gravé dans les mémoires. Il est peu de théâtres dans le monde qui peuvent s’offrir le luxe d’une pareille distribution. Songeons que cette œuvre exige un octuor de grande qualité et qu’il est extrêmement rare que toutes les composantes de celui-ci soient d’un niveau équivalent. Le défi est ici relevé haut la main et de quelle manière !

Patrizia Ciofi, une bouleversante Anna et Sonya Yoncheva, une Elvira d’anthologie

Côté femmes, deux grandes stars rivalisent avec une technique souveraine mais avec des moyens différents. Il y a, d’une part, l’italienne Patrizia Ciofi. Cette immense artiste, qui s’est illustrée dans la quasi-totalité des rôles du répertoire belcantiste, est, une fois de plus, fascinante dans Donna Anna. Dès les premiers mots on prend à nouveau conscience que la « diseuse » est de la race de ces divas de l’âge d’or. Par ailleurs, aussi bien par la voix que par les gestes, par le corps et par les expressions du visage, tous les sentiments sont exprimés avec autant de force que d’émotion. Il faut bien réunir tout cela pour dépeindre cette femme complexe que le viol initial bouleverse dans sa chair et dans son âme. Ne retrouve-t-elle pas dans son séducteur d’un soir la puissance – sans doute obsédante – de l’image paternelle ensanglantée dans un duel qui tranche, certes net, le rapport père/fille mais qui va tout au long de l’œuvre se poursuivre dans l’ambiguïté du double jeu désir/refoulement à l’égard des hommes et notamment de son fiancé (désexualisé) Don Ottavio. Patrizia Ciofi a en outre livré un combat exceptionnel lors de la dernière représentation où pourtant, quasiment aphone dans sa voix parlée, elle a délivré une prestation encore plus bouleversante, chantant son rôle de bout en bout avec une volonté inébranlable. A ses côtés, la bulgare Sonya Yoncheva qui est désormais, comme son illustre aînée, une Violetta d’anthologie (admirée au demeurant sur cette scène) déploie une voix dont le volume impressionne. Elle est une Elvira jeune et véhémente, dotée d’un timbre fruité. Cette cantatrice, sans doute actuellement parmi les plus recherchées, se classe aujourd’hui comme l’une des plus belles voix du monde. Ce trio féminin est fort bien complété par Lorianna Castellano qui campe une Zerlina à la fois fraîche, attachante et chaleureuse.

Un impressionnant plateau de comédiens-chanteurs masculins

Côté hommes, on connaît de longue date Giacomo Prestia dont les graves incisifs s’accordent avec les accents sépulcraux du Commandeur. Le Masetto du jeune argentin Fernando Javier Radó ne pâlie pas aux côtés de ses partenaires masculins. Chez le roumain Adrian Sampetrean, ici Leperollo (mais qui chante aussi le rôle de Don Giovanni), le comédien vaut le chanteur. Maxim Mironov, l’un des ténors rossiniens les plus intéressants de sa génération, fait preuve, notamment dans les deux sublimes airs qui lui sont confiés (« Dalla sua pace » et « Il mio tesoro intanto »), d’un style irréprochable et d’une grande pureté d’expression.

Erwin Schrott : l’un des plus grands Don Giovanni du siècle

Nous avons évidemment gardé pour la fin celui qui suscita une interminable ovation aux saluts, à savoir Erwin Schrott qui promène son stupéfiant Don Giovanni sur les plus prestigieuses scènes de la planète. Des splendeurs du Festival d’Aix des années 50 jusqu’à nos jours, vit-on jamais pareil séducteur sur un plateau d’opéra ? Tout y est : le physique de « beau-méchant » garçon, l’incroyable abattage du voyou-grand seigneur, le volume stupéfiant de la voix, l’arrogance d’une diction mordante et ce don inouï chez un artiste d’avoir l’air d’inventer chaque phrase, voire chaque mot, comme pour maintenir le spectateur en haleine. Erwin Schrott a l’immense culot de déstructurer les récitatifs mozartiens pour en faire, dans une sorte d’improvisation géniale, d’incroyables moments de théâtre tantôt chuchotés, parfois murmurés, d’autre fois encore criés ou parlés, là où tant d’autres s’en tiennent à un chant monocorde et forcément répétitif. Il ose l’humour, le clin d’œil, la gouaille, l’ironie, le rire. Un véritable travail de funambule, toujours en équilibre qui sait prendre tous les risques sans pour autant se mettre en danger tant son art est grand et parfaitement maîtrisé. Est-ce vraiment une basse ? Est-ce un baryton ? Mais au fond la notion de tessiture a-t-elle encore un sens au niveau où se situe un tel « divo ». Maria Callas était-elle classifiable ? En tout cas, lors de la scène finale, Erwin Schrott fait entendre un la naturel tenu et de la plus belle eau lorsque la plupart de ses confrères se contentent d’un cri. La messe est dite depuis longtemps et sans doute pour un certain temps encore. Il règne sans partage sur le rôle.

Une mise en scène qui explore les émotions fortes des cœurs et des corps

L’interprétation que Jean-Louis Grinda donne à l’œuvre de Mozart est parfaitement lisible et pour autant originale. Son Don Giovanni est un jouisseur libertin qui s’adonne, certes, tête baissée à cette course à l’abîme sans pour autant renoncer, par intermittence, aux jouissances des sens. Cette mise en scène, qui explore les émotions fortes des cœurs et des corps, se caractérise aussi par un rythme échevelé, de telle sorte que l’attention des spectateurs ne retombe jamais. La Direction musicale de Paolo Arrivabeni est au diapason parfait de ces chanteurs-acteurs dont la prestation confine parfois au génie et, pour une fois, ce mot prend tout son sens lorsque les protagonistes parviennent à incarner leurs personnages avec une telle sensibilité mais aussi avec une telle intensité.

Christian Jarniat
25 mars 2015

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