Wotan et les autres dieux et déesses du Walhalla se sont montrés cléments. Ils ont eu la grâce de retenir les foudres et autres averses qu’avaient prévues la météo et seules quelques gouttes sont venues rafraîchir les nombreux spectateurs bayreuthois et festivaliers qui avaient répondu à l’invitation d’assister à un concert gratuit en plein air sur les pentes de la verte colline que surplombe le temple wagnérien, où une grande scène avait été érigée pour accueillir l’orchestre du Festival, placé sous la direction de Markus Poschner et trois chanteurs wagnériens renommés : la soprano Daniela Köhler qui sera la Brünnhilde du Festival 2023, le Heldentenor Magnus Vigilius qui fit ses débuts bayreuthois en 2021 en Walther von der Vogelweide et le baryton islandais Ólafur Sigurdarson, chanteur tant wagnérien (Telramund, Klingsor ou Alberich) que verdien (entre autres), qui cet été interprétera Albérich et Melot au Festspielhaus.
Grandiose soirée plaisamment animée par le journaliste et modérateur Axel Brüggemann, qui a d’abord introduit Katharina Wagner, l’arrière-petite-fille de Richard Wagner qui préside aux destinées du festival. Madame Wagner a accueilli les spectateurs tout en se félicitant de la nouvelle mise en scène high tech de Jay Scheib qui donnera à 330 happy few (soit un bon sixième du public seulement) la possibilité de vivre une expérience de ” réalité augmentée ” : des lunettes de haute technologie ouvriront selon les dires du metteur en scène ” un monde de rêve géant ” en faisant apparaître des objets et des personnages, des visions et des rêves choquants ou très poétiques, qui viendront s’ajouter à la mise en scène de Parsifal dont tous les autres pourront aussi profiter.
On a ensuite pu assister à un concert de plein air très varié dans une atmosphère bon enfant de pique-nique pour certains bien arrosé de bières ou de vins franconiens. La soirée a commencé avec une ouverture de Parsifal plutôt inhabituelle puisque la musique que Wagner avait conçue pour l’acoustique particulière du Festspielhaus dont la fosse est couverte, était ici amplifiée par les haut-parleurs. Ensuite ce furent deux heures de musiques entraînantes ou émouvantes, pas seulement wagnériennes. La soprano dramatique Daniel Köhler, en superbe robe de lamé rouge en drapé s’est totalement investie dans la soirée, depuis le Summertime de Gershwin jusqu’à son Liebestod final en passant par la Salome de Strauss ou les chansons de l‘Opéra des quat’sous de Kurt Weill (qui ne sont que trois dans le titre allemand, Dreigroschenoper). Elle a conquis le cœur d’un public suspendu à sa voix vibrante et émouvante. Ólafur Sigurdarson. que ses concitoyens ont surnommé le volcan islandais, n’a pas démérité de cette réputation. Sa voix a la puissance d’une éruption et sa présence en scène telle qu’il brûle les planches, avec une force expressive stupéfiante. Son “Ehi ! Paggio !” de Falstaff est un modèle du genre burlesque. Interrogé par Axel Brühhemann, le ténor héroïque danois Magnus Vigilius avoue encore préférer Parsifal aux Maîtres chanteurs. Il a brillé dans “Nur eine Waffe taugt”, l’air final de Parsifal où le jeune héros qui a recouvré la lance ravie par Klingsor guérit Amfortas avant de dévoiler le Graal qui restera à présent à jamais découvert. L’orchestre fut des plus entraînants dans la Valse de Ravel, dans le rythme blues de DreaM on ou dans La Valse de Chostakovitch.
Signalons encore l’excellente mise en scène assurée par un travail de vidéo de haute volée diffusé sur grand écran en fond de scène : on y voyait les chanteurs et le chef en format géant, dupliquant leur présence en avant-scène ou des gros plans sur des groupes de musiciens
Un succès enjoué pour cette belle soirée d’ouverture qui s’est clôturée par deux rappels donnés par Daniela Köhler et Ólafur Sigurdason, absolument fabuleux en Hollandais dans “Der Frist ist um”.
Luc-Henri ROGER
24 juillet 2023