Avant, lorsqu’on allait entendre Don Giovanni à Aix, on se préparait à une soirée de bonheur. Mais cela c’était avant – quand Aix était Salzburg en Provence. Depuis, Aix a basculé dans le monde des metteurs en scène omnipotents et délirants. Les temps changent, s’affolent, s’enlaidissent, font des grimaces en se prenant au sérieux Alors on s’est mis à voir des spectacles extravagants.
C’est le cas de l’actuel Don Giovanni. Le metteur en scène Robert Icke situe son action dans une sorte de parking sous-terrain. Adieu les patios andalous enivrés de parfums de femmes, bonjour les sous-sols sans lune ni poésie ! Icke nous présente un Don Juan à tendance pédophile qui, en plus, est le double du Commandeur. Cela transforme le viol de Donna Anna en acte incestueux. Don Juan, ombre blafarde, finit sa vie comme une épave, poitrine ensanglantée, dans un hôpital, accroché à une perche de perfusions. Au secours ! Où va-t-on ?
Le metteur en scène a-t-il seulement eu conscience que la partition de Mozart contient l’un des finals les plus grandioses de toute l’histoire de la musique – un épisode musical hors norme, wagnérien, dantesque, titanesque ? Icke nous le traite dans une ambiance de néons blêmes et d’angoisses cliniques. Icke fait le l’Ikea où on voudrait du luxe. Il a été dépassé par l’immensité du chef d’œuvre mozartien. Tout le monde n’est pas capable de gravir l’Everest !
Au niveau musical, le spectacle est magnifique. A la tête de l’orchestre de la Bayerisen Rundfunks, Sir Simon Rattel est somptueux. L’orchestre bavarois se fait éclat, feu de braise.
La distribution vocale est de grande qualité, dominée par trois femmes : Golda Schulz, Donna Anna au timbre rond, généreux, habite chaque note avec la beauté princière ; Maddalena Kožená, Elvira d’or et de fureur, mord ses mots, enflamme ses vocalises ; Madison Nonoa rayonne en une Zerline toute en miel et espièglerie. Andrè Schuen assume d’une voix sombre et déchirante son rôle de Don Giovanni. À ses côtés, en Leporello, Krzystof Bączyk déploie un timbre noble qui lui donne davantage l’aspect d’un Lord que d’un valet. Clive Bayley donne de l’allure au marbre du Commandeur. Pawel Horodyski s’impose en Masetto et Amitai Pati offre son beau ténor à un touchant Ottavio.
Conclusion : splendide direction Rattle et mise en scène ratée.
André PEYREGNE
18 juillet 2025
Direction musicale : Sir Simon Rattle
Mise en scène : Robert Icke
Scénographie : Hildegard Bechtler
Costumes : Annemarie Woods
Lumière : James Farncombe
Chorégraphie : Ann Yee
Vidéo : Tal Yarden
Don Giovanni : Andrè Schuen
Leporello : Krzysztof Bączyk
Donna Anna : Golda Schultz
Donna Elvira : Magdalena Kožená
Don Ottavio : Amitai Pati
Il Commendatore : Clive Bayley
Zerlina : Madison Nonoa
Masetto : Paweł Horodyski
Estonian Philharmonic Chamber Choir Chef de chœur :Aarne Talvik
Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks