A la fin du mois d’avril 1986, le Palais Acropolis à Nice recevait dans le cadre d’une tournée nationale et internationale Barbara et Gérard Depardieu pour Lily Passion, une sorte de comédie musicale co-écrite par la chanteuse et Luc Plamondon (par ailleurs librettiste de Starmania et Notre Dame de Paris). Il s’agissait d’une histoire de rencontre entre une chanteuse et un tueur. Lui, chaque nuit se livrait à des assassinats dans les villes où elle chantait et elle, signait ces crimes d’une branche de mimosas déposée sur le corps des victimes…
Depuis lors, 35 ans se sont écoulés et Barbara a disparu en 1997. Gérard Depardieu a souvent pensé à rendre hommage à « La Longue dame brune » jusqu’à ses retrouvailles avec Gérard Daguerre qui accompagna pendant plus de 15 ans Barbara au piano mais qui fut aussi chef d’orchestre à l’Opéra Comique (où il dirigea notamment Irma la douce de Marguerite Monnot, La Vie parisienne et La Périchole d’Offenbach et en outre les comédies musicales Peter Pan au Casino de Paris et Y’a de la joie, hommage à Charles Trenet, au Théâtre national de Chaillot et à l’Opéra Comique).
Gérard Daguerre a convaincu Depardieu de chanter Barbara (d’autant que dans Lily Passion il y avait pour lui quelques séquences chantées).
C’est d’abord aux Bouffes du Nord que ce spectacle naît en 2017 suivi également de représentations aux Cirque d’Hiver puis au Théâtre des Champs-Élysées et enfin en tournée… Gérard Depardieu a retrouvé le public d’Anthéa : deux salles archicombles qui lui ont fait un triomphe. L’acteur se présente dans une scénographie complètement dépouillée. Tout est en noir à l’exception des lumières blanches qui viennent respectivement éclairer le chanteur et le pianiste et qui se modifient dans leurs formes au fil des séquences.
L’un de nos confrères a écrit cette phrase emblématique à propos de ce spectacle : « Barbara sort de ce corps ! » Et de fait, bien que tout paraisse opposer physiquement les deux interprètes (Barbara au fragile physique de roseau et Depardieu avec son énorme carcasse de chêne), une chose néanmoins les réunit – quintessence de leur « compagnonnage affectif » – l’extrême sensibilité qu’ils ont su l’un et l’autre traduire aussi bien dans la musique que dans les textes.
Le fabuleux interprète dE Cyrano de Bergerac, parvient à une fragilité bouleversante, modulant sa voix avec une intelligence suprême de génial comédien jusqu’au bout des ongles, mêlant vulnérabilité et délicatesse. Dans ce spectacle il « intègre » Barbara, se substituant à elle entre chaque chanson, pour énoncer des propos qui résultent de témoignages recueillis au cours de sa carrière. Et il semble qu’elle plane comme un fantôme au-dessus de la salle et que Depardieu dans un geste inimitable lui tend les bras comme pour la saluer dans un monde immatériel qui pourrait être celui du ciel tout en lui clamant son amour. Sans l’imiter, la voix de l’acteur se fait parfois intense et parfois presque imperceptible avec des ellipses dont Barbara avait fait l’un de ses signes interprétatifs les plus caractéristiques.
Sublimement accompagné par Gérard Daguerre au piano, Gérard Depardieu se souvient bien entendu de Lily Passion avec notamment L’ile aux Mimosas mais également livre les chefs d’œuvres de poésie que sont Göttingen, Nantes, Drouot, ou L’Aigle noir. C’est avec autant de tendresse nimbée d’une profonde nostalgie qu’il évoque les amours impossibles commE La solitude ou Dis, quand reviendras-tu ? et bien entendu l’incontournable Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous, ode magnifique d’offrande toute entière au public. En fin de spectacle, il parvient à faire chanter l’auditoire avec La Petite cantate, tandis que devant une salle debout, quelques spectateurs viennent lui offrir une rose blanche…Fascinant et grandiose ! Un moment unique, intime, bouleversant qui fait chavirer l’âme.
Christian JARNIAT
Le 24 mai 2022