Sol invictus ! Rien ne convient mieux au solstice d´hiver et à la période des fêtes de fin d´année que la Flûte enchantée de Mozart, un opéra maçonnique qui consacre la victoire de la lumière solaire sur les ténèbres lunaires de la Reine de la nuit. Comme le veut une tradition bien ancrée, la Bayerische Staatsoper a cette année encore présenté Die Zauberflöte pour les fêtes de fin d’année. C´est la période des cadeaux et deux représentations (les 27 et 30 décembre) sont spécialement ouvertes aux familles. Le somptueux promenoir bleu et or et les grands escaliers où les spectateurs déambulent d’ordinaire avec la lenteur débonnaire qui sied à ces lieux prestigieux s’animeront à nouveau des rires et des jeux d’enfants que leurs parents pareront de leurs plus beaux atours pour les emmener voir, sans doute pour nombre d’entre eux, leur premier opéra. Les deux soirées affichent complet. On peut imaginer qu’en mélomanes avertis les parents prendront le soin de la préparation du spectacle. La Bayerische Staatsoper n’est pas en reste qui, ces soirs-là, organise une introduction au spectacle spécialement destinée au jeune public.
La célèbre mise en scène d’August Everding, qui date de 1978, fête son quarante-cinquième anniversaire, elle a fait le tour du monde et ne doit plus être présentée. Elle est particulièrement efficace avec un public enfantin, et c’est aussi une des richesses du livret d’Emanuel Schikaneder : il comporte différents niveaux de lecture, et un de ces niveaux est accessible aux enfants. C’est une des grandes qualités de cette mise en scène de donner pleinement à voir le conte de fées, ce qui n’oblitère en rien la lecture du parcours maçonnique. Les somptueux décors et les fabuleux costumes rococo de Jürgen Rose, que ce grand artiste a totalement rénovés en 2004, contribuent largement à permettre d’introduire le jeune public à l’opéra. Ainsi l’initiation, on le sait un des grands thèmes de cet opéra, devient-elle opérante pour les plus jeunes aussi. Dès l’ouverture du rideau, la Reine de la Nuit apparaît suspendue au centre d’une grande pleine lune et assiste au combat de Tamino contre un énorme serpent dragon cracheur de feu. La punition du mensonge de Papageno est soulignée par un grand cadenas. L’arrivée des adjuvants et plus tard l’apport d’objets magiques, la flûte et le carillon de clochettes, sont parfaitement compréhensibles par les plus petits. Ce sont surtout les clowneries d’un Papageno, superbement incarné par Konstantin Krimmel, qui donne une approche très humaine et sensible à son personnage avec une belle maîtrise vocale, qui enchantent les enfants. Le personnage de Monostatos, un des rôles fétiches de Kevin Conners, qu’il interprète avec bonheur depuis 1995, n’apparaît plus comme autrefois grimé en Père fouettard blackface. Sa tribu de sbires, le domptage des singes et des ours qui se mettent à danser captivés par la musique des instruments magiques, ou encore les coups de tonnerre, relèvent aussi des récits enfantins. Les statues de pierre qui s’animent dans ce qui ressemble à un cimetière sont tout aussi efficaces pour accrocher l’attention des plus petits ; une statue de la déesse de la fortune, avec sa corne d’abondance, s’anime et se révélera être Papagena qui paraissait pétrifiée ; des lions de pierre se mettent à balancer la queue à la grande frayeur de Papageno et leurs têtes soudain mobiles font fuser les rires. L’opéra est rempli de magie, de nombreux enfants sont en scène : chœurs d’enfants avec les trois solistes de l’excellentissime chœur d´enfants de Bad Tölz, le Tölzer Knabenchor, arrivée céleste des trois Knaben, ou encore la douzaine d’enfants habillés comme leurs parents de costumes champêtres et floraux, qui représentent la descendance en ribambelle de Papageno et de Papagena, tout cela contribue à faire aussi de la Flûte un opéra bien adapté au public le plus jeune.
L´excellent plateau de chanteurs et les admirables musiciens du Bayerische Staatsorchester sont conduits par Lothar Koenigs, un chef très apprécié du public munichois pour ses directions des opéras de Mozart, Wagner et Strauss, les trois dieux lares de la Maison. La Reine de la nuit est interprétée par la soprano norvégienne Caroline Wettergreen, qui s’est attachée à chanter ses deux grands airs en dressant un portrait vocal complexe de la palette des sentiments qui animent son personnage. Une Reine de la nuit vibrante de colère et de haine, mais également une femme manipulatrice, aigrie et bientôt désillusionnée et triste. La finesse de l’expression n’est cependant pas soutenue par suffisamment de puissance et la chanteuse reste en deçà de la fureur qu’on attend dans ce rôle. La Papagena de la soprano norvégienne Eirin Rognerud, qui fait partie de l’Opéra Studio depuis cette saison, est d´un humour pétillant avec un fausset et un jeu de scène très amusants.
La brillante soprano américaine Emily Pogorelc, qui fait partie de la troupe du Bayerische Staatsoper depuis 2020 et fut lauréate Operalia 2021, est de facto la véritable reine de la soirée : sa présence en scène d’une assurance peu commune, la fierté de son port, son charisme enchanteur, une maîtrise technique virtuose, la beauté du timbre, la chaleur de la voix parfaitement projetée, la perfection de l’articulation, la puissance et le volume, l’aisance dans les aigus et de belles profondeurs, tout cela en font une merveilleuse Pamina, sensible et lumineuse. Le ténor américain Ben Bliss fait ses débuts munichois avec son Tamino qui a depuis longtemps conquis les scènes américaines, notamment au MET la saison dernière. Ce ténor lyrique mozartien compose un Tamino un peu retenu mais d’une grande élégance, avec une belle amplitude vocale, une noblesse gracieuse et beaucoup de tendresse. Il donne une plus grande mesure en fin de partie avec davantage de force et d’éclat au final. Le baryton Konstantin Krimmel, lui aussi membre de la troupe, proclamé jeune chanteur de l’année par le magazine Opern Welt, offre un Papageno très physique et très humain. Konstantin Krimmel fut chasseur alpin et est toujours passionné de montagne, amateur de randonnée, d’escalade et de ski. Aussi peut-on le voir bondir sur scène pour sauter sans peine un obstacle. Il ne livre pas ce Papageno un peu burlesque et caricatural que l’on voit souvent représenté, mais compose un être solide qui a choisi de vivre pleinement sa vie en harmonie avec la nature, les pieds sur terre, et qui rêve de fonder une grande famille. La haute philosophie n’intéresse pas l’oiseleur, et il donne avec dignité un juste pendant au parcours spirituel de Tamino. La voix de Konstantin Krimmel a déjà atteint une pleine maturité, elle dispose d’une puissance de projection remarquable, d’une force expressive intense, d’un timbre chaleureux, d’une grande clarté d’articulation, notamment dans les parties théâtrales, parfaitement compréhensibles. Dimitry Ivashchenko revient à l’opéra de Munich en Sarastro, qu’il interprète avec le métal profond de son timbre si particulier.
L’Opéra d’Etat de Bavière fait comme chaque année la démonstration magistrale que cette œuvre de Mozart est aussi accessible aux plus petits, tout autant qu’à leurs aînés, c´est son miracle de Noël, ou de solstice d’hiver, c´est selon.
Luc-Henri ROGER
Distribution du 19 décembre 2023
Direction musicale Lothar Koenigs
Mise en scène August Everding
Nouvelle étude Helmut Lehberger
Scène et costumes Jürgen Rose
Lumière Michael Bauer
Collaboration chorégraphique Beate Vollack
Chœur Christoph Heil
Sarastro Dimitry Ivashchenko
Tamino Ben Bliss
Narrateur Milan Siljanov
Reine de la nuit Caroline Wettergreen
Pamina Emily Pogorelc
Première dame Yuliia Zasimova
Deuxième dame Xenia Puskarz Thomas
Troisième dame Avery Amereau
Trois garçons Solistes du Tölzer Knabenchor
Papageno Konstantin Krimmel
Papagena Eirin Rognerud
Monostatos Kevin Conners
Premier homme en armure John Findon
Deuxième homme en armure Alexander Köpeczi
Premier prêtre Milan Siljanov
Deuxième prêtre John Findon
Troisième prêtre Jurij Diez
Quatrième prêtre Markus Baumeister
Trois esclaves Markus Baumeister, Jurij Diez, Burkhard Kosche
Orchestre de l’État de Bavière
Chœur de l’Opéra de Bavière