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Concert Hall LUCERNE / LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA Mozart / Brahms

Concert Hall LUCERNE / LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA Mozart / Brahms

samedi 12 août 2023

© Peter Fischli/Lucerne Festival

Entre Maria João Pires et Mozart, c’est une histoire d’alchimie et d’osmose, nous sommes dans l’évidence et le naturel. Mais l’extraordinaire performance de cette soirée lucernoise nous invite à redire combien la pianiste portugaise atteint ici la quintessence de son art. La seconde partie, la Quatrième Symphonie de Brahms, fut un moment de pur bonheur du début à la fin, et même, une sorte de révélation miraculeuse de la partition, tant Paavo Järvi sculpte, analyse, et fait respirer l’orchestre. Une de ces soirées mémorables en définitive. C’est cela le Festival de Lucerne.
Le Concerto n°9 en mi bémol majeur, « Jeunehomme » (K. 271) : entre galanterie et mélancolie
Le concerto « Jeunehomme » est l’emblème du génie juvénile de Mozart, à la fois galant et aimable, réservant pourtant des contrastes d’une insondable mélancolie, notamment son deuxième mouvement, un Andantino en ut mineur, inattendu dans l’œuvre du compositeur. Maria João Pires dans Mozart, c’est la délicatesse, le toucher de velours. L’entrée de la pianiste, sur un trille à la dominante, laisse la place à un dialogue toujours parfait avec l’orchestre, à la fois discret et attentif, dirigé avec sobriété par Paavo Järvi. Ce premier mouvement, alternant force vitale et fraîcheur aimable, est un pur moment de bonheur. Rien de gratuitement virtuose dans cet Allegro, mais toujours du goût, et quelques audaces, notamment la pirouette finale, rappel du trille, suivi de multiples traits en arpèges, pour le coup virtuoses, avant la fin. Le deuxième mouvement, intériorisé, bouquet de trilles, plus sombre (rappelons qu’il s’agit du premier mouvement lent usant d’une tonalité mineure dans un concerto de Mozart), nous plonge dans une sorte d’air opératique poignant. Maria João Pires se montre souveraine dans ce passage d’une triste noblesse, qui n’est pas sans anticiper Schubert. Le long solo, méditatif, après une rapide modulation en mi bémol majeur, est toujours parcouru par cette mélancolie poignante et désolée, magnifiquement révélée par le jeu pudique et habité de la pianiste. Arrive le Rondo, avec un piano plus espiègle, comme libéré des tristes échos de l’ Andantino, anticipant sur l’air de Monostatos de La Flûte enchantée. La mélancolie se dissipe, dans ce mouvement inventif, aux tempi fantaisistes, rempli de surprises, notamment un menuet en la bémol, à découvert, course échevelée, avec quatre variations accompagnées par les cordes. Maria João Pires dessine une miniature à la Watteau, entre style galant, virtuose, mélancolie et joie de vivre. C’est un triomphe dans la salle. Au moment des rappels, la pianiste s’adresse au public pour annoncer son bis, un hommage à Claudio Abbado, qui aurait fêté ses 90 ans cette année. On se souvient de la complicité qui unissait les deux artistes, ce même sens du service humble de la musique. C’est une Maria João Pires recueillie, visiblement émue, qui interprète alors le célèbre Andante du Concerto n° 21 en ut majeur (K. 467), moment d’infinie tendresse et de pure magie, joué avec plus de rapidité que dans le disque qui avait réuni les deux musiciens avec The Chamber Orchestra of Europe. Un bel hommage à l’immense Claudio qui réinventa le Festival de Lucerne il y a 20 ans.
Une 4e Symphonie de Brahms échevelée, très Mitteleuropa
Une entrée ouatée, une suspension de la lamentation qui cède la place à une évidente vigueur : Paavo Järvi ne verse pas dans le sentimentalisme tchaïkovskien qu’on entend parfois dans cette symphonie, et sa battue alterne moments d’apaisement et d’agitation. Il y a quelque chose de l’ordre de la valse dans ce premier mouvement altier, épique et martial. Comme à l’accoutumée, le chef estonien analyse la partition pour en révéler toute la complexité architecturale et les intertextes musicaux. Ainsi est-on plus qu’ailleurs transporté dans un univers qui doit autant à l’esthétique Sturm und Drang qu’il annonce Dvorak. C’est un Brahms de forêts sombres où l’on entend passer le Freischütz, et l’on se surprend parfois à entendre les cantilènes de Smetana dans des phrasés fluviaux. L’Orchestre du Festival de Lucerne propose un Brahms narratif et gorgé de sève, un Brahms de la nature. Dans une alliance de rusticité et de ferveur passent des coloris schumaniens (quelles cordes !) : c’est habité, passionné. Jamais la partition n’avait autant révélé ses sources romantiques, et ses anticipations tchèques, là où beaucoup de chefs en font une belle eau sage et classique. C’est tendu, passionnant et contrasté. L’ Andante moderato révèle quant à lui toute sa dimension légendaire et narrative : il suffit d’écouter le thème du cor, repris par les bois, pour se convaincre définitivement de l’influence de Brahms sur Dvorak car on entend déjà dans ces phrases l’annonce du Concerto pour violoncelle du compositeur tchèque. Tout est douceur, et même ferveur, dans cette direction lumineuse, avec des cordes exemplaires. Järvi fait chanter l’orchestre dans une approche souriante, poétique, comme l’accueil de beaux rayons de soleil automnaux. L’ Allegro giocoso est un quasi Scherzo, aux allures de finale que Paavo Järvi exécute à une vitesse étourdissante (égalant presque Bruno Walter avec l’Orchestre Philharmonique de New York), avec des cors qui nous maintiennent dans cette ambiance romantique de forêt automnale et des trompettes en très grande forme. C’est énergique, sec, virevoltant, avec quelques moments d’amusement. Järvi se montre ici bondissant et jaillissant au pupitre, en digne successeur de Bernstein. Le mouvement est puissamment irrigué d’optimisme solaire (la tonalité d’ ut majeur ne trompe pas !), une énergie communicative qui n’avait pas été risquée peut-être depuis Ormandy à la tête de l’Orchestre de Philadelphie. La dimension populaire et dansante de ce mouvement, sans aller jusqu’aux Ländler des scherzi de Bruckner, se pare de tonalités joviales et bonhommes. C’est un régal, enfin révélé, loin de certaines pesanteurs entendues parfois au disque. Voici enfin un Brahms moins guindé, moins pathétique, un Brahms jouissif qui ne se prend pas au sérieux. Le chef et l’orchestre s’apprivoisent totalement, c’est visible dans les regards. Le dernier mouvement, Allegro energico e passionato renoue avec la couleur très Mitteleuropa des deux premiers mouvements. La flûte solo de Chiara Tonelli est à pleurer. Sorte d’accalmie plus intériorisée, plus tendre, cet ultime mouvement fait entendre à la fois une variation sur la cantate BVW 150 de Bach (« Nach dir Herr ») et une surprenante réminiscence du chœur des pèlerins du Tannhäuser de Wagner, donnant ainsi une impression plus religieuse. Plus sobres, mais avec de beaux moments tempétueux et énergiques, Paavo Järvi et l’Orchestre du Festival de Lucerne terminent en beauté cette exécution de la Quatrième symphonie de Brahms, révélée dans toute sa poésie contrastée. Quand on voit l’éminent trompettiste Reinhold Friedrich, radieux et enthousiaste, applaudir de manière appuyée le chef, on ne peut que se rendre à l’évidence : plus qu’une consécration, c’est un adoubement à Lucerne qui vient de s’opérer pour Paavo Järvi après cette exécution inspirante et inspirée.
Philippe Rosset
12 août 2023
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