“L’elisir d’amore est quelque chose de similaire à Tristan et Iseult, mais sous une forme plus agréable et deux fois moins longue.”
Loriot, humoriste
Nemorino est profondément amoureux d’Adina, mais malheureusement, elle ne répond pas à ses avances. Lorsque le sergent macho Belcore (joli coeur) débarque avec ses soldats, il parvient à conquérir le cœur d’Adina, qui lui promet de l’épouser. Nemorino est désespéré. Heureusement, le charlatan Dulcamara arrive au village pour y vendre des remèdes miracles pour toutes sortes de maux. Nemorino lui achète un philtre d’amour qui s’avère n’être rien d’autre qu’une bouteille de vin rouge (du Bordeaux tout de même) mais qui finit, grâce à un heureux concours de circonstances, par obtenir le résultat escompté.
La valeur n’attend pas le nombre des journées ! Gaetano Donizettti, brillantissime mélodiste, a écrit son opéra en seulement 14 jours, et nous a offert l’un des plus beaux et des plus joyeux opéras du belcanto italien, une œuvre bourrée d’humanité et d’une effervescence ironique. Son Elixir d’amour a conquis le cœur du public dès la première milanaise de 1832 et la popularité de l’opéra n’a pas faibli depuis. Le grand air final de Nemorino « Una furtiva lagrima », interprété par les meilleurs ténors, est un des plus grands tubes de l’histoire de l’opéra.
Cet Elisir d’amore est encore appelé Liebestrank par le Theater-am-Gärtnerplatz, mais cette concession à la langue allemande est le dernier vestige d’une tradition qui voulait que les opéras italiens soient traduits. Grande première, cet opéra qui, depuis les années 50, connut ici même plusieurs mises en scènes en allemand, la dernière remontant à 2009, est, Gott sei dank!, pour la première fois joué en italien au teatro della piazza Gärtner !
Dirk Schmeding réussit une mise en scène généreuse, luxuriante et lumineuse, remplie d’amour et d’humour. Un petit village agricole italien où ne semblent pousser que de maigres agaves suffoque sous un soleil ardent qui dans la réjouissante scénographie de Martina Segna devient la tranche d’un énorme citron. Dirk Schmeding apprécie les arrêts sur image et la première scène nous présente un de ces vivants tableaux : allongée sur un transat luxueux, la glamoureuse Adina, vêtue d’un maillot moulant soulignant ses jolies formes, prend le soleil en se rafraîchissant d’un cocktail coloré qu’elle tient d’une main tout en lisant de l’autre le roman de Tristan et Iseut. Le décor simple et efficace avec ses entrées de coulisses en panneaux de carton déchiré souligne la pauvreté du village dont les habitants en fond de scène sont figés dans des poses qui suggèrent qu’ils tentent de se protéger des rayons du citron solaire. Nemorino darde ses jumelles sur Adina qui semble l’ignorer. Les villageois sans doute illettrés se pressent autour de la belle Adina qui leur fait la lecture. Les paysannes portent des tabliers à fleurs défraîchis comme ceux que portaient les grands-mères modestes il y a quelques décennies, en contraste avec la riche apparence d’Adina. Le jeans de Nemorino lui donne un aspect décontracté, tout à l’opposé de Belcore plastronnant dans son costume militaire arborant de nombreuses médailles. Ce dernier est accompagné d’une troupe de soldats d’opérette qui gesticulent de manière maladroite et ridicule pour la plus grande joie du public. Leur arrivée, en sous-vêtements, est annoncée par des cordes à linge descendant des cintres porteuses de caleçons et de tenues militaires qu’ils vont bientôt revêtir. Plus avant, l’apparition de Dulcamara sortant comme par magie d’un téléviseur géant est un des moments les plus ébouriffants de la soirée. Nemorino tente d’orienter les antennes du téléviseur.
Dulcamara porte un de ces costumes de scènes scintillant typique des années 60 ou 70. Le charlatan rappelle Elvis Presley par sa coiffure et les poses démonstratives qu’il prend. Il est accompagné de danseuses en maillots dorés, elles aussi exportées des shows américains. Comme Claude François et ses Claudettes, Dulcamara a son trio de Dulcamarettes. Sauf peut-être pour Nemorino qui a les charmes romantiques et la naïveté de l’amoureux éperdu, tous les autres personnages sont caricaturés à l’extrême comme dans la commedia dell’arte. Les costumes de Frank Lichtenberg sont des plus réussis, ils définissent très exactement la personnalité des personnages. On voit le vestiaire, surtout féminin, évoluer avec le passage des scènes, les femmes sont vêtues avec plus de recherche, les coiffures suivent la mode, les bigoudis font leur apparition. La scène grouille de monde, et il faut tout l’art combiné du metteur en scène et de la chorégraphe Kerstin Ried pour créer une animation parfaitement agencée, avec d’innombrables trouvailles qui font rire et sourire. Tout cela va se terminer en apothéose par des tirs d’armes inoffensives qui projettent des serpentins colorés et des pluies de confettis.
Michael Balke, chef principal invité du théâtre de la Gärtnerplatz, a entraîné l’orchestre dans l’éblouissante dynamique de la partition de Donizetti, en soulignant les charmes légers ici, là l’effervescence. Sa direction musicale est très attentive à la scène, aux chœurs et aux chanteurs, tout en soutien des efflorescences de l’art belcantiste et des explosions de la comédie et faisant preuve d’une sensibilité délicate lorsque s’exprime le romantisme amoureux.
Andreja Zidaric prête sa beauté svelte et les galbes pleins de charmes de son corps élancé à la séduisante Adina. Elle joue les aguicheuses, jouit de son succès, se montre versatile avant d’abandonner le jeu pour finalement avouer ses sentiments à l’arraché. Dans les premières scènes, son chant est plutôt réservé, mais il gagne rapidement en volume et en agilité et déploie bientôt toutes les ressources virtuoses d’un merveilleux colorature rossinien, avec ses ornementations nuancées et ses vocalises. Plus la soirée avance, plus les aigus et les trilles ravissent et surprennent.
Le ténor Matteo Ivan Rašić réussit un superbe Nemorino, auquel il offre son regard de velours et sa belle jeunesse au physique séduisant. Il traite son personnage avec humour et beaucoup de tendresse, il expose avec une grande richesse d’âme la palette émotionnelle étendue de l’amoureux éperdu. La voix est magnifique, son ténor chaleureux et lumineux est à tout moment authentique, sans aucune recherche de l’effet. Il pare son air le plus célèbre d’une émouvante humanité sans forcer le trait.
Ludwig Mittelhammer prête son baryton au timbre mélodieux à Belcore, qu’il dessine fort bien dans le style bouffon matamoresque du Capitano de la commedia dell’arte. Levente Páll crève littéralement l’écran (de téléviseur) avec sa composition tonitruante de Dulcamara, qui, tout charlatan qu’il soit, saisit rapidement toute opportunité pour faire sa réclame. Sa basse triomphante dotée d’une étonnante rapidité d’élocution constitue un des grands bonheurs de la soirée !
Enfin Julia Sturzlbaum joue une attendrissante Giannetta, un personnage un peu gauche débordant de tendresse.
Un spectacle totalement abouti qui a reçu les applaudissements effrénés d’un public aux anges. On se promet d’y revenir, d’autant qu’il se décline en deux distributions !
Luc-Henri ROGER
Conception et distribution du 22 juillet 2025
L’elisir d’amore
Musique de Gaetano Donizetti sur un livret de Felice Romani d’après Eugène Scribe
Direction d’orchestre Michael Balke
Mise en scène Dirk Schmeding
Scénographie Martina Segna
Costumes Frank Lichtenberg
Chorégraphie Kerstin Ried
Lumières Michael Heidinger
Dramaturgie Michael Alexander Rinz
Adina Andreja Zidaric
Nemorino Matteo Ivan Rašić
Belcore Ludwig Mittelhammer
Dulcamara Levente Páll
Giannetta Julia Sturzlbaum
Un guitariste Henrique de Miranda Rebouças
Chœur, chœur supplémentaire et figurants du Staatstheater am Gärtnerplatz
Orchestre du Staatstheater am Gärtnerplatz