Aucun des opéras de VERDI n’a été modifié, abrégé, réorganisé même réécrit autant de fois que Don Carlo, son œuvre la plus sombre, dont le tissu de contraintes religieuses, politiques et sociales évoque l’impitoyable force du destin, propre au théâtre grec. Il commença son écriture en 1865 et ce n’est que vingt ans plus tard que la création milanaise en 4 actes vit le jour. Inspiré de la pièce éponyme de Schiller, l’opéra a connu pas moins de 7 versions. Il faut savoir que l’œuvre du Maître de Busetto est au départ du grand opéra français DON CARLOS, basé sur une fresque historique, construit en 5 actes et comprenant le fameux ballet cher aux traditions parisiennes.
Ce soir, c’est la version dite « milanaise » mise en scène par Marco Arturo Marelli et créée en 2013 qui nous a été proposée.
L’opéra débute donc directement par la scène du monastère où Don Carlo recherche la paix intérieure près du tombeau de son grand-père Charles Quint qui luiparle par l’intermédiaire d’un moine. La production sombre et rocailleuse de Marco Arturo Marelli représente dans cette scène (et d’ailleurs tout au long de l’opéra) un parfait exemple de théâtre musical intelligemment conçu, adapté au répertoire et approprié à l’œuvre. Il fait le choix d’un décor unique et évolutif qu’il articule avec une jeu de lumières très astucieux. Une série de gros blocs en béton, avec des murs verticaux du sol au plafond forment successivement les différents lieux : monastère, jardins de la Reine, cloître, cathédrale, cabinet du Roi, prison et couvent. La disposition des blocs de pierre mobiles de couleur gris foncé est impressionnante visuellement, laissant apparaître à travers des rayons de lumière rouge, bleu et incolore, une croix celle qui pèse comme les blocs de béton sur ces destins brisés. Seul le tombeau de Charles Quint (que l’on au début et à la fin) est le seul lieu lumineux, le reste est terne, gris et triste comme les relations maudites entre les personnages de cette œuvre.
Dommage que la direction d’acteurs manque d’interaction entre les personnages de Don Carlo et d’Elisabeth de Valois qui se tiennent trop souvent à distance l’un de l’autre, même si le metteur en scène a mis l’accent sur l’impossibilité absolue de leur amour.
Sir Donald Runniches, à la tête de l’Orchestre du Deutsche Oper de Berlin depuis 2009, dirige ce Don Carlo avec un immense talent et une grande qualité musicale, en donnant aux instruments de musique une place directe en tant qu’acteurs du drame. On perçoit que Verdi dans ce Don Carlo s’éloigne des traditions et,canons du Bel Cantemier acte, mais c’est le thème de l’amitié qui domine avec le fameux duo « Dio, che nell’alma infondere amor » repris trois fois, exprimant la profondeur mais aussi l’ambiguïté dans la relation entre Don Carlo et Rodrigo, Marquis de Posa.
Les chœurs du Deutscho. Les critiques de l’époque l’ont d’ailleurs accusé de faire du Wagner !!!!
Pas de duos d’amour dans le pre Oper, très bien dirigés, ne sont plus là pour divertir mais pour figurer les foules en mouvements au centre de l’action. C’est ce qui donne d’ailleurs à Don Carlo ce côté sombre et même austère qui convient si bien.
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© Marcus Lieberenz
Côté vocal, le plateau est exceptionnel ce soir, très sonore, brillant, chaque soliste incarnant son rôle avec talent et grande conviction. C’est également le premier Don Carlo du ténor Jonathan Tetelman. ténor qui monte en force (un magnifique Pinkerton et Werther au Festspielhaus de Baden-Baden, un enregistrement exceptionnel de Tosca avec Ludovic Tézier et Eleonora Buratto, dirigés par Daniel Harding). Tetelman nous a offert ce soir une prestation intéressante et brillante (il n’est pas facile de briller dans Don Carlo, car Verdi n’a pas écrit de grand air pour ténor surtout dans la version italienne, sans l’acte de la forêt de Fontainebleaiu). Fougueux ténor spinto, il incarne Don Carlo luttant pour son amour pour Elisabeth de Valois, se rebellant courageusement contre la dissimulation des Flandres, avec des aigus métalliqiues dignes d’un certain Franco Corelli. De plus, il possède un registre médium en or, et une intensité de jeu inégalée. On sent que dans chaque note, chaque mouvement, sa présence scénique spectaculaire, Jonathan Tetelman dégage une aura d’authenticité. Même si parfois son tempérament exubérant semble parfois pousser Tetelman dans ses retranchements, il peut être considéré comme le ténor le plus important du jeune répertoire « spinto italien » au niveau mondial.
Comme c’est souvent le cas dans Don Carlo, c’est Posa qui tire la couverture à lui. Il a plusieurs arias, participe à de divers duos et chante même quand il meurt. Le jeune coréen Gihoon Kim, habitué du Deutsche Oper est un excellent baryton verdien, avec une technique irréprochable, un beau timbre rond, des aigus souverains (même un trille de très haute tenue). Par son volume et sa créativité vocale, Kim est un véritable phénomène naturel, un baryton dramatique, robuste, masculin et très équilibré. (pas étonnant qu’il soit programmé au Festival de Pâques à Salzburg dans L’or du Rhin) Vraiment, ce chanteur est promis à une grande carrière internationale.
Patrick Guetti, membre de la troupe du Deutsche Oper est un grand inquisiteur impressionnant et menaçant. Sa voix est magnifique et puissante et sait tenir tête à l’Orchestre. Il incarne scéniquement bien l’approche dure et brutale du chef religieux.
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© Marcus Lieberenz
Le portrait du Roi Philippe II incarné par Alex Esposito met en lumière les faiblesses de ce monarque mal-aimé, sous la coupe de l’Eglise. Grand spécialiste de Mozart, il est certes moins à l’aise en Philippe II, d’autant plus que sa voix donne des signes de fatigue à plusieurs reprises, notamment dans le grandiose air « Ella giammai m’amo », applaudi à cause de son talent d’acteur, mais qu’il a chanté presque « parlando ». Il a cependant eu de beaux moments où sa voix a retrouvé son brillant.
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©Marcus Lieberenz
La distribution des deux rôles féminins est aussi convaincante et cohérente. Federica Lombardi, d’une majesté inimitable campe une Elisabeth de Valois idéale et magnifique. Juste ce qu’il faut de distance et d’élégance, son chant et son jeu sont nobles et contrastent dramatiquement avec le fougueux Carlo de Tetelman. Dans l’air du dernier acte, « Tu che la vanità » Federica Lombardi émeut le public par la complexité et la richesse des émotions contradictoires exprimées. Toutes les promesses de bonheur se sont envolées, les espoirs se sont révélés illusoires. Son dernier duo avec Don Carlo (l’adieu) était d’une immense beauté, chanté, non susurré avec de beaux crescendos. Dieu, que c’était beau et émouvant !!!!
En tant que rivale d’Elisabeth, la princesse Eboli (très atypique) est entre de bonnes mains (ou de belle voix) avec Irene Roberts. Elle a démontré ce soir sa polyvalence avec une remarquable interprétation d’Eboli, à la fois un peu fofolle, même exotique et diablement séduisante. Elle possède toutes les nuances nécessaires pour incarner le personnage d’Eboli, femme profondément blessée, désespérément jalouse. Son air « O don fatale » a été particulièrement salué, à juste titre, par le public.
Les personnages secondaires sont également bien tenus confirmant l’habituelle qualité des « ensembles » allemands et contribuant ainsi à l’excellence de la représentation.
Ce fut une soirée magnifique, musicalement captivante et émouvante, consacrée au répertoire lyrique en général et à la magnifique et héroïque musique de Verdi, en particulier……
Marie-Thérèse Werling
25 mai 2025
Distribution :
Direction musicale : Sir Donald Runnicles
Chœurs et Orchestre du Deutsche Oper BERLIN
Mise en scène, éclairage : Marco Arturo Marelli
Costumes :Dagmar Niefin
Chœurs : Jérémy Bines
Rodrigo, marquis de Posa : Gihoon Kim
Comte de Lerma / Héraut : Kangyoon Shine Lee
Le Grand Inquisiteur : Patrick Guetti
Un moine : Gérard Farreras
Élisabeth de Valois : Federica Lombardi
Princesse Eboli : Irène Roberts
Tebaldo : Maria Vasilevskaïa
Philippe II : Alex Esposito
Don Carlo : Jonathan Tetelman
Voix du ciel : Lilit Davtyan
1er député flamand : Stephen Marsh
2e député flamand : Gérard Farreras
3e député flamand : Joël Allison
4e député flamand :Youngkwang Oh
5e député flamand : Jared Werlein
6e député flamand : Geon Kim