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Die Liebe der Danae, l’opéra testamentaire de Richard Strauss à la Bayerische Staatsoper

Die Liebe der Danae, l’opéra testamentaire de Richard Strauss à la Bayerische Staatsoper

mardi 11 février 2025

Crédit photographique © Geoffroy Schied

Claus Guth a mis en scène de très nombreux opéras de Richard Strauss, dont il est devenu un éminent spécialiste. En 1988 il était étudiant à l’Académie de Théâtre August Everding, une année straussienne pour l’Opéra national de Bavière qui avait joué tous les opéras du compositeur en une saison, y compris Die Liebe der Danae.

Ce fut sa grande initiation à Strauss, et sa fascination pour le compositeur ne l’a depuis lors plus quitté. Wolfgang Sawallisch présidait alors aux destinées de l’Orchestre de l’État de Bavière. Pour sa nouvelle production, Claus Guth s’est associé au chef Sebastian Weigle, avec lequel il entretient une longue relation de travail : ils ont monté ensemble DaphneRosenkavalier et plus récemment Elektra à l’Opéra de Francfort.

Claus Guth a une connaissance intime de la musique des opéras de Strauss. C’est au départ de la musique qu’il élabore ses mises en scène. Il s’en est expliqué dans une interview menée par Yvonne Gebauer, publiée dans le programme : ” J’ai d’abord été attiré par la grande diversité des couleurs. J’étais fasciné par le nombre de couches que ce compositeur cachait sous une surface qui semblait lisse au premier abord. C’était tout à fait intuitif : cette musique enivrante m’a saisi comme une aspiration, voire m’a submergé. […] La musique est pour moi le point de départ central de mon travail. Chez Strauss, j’ai l’impression que l’orchestre réalise une radiographie des différentes couches musicales. Plus on explore et plus on creuse, plus ce cosmos s’enrichit. Grâce à cette stratification complexe, le dessin des personnages donne lieu à des portraits subtils, voire à des psychogrammes d’une grande richesse, d’une incroyable modernité. Ce sont surtout les fortes figures féminines auxquelles Strauss s’est intéressé et qu’il a façonnées à maintes reprises tout au long de son œuvre. Je trouve le caractère abyssal de la musique de Richard Strauss très fascinant et inspirant. Elle me permet, en tant que metteur en scène, d’aller à l’encontre de la beauté superficielle avec des images et des récits très différents et de créer un écho dans les couches profondes de la musique. […] C’est aussi en cela que consiste mon travail : faire ressortir précisément cela. “

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©Monika Rittershaus

Claus Guth a déplacé l’action des temps mythiques dans la vivacité du bel aujourd’hui. Les origines de Pollux, roi de l’île d’Éos et père de Danae, ne sont pas abordées dans le livret que Joseph Gregor composa au départ d’un projet de Hugo von Hofmannstahl. Claus Guth en fait un businessman banquerouté dont les baies vitrées des bureaux donnent sur une ligne de gratte-ciel sans doute new-yorkais.

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© Geoffroy Schied

Pollux est coiffé à la Donald Trump ( une mention particulière pour le talent du perruquier s’impose) cette allusion au président se voit encore renforcée lorsqu’on aperçoit un avion tout doré en train d’effectuer son atterrissage. Mais ce rapprochement est vite oublié, ce n’est qu’un clin d’œil amusé au passage, il s’agit de montrer que l’opéra de Strauss décrit le crépuscule des dieux que les humains ont délaissé au profit de leur vénération pour l’or, une vénération d’abord partagée par Danae, qui saura se libérer de son emprise en découvrant son indépendance et sa volonté propre, un trait typique des personnages féminins de Strauss. La mise en scène met en évidence l’évolution des personnages : Danae bien sûr, qui abandonne ses stériles rêves cousus d’or au profit de son amour pour Midas, redevenu un simple ânier, mais aussi Jupiter qui abandonne son costume tout en or et sa divinité pour se transformer en Wanderer, dieu déchu, errant et crépusculaire.

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©Monika Rittershaus

La mise en scène de Claus Guth montre bien que le monde de Pollux et de ses créanciers est vide de sens et illusoire, et que l’humanité est tout aussi insensée dans sa recherche perpétuelle d’une satisfaction nouvelle. La scénographie de Michael Levine nous fait passer des bureaux ordonnés du premier acte aux bureaux dévastés du troisième acte. Le final est particulièrement poignant avec les vidéos de rocafilm occupant tout le fond de scène : on y un film tourné à la fin de la vie de Strauss : le compositeur se promène dans le vaste jardin de sa villa de Garmisch ou sur fond de Munich anéantie par les bombardements, dont celui qui détruisit complètement le Théâtre national de Munich en 1943. Ce final nous rappelle le sujet délicat des relations privilégiées et contrastées que Strauss entretint avec le national-socialisme.

Der Liebe der Danae est relativement peu joué. La dernière production munichoise remonte aux temps de Sawallisch. Pourtant cette œuvre composée à la fin du parcours musical de son auteur est particulièrement passionnante tant par sa diversité que parce qu’elle comporte de nombreuses auto-citations que les straussiens avertis se plairont à reconnaître.

On retrouve des motifs ici du Rosenkavalier, là d’Arabella ou de la Frau ohne Schatten, de Daphne encore et souvent, plus proche dans le temps. Des leitmotivs subtilement exprimés, des passages symphoniques lors des interludes, des polyphonies chorales, du lyrisme et de l’humour, partout une grande maîtrise de l’instrumentation, et toujours cette légèreté et cette grâce si straussiennes. Lors de l’interlude du premier acte, la transposition musicale de la pluie d’or qui vient illuminer le rêve de Danae est une petite merveille que traduisent les flûtes, le glockenspiel, le célesta et le piano. On perçoit l’enchantement sonore métaphorique de la pluie d’or.

Straussien réputé, Sebastian Weigel et l’Orchestre d’État de Bavière, qui pratique Strauss depuis toujours, ont su transmettre la magie alchimique de cet opéra trop peu connu, qui transmue l’or en amour. Le chef a réussi une parfaite connexion entre la fosse et la scène. Il s’est également appliqué à rendre perceptibles les subtiles superpositions des strates sonores que Strauss a si joliment tissées dans sa partition. 

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© Geoffroy Schied

De merveilleux chanteurs complètent le tableau d’une soirée qui tutoyait la perfection. La maladie a contraint Malin Byström, attendue en Danae, de renoncer aux deux premières représentations, après avoir assuré la générale. Manuela Uhl, qui avait déjà incarné Danae à Kiel en 2001 puis à Berlin en 2016, était heureusement disponible et a réussi l’exploit d’intégrer la production en moins de 24 heures et de livrer une interprétation scénique magistrale, puissante et émouvante de son personnage. Straussienne et wagnérienne, elle détaille la palette émotionnelle de Danae de son soprano dramatique rayonnant, doté d’une solidité et d’une charge énergétique telles qu’elle peut le pousser à la limite de l’exaltation.

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©Monika Rittershaus

Tout aussi stellaire est le Jupiter du baryton Christopher Maltman qui fait passer son personnage d’abord sûr de lui, infatué et arrogant par les affres de l’échec. La perfection du jeu scénique du baryton anglais est à l’aune de sa performance vocale. Jupiter, adulé par les quatre reines, amantes délaissées mais toujours éprises du dieu, convaincu de la puissance de l’or qu’il produit à foison, se heurte aux choix de Danae qui renonce au métal précieux et à la gloriole divine pour vivre dans l’amoureuse pauvreté que peut lui offrir le vrai Midas, ânier de son état. La dégradation de la condition du dieu suprême le transforme en un pèlerin cheminant qui finit terrassé et impuissant. La prestation de Christopher Maltman atteint au sublime.

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Crédit photographique © Geoffroy Schied

Le ténor héroïque d’Andreas Schager en Midas passe sans peine les rutilances de l’orchestre tout en conférant à son personnage une aura d’harmonieuse douceur. Dérisoires et futiles, joliment attifées, les quatre reines que Strauss traite toujours en groupe, comme une hydre amoureuse à quatre têtes qui essayent de se réapproprier leur divin amant, sont remarquablement interprétées par Sarah Dufresne (Semele), Evgeniya Sotnikova (Europe), Emily Sierra (Alcmène) et Avery Amereau (Leda), un groupe choral qui donne un canon épatant au troisième acte.

Dans son entretien avec le metteur en scène la dramaturge Yvonne Gebauer rappelle les mots prononcés par Strauss alors qu’en 1944, il prenait congé de l’Orchestre philharmonique de Vienne à Salzbourg, après que celui-ci eut joué l’interlude en do majeur de l’opéra du dernier acte de Danae : « Peut-être nous reverrons-nous dans un monde meilleur ». L’amour de Danae pour Midas au sein d’un monde en déshérence porte ce message d’espoir bien nécessaire en des époques honteusement troublées. Et l’excellente production de l’Opéra de Munich en communique l’universalité.

Luc-Henri ROGER

Distribution du 11 février 2025

Direction musicale : Sebastian Weigle
Mise en scène et chorégraphie :  Claus Guth
Scène :  Michael Levine
Costumes :  Ursula Kudrna
Lumières :  Alessandro Carletti
Vidéo :  rocafilm
Chœur :  Christoph Heil
Dramaturgie :  Yvonne Gebauer, Ariane Bliss
Jupiter :  Christopher Maltman
Mercure :  Ya-Chung Huang
Pollux :  Vincent Wolfsteiner
Danae :  Malin Byström
Xanthe :  Erika Baikoff
Midas :  Andreas Schager
Quatre rois :  Bálint Szabó, Kevin Conners, Paul Kaufmann, Martin Snell
Semele :  Sarah Dufresne
Europe :  Evgeniya Sotnikova
Alcmène :  Emily Sierra
Leda :  Avery Amereau
Quatre gardiens :  Yosif Slavov Bruno Khouri Vitor Bispo Daniel Noyola
Une voix :  Louise McClelland


Chœur de l’Opéra d’État de Bavière
Orchestre national de Bavière

La captation audio de la première est actuellement disponible en ligne sur BR Klassik :

https://www.br-klassik.de/programm/radio/ausstrahlung-3702776.html

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