Sauf erreur il y avait des décennies que Le Trouvère (ou si l’on préfère Il Trovatore) n’avait pas été proposé au public clermontois. Ceci explique la représentation supplémentaire qui a été ajoutée devant l’afflux de la demande. Cette production d’Opera 2001 répond aux impératifs des tournées appelées à s’installer dans des lieux très divers, depuis les Zénith jusqu’aux historiques salles municipales à l’italienne comme ce fut le cas ici. Assurément cette dernière option gagne en confort à tous points de vue.
Le parti pris de mise en scène est clairement traditionnel. Cela peut faire faire la grimace aux amateurs de relectures plus ou moins pertinentes et plus ou moins obligatoires pour qui se veut créateur. Il a l’avantage de ne pas parasiter la réception de l’œuvre et de ne pas faire fuir une partie du public. Le dispositif scénique laisse le plateau pratiquement nu, mais s’ouvrant dans la large brèche de ce qui apparaît comme le reste d’une fresque murale dont ne demeure qu’un bout d’encadrement. Le fond de scène est occupé par un large portique de pierre sombre dont le centre permet, par des jeux de panneaux coulissants, de suggérer les différents lieux du drame. Est ainsi annoncée l’option dramaturgique qui est celle de la peinture d’Histoire dont le dix-neuvième siècle fut si friand. Les costumes entrent parfaitement en synergie avec cette esthétique, justement parce qu’ils visent plus à la manière qu’au réalisme. Ils ont le côté esthétisant et un peu cliquant qui convient. Paradoxalement la quasi absence (apparente?) de direction d’acteurs et le statisme dominant qui pourraient vite devenir lassants finissent par produire quelque effet dans ce cadre fait de tableaux et de postures. Les chanteurs laissés à eux-mêmes se contentent en effet quasiment systématiquement de venir à la rampe chanter leur air en adoptant les attitudes et les gestes qui leur viennent, avec des résultats très inégaux.
La chose est plus pesante lorsque les choristes alignés sagement à la rampe exécutent avec soin leur partie sans le moindre souci de leur fonction dramatique. Dans ces conditions se révèle la différence fondamentale entre qui chante devant le public et qui chante pour le public, entre qui est au service de l’œuvre et qui est au service de soi-même. La chose était frappante pour cette exécution. Dans cet opéra fait de numéros musico-dramatiques il y a qui interprète son numéro et qui le fait.
Clairement la balance penche en faveur des chanteuses pour ce qui est de l’engagement musical et dramatique. Leonora Llieva qui d’une représentation à l’autre passe d’Inès à Leonora donne à son personnage une fraîcheur et une sincérité qui la distinguent des Leonora sublimement éthérées parce qu’inaccessibles mais aussi un peu froides. Elle gagne en humanité qui est le propre de tous les personnages verdiens. On mesure combien l’intelligence du texte, le soin de son articulation porte en quelque sorte le discours musical. L’expression naît de l’intérieur loin de tout effet recherché et porté par la seule technique. Il y a là un beau potentiel.
L’Azucena de Chinara Shirin a le grand mérite de demeurer toujours très musicale dans son interprétation. L’homogénéité du timbre dans tous les registres est très appréciable tant on redoute les brutales ruptures qui tournent vite au vulgaire. Là aussi le soin porté à ce que dit le personnage lui confère une profondeur humaine bien loin des hystéries poitrinantes et échevelées. Le personnage ainsi traité est plus visionnaire qu’halluciné. L’usage qu’elle fait de ses graves très maîtrisés y est pour beaucoup. Dans cet ouvrage où le temps et la mémoire sont premiers elle semble flotter, grâce à sa musicalité pleine de nuances, dans un ailleurs douloureux qui détermine un présent tragique.
Toutes deux trouvent un jeu fait de spontanéité maîtrisée.
Le côté masculin (mâle?) offre indubitablement un usage bien testéroné de la voix. David Baños est un Manrico tout en vaillance. Il faut que la longueur de la ligne de chant l’induise à une gestion plus retenue de la voix pour que naisse un peu de lyrisme et de beau chant. Son « di quella pira » est de bonne facture, percutant à souhait et plein de tous les effets de tradition (ce que les italiens moqueurs appellent l’oteco)(« O teco almeno corro a morir »). Pas de reprise pour cette cabalette, mais un « all’armi ! » final devenu « all’a! ».
Le comte de Luna de Paolo Ruggiero est le baryton méchant, et seulement méchant, et qui ne veut pas que le ténor couche avec la soprano et donc brutal d’un bout à l’autre. Le forte est omniprésent et de grand effet. Le heurt avec Manrico au début, prend dans ces conditions quelques peu des allures d’engueulade. Le style est d’un vérisme hors de propos avec une tendance à tirer les « o » vers le son « eu » (« Inferrrneu »). Le subtil et pathétique air « il balen del suo sorriso » est purgé de toute nuance mais obtient les applaudissement à peine sollicités.
Le Ferrando de Viacheslav Strelkov semble totalement étranger à l’effroyable récit d’exposition.
Heureusement une petite bouffée de chant dramatique bien senti est offert par la brévissime intervention de Federico Parisi dans Ruiz.
Les chœurs sonnent bien, ne ménagent pas leur peine et prennent même un évident plaisir au chant.
On a pu dire de Verdi qu’il suffisait de peu pour que sa musique vire au bal des pompiers ou plus gentiment (R. Strauss) à la musique d’orgue de barbarie. C’est terriblement vrai. Il y avait de cela dans l’exécution de la partition avec quelque chose de très mécanique malgré l’indéniable qualité des musiciens. On souffre un peu en entendant Leonora au sommet du pathétique accompagnée par des arpèges de flûte très propres, très appliqués et tels qu’on en entend en passant sous les fenêtres des écoles de musique au mois de mai. Il faut entendre Toscanini, écumant de fureur, hurlant à ses musiciens répétant justement Verdi : « solfeggiatori ! » pour comprendre où est la difficulté. Il faut ajouter que la gestion du plateau était très prenante.
Il faut certainement attribuer aux conditions très inconfortables de la mise en œuvre de ce type de production pour l’ensemble des interprètes une part des écueils rencontrés. Ce n’est pas sans raison si justement Il Trovatore n’avait pas paru sur cette scène depuis des décennies tant il requiert de préparation et de moyens humains. Si cela présente le risque de laisser libre cours aux habitudes éculées, il offre aussi le grand plaisir de permettre au talent de se déployer dans la liberté dont il bénéficie. Les options de mise en scène demeurent efficaces et assurent une bonne tenue de l’ensemble. Le public a fait un très bon accueil à cette production.
Gérard Loubinoux
1er Février 2025
Direction musicale : Martin Mázik
Mise en scène : Aquilès Machado
Direction artistique : Marie Ang Q. Lainz
Conception scénographie et décor : Alfredo Troisi
Manrico : David Baños
Le Comte de Luna : Paolo Ruggiero
Leonora : Leonora Llieva
Azucena : Chinara Shirin
Ferrando : Viacheslav Strelkov
Ruiz : Federico Parisi
Coro Lirico Siciliano
Chef de choeur : Francesco Costa
Orchestre Opera 2001
1er Février 2025