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LE JARDINIER DE LA CORRÈZE

LE JARDINIER DE LA CORRÈZE

mardi 4 février 2025

Animé par un esprit de curiosité et d’originalité, le ténor Carl Ghazarossian est l’un des artistes du label Hortus. (c) Marc Larcher

Le marasme actuel de l’industrie du disque n’empêche pas divers producteurs indépendants de produire et de commercialiser des programmes sortant parfois de l’ordinaire. Tel est le cas d’Hortus, fondé en 1994. Cette firme ne plaisante pas sur la qualité. Elle propose des répertoires attractifs, originaux et élaborés avec un soin manifeste.
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La crise de la musique classique en France, assortie à un écroulement inquiétant de son dispositif culturel, n’est pas assez coercitive pour que Didier Maes cesse de continuer à cultiver un superbe jardin discographique. Il est d’autant plus précieux que les mauvaises nouvelles s’amoncellent ici et là. Après la Région Pays de la Loire ayant décidé d’étrangler son patrimoine artistique, le département de l’Hérault vient de sabrer 100% de son budget culturel. Mais des poches de résistance existent ici et là depuis belle lurette, comme si certains avaient vu venir – très longtemps à l’avance – des événements néfastes dont le déploiement ne peut que s’accentuer. Ainsi, depuis la Corrèze où il travaille quand il ne se déplace pas pour suivre les sessions des enregistrements destinés à son catalogue nommé Hortus, Didier Maes confectionne d’utiles provisions. Elles nous régaleront quand la vie musicale française ne sera plus qu’un souvenir estompé et que nous écouterons surtout des CD en buvant de la tisane.

Installé aux alentours de Végennes, une commune de 175 habitants, Maes a fondé Hortus en 1994. Il est l’une des figures d’un métier désormais dominé par des labels internationaux dont les sites de commandement se trouvent à l’étranger. Maes continue ainsi une tradition artisanale dont d’autres représentants auront été Alain Villain avec Stil ou Jacques Le Calvé grâce au label Calliope. Ce dernier aura existé durant quatre décennies, de 1970 à 2011. Aujourd’hui, ce souci de la liberté se trouve aussi représenté par Aparté, Naïve, Ricercar ou Mirare, dont l’un des responsables est le fils de René Martin, le directeur des Folles journées de Nantes. En ce qui concerne les Martin, ils relèvent de l’activité artisanale familiale. Mais ils n’ont pas que des amis. Comme il y a nombre d’appelés et très peu d’élus, le microcosme est devenu un marché captif rempli de rancunes.

Retrouvons Didier Maes. Ayant été dans un univers professionnel différent avant de devenir producteur de disques, il est fort sollicité par les artistes. Le temps n’est plus où un catalogue comme celui de Deutsche Grammophon accompagnait divers interprètes tout au long de leur carrière. L’heure est à la fongibilité. Un interprète en remplace très vite un autre. Il est alors plus jeune, plus souple, plus photogénique que lui. Le talent absolu ne relève plus de la priorité. Mais n’entre pas chez Hortus qui veut. On n’y plaisante guère avec la qualité. En l’espèce de trois décennies, Maes s’est parfois déplacé fort loin pour réaliser les 350 CD – un certain nombre d’entre eux voués à l’orgue – parus sous son label.

Tandis que la concurrence – entendue au sens large du terme – s’ingénie à attirer l’acheteur par des programmes tenant du dénominateur commun bas de plafond, Hortus combine travail de recherche et jogging intellectuel. La firme aura lancé une imposante collection de 36 CD, vouées aux musiciens ayant vécu la Première Guerre mondiale et témoigné de leur créativité durant cette période terrible. Hortus vient de lancer une autre collection consacrée aux créateurs victimes des persécutions nazies. Nommée « Voix étouffées – Missing Voices « , elle s’est récemment ouverte sur un CD Schönberg dont la direction aura été l’ultime enregistrement du regretté Amaury du Closel (1956-2024). En l’état actuel, cette collection devrait comporter a minima quatre autres CD. On a donc, chez Hortus, le sens de la mémoire. Elle est au cœur du CD Paul Arma, réalisé notamment par le pianiste Thomas Tacquet. En 2020, la firme lançait un « Paris – Los Angeles » réunissant des œuvres pour violon et piano d’Eric Zeisl (1905-1959) et de Darius Milhaud (1892-1974). Ils furent liés par l’amitié et exilés aux États-Unis à cause du déchaînement de la folie hitlérienne. Ce programme permet d’apprécier le violoniste français Ambroise Aubrun et le pianiste belge Steven Vanhauwaert, en particulier dans le premier enregistrement mondial d’un fragment de l’opus 21 de Zeisl dont la fille, Barbara, épousa l’un des garçons de Schönberg.

La mise à l’écart de l’auteur célèbre du « Pierrot lunaire » en aura précédé et suivi d’autres. Les cercles du pouvoir musical parisien actuel ne sont pas – à titre d’exemple – attentifs au travail du compositeur Pascal Arnault. Cet agrégé de musique aura longtemps vécu à Niort, la capitale des mutuelles. Très sensible aux malheurs du monde, Arnault médite, grâce à la musique, sur les massacres au Rwanda, sur les attaques islamistes survenues en France – par la « Sonate Novembre 2015 » pour clarinette et piano – ou sur l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Résulte de ses pensées une musique très étrange, difficilement rattachable à des tendances établies. On en prend la mesure à l’écoute de l’album « Quand la bourrasque gronde », auquel sont intégrés des textes signés du poète Louis Levionnois (1944-2023), se distinguant lui aussi par un « manque d’appétit pour les mondanités ». En d’autres termes, Hortus poursuit une activité comparable à celle de Michel Foucault. N’analysait il pas le monde en portant son attention sur des destins n’étant pas liés à un chemin de réussite sociale ?

Un esprit de recherche et de curiosité anime aussi « Qu’as-tu fait de ta jeunesse ? » voué à des mélodies pour chant et piano écrites par près de vingt compositeurs sur des textes fameux de Verlaine. Elles datent du temps où ils commençaient à se faire un petit nom. Figurent, au sein de ce florilège, des personnalités fameuses comme Gabriel Fauré et Claude Debussy. Mais aussi des créateurs moins répandus parmi le public : Albert Doyen, Gabriel Dupont, Sylvio Lazarri ou Florent Schmitt, dont le comportement fut – entre 1933 et 1945 – à l’inverse de ce qu’est celui d’un démocrate. Au nombre de ces raretés apparaît « Un grand sommeil noir » mis en musique – en 1906 – par un Edgar Varèse âgé de vingt-trois ans. Le ténor Carl Ghazarossian et le pianiste Emmanuel Olivier poursuivent ainsi leur collaboration avec Hortus, ayant débuté voici une décennie. S’étant d’abord distingué dans le répertoire baroque, le chanteur étend de manière pertinente ses explorations de la musique vocale née durant une période postérieure. Il se substitue fort à propos aux inévitables barytons à l’heure de magnifier Debussy ou Fauré.

La présence du piano conduit aussi à se pencher volontiers sur « Suites – Hommage à Marcelle Meyer », un magnifique enregistrement réalisé par Jean-Paul Pruna, jeune Français aujourd’hui chef de chant principal au Grand-Théâtre de Genève. Ce premier album de Pruna rassemble des œuvres de Froberger, Purcell, Bach et Rameau, ayant appartenu au répertoire de Marcelle Meyer (1897-1958). En affaires avec les Ballets Russes de Serge de Diaghilev et à la tâche au milieu du Groupe des Six, la fameuse Mme Meyer était autant à l’aise dans la musique nouvelle que parmi les maîtres baroques, dont elle exhuma le répertoire alors négligé. Figure du retour à Bach pour les Français et de la « nouvelle simplicité » pour les Allemands, l’artiste avait une personnalité fascinante. Par chance, Jean-Paul Pruna a choisi de jouer un Pleyel de la fin des années 1900 afin de restituer la sonorité et le toucher raffinés d’alors. Ceux de Marcelle Meyer. En résulte un travail de haut niveau. Je le souligne d’autant plus que je ne comprends pas certains commentaires formulés au sujet de ce CD, commentaires me faisant formuler une hypothèse selon laquelle des petits « docteurs » de la Loi autoproclamés n’auraient pas les mêmes oreilles que le reste de l’humanité.

En 2025, des magazines comme « Diapason » et « Musica » sont dépendants – pour vivre – de la publicité achetée par les majors du disque, Universal au premier chef. La consommation de masse ne suscite ni la créativité, ni l’esprit d’aventure. Dès lors, la situation des labels indépendants français devient préoccupante, comme en témoigne La Lettre du Musicien dans son numéro de février 2025. Mais Didier Maes ne se laisse pas polluer. Il jardine avec Hortus – ô redondance ! – dans le calme réparateur des campagnes.

Dr. Philippe Olivier

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