Standing Ovation – hier soir – à la Salle Gaveau pour le concert donné par le pianiste Simon Ghraichy et le prodige de la contrebasse franco-autrichien Marc André. Les duettistes inventent une nouvelle forme de concert, à l’enchantement d’un public tout aussi nouveau. Les artistes brillent par une sélection judicieuse d’arrangements et d’adaptation d’œuvres fameuses.
Le concert était très attendu. Il l’était autant pour le public que pour une poignée de professionnels hostiles à toute innovation et s’agrippant à un Titanic avec lequel ils disparaîtront. La personnalité ravageuse et clivante de Simon Ghraichy leur hérisse le poil. L’apparition – pour la première fois – à la Salle Gaveau du pianiste franco-libano-mexicain les inquiétait. L’artiste attire, en effet, un public composite et multicolore dont la moyenne d’âge tourne autour de la quarantaine. Il n’hésite pas à s’adresser aux auditeurs, afin de leur fournir des explications sur ce qu’ils entendront. Il a – surtout – la capacité de faire des programmes à tout le moins inattendus. Voici plusieurs mois que certaines belles âmes se gaussaient à l’annonce d’une soirée réunissant piano et contrebasse. Que n’entendit on pas alors comme remarques à la limite de la malveillance !
Ces détracteurs ignoraient que Marc André accorde sa contrebasse une quinte plus haut que d’usage. En résulte un son très proche de celui du violoncelle. Les mêmes détracteurs ne se rendent pas compte des capacités de discours musical et de virtuosité de l’intéressé. Il contrôle au mieux la vétilleuse difficulté de la justesse, inhérente à la contrebasse. On en aura pris la mesure durant une bonne heure, en particulier au moment d’écouter une page signée Manuel de Falla. Elle a permis à Marc André d’effectuer notamment une impressionnante démonstration de staccato volant. L’autre grand intérêt aura été de goûter les judicieux arrangements effectués par les compères. Ils couvrent un éventail allant de Granados à Fauré, passant aussi – entre autres – par Debussy et Schumann. Il aura permis de montrer un Simon Ghraichy fort à l’aise parmi des combinaisons pianistiques inattendues, la voix supérieure des œuvres passant désormais à la contrebasse.
La soirée aura eu deux moments phares. D’abord les éblouissantes études pour piano du Polonais Paweł Szymański (*1954), dont Ghraichy a effectué antan la création mondiale et qu’il donnera à nouveau ces prochains jours à Varsovie. D’une difficulté hallucinante d’exécution, ces pages pastichent Bach, lorgnent vers les répétitifs américains et sont néanmoins porteuses d’une forte marque de fabrique. L’autre pièce de choix aura été l’arrangement des Amours du poète, opus 48, célèbre cycle de lieder signé Robert Schumann. Illustrés en tous lieux par des barytons illustres comme Dietrich Fischer Dieskau, Theo Adam ou Thomas Quasthoff, ces seize bijoux ne souffrent pas ici de l’absence des textes d’Heinrich Heine. La folie, les névroses schumanniennes étaient au rendez-vous. On espère d’ailleurs que Simon Ghraichy et Marc André en réaliseront vite un enregistrement.
Restera de cette soirée mémorable, conclue sur Astor Piazzolla, le souvenir d’une plastique sonore et humaine des plus affirmées. On ne saurait exclure que Marc André soit appelé également – si ce n’est déjà pas en cours – au mannequinat et au cinéma, comme d’autres l’étaient autrefois au ministère des saints autels. La Salle Gaveau, longtemps porteuse d’une image poussiéreuse, semblerait en mutation. Elle commence à attirer des auditeurs peu conventionnels. Les individus n’acceptant pas que Simon Ghraichy et Marc André soient à la fois d’excellents musiciens et les détenteurs d’un physique dépourvu d’ingratitude ont bien fait de rester devant leurs tasses de verveine.
Dr. Philippe Olivier
