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Chostakovitch pour la première fois au Festival della Valle d’Itria de Martina Franca

Chostakovitch pour la première fois au Festival della Valle d’Itria de Martina Franca

vendredi 1 août 2025

©Clarissa Lapolla

Jusqu’à présent centré sur les répertoires baroque et belcantiste, avec le plus souvent la redécouverte de raretés depuis sa première édition en 1975, le Festival della Valle d’Itria vient de faire entrer Dmitri Chostakovitch (1906 – 1975) à son répertoire. Deux arguments sont donnés par Fabio Luisi, le directeur musical de la manifestation : d’abord commémorer le cinquantenaire de la disparition de Chostakovitch, et puis rappeler que cette Quatorzième Symphonie était dédiée à Benjamin Britten, qu’il considérait alors comme le plus grand compositeur de son temps, celui-ci étant également à l’affiche de cette 51ème édition du Festival, avec l’opéra Owen Wingrave. Une autre raison plus globale est sans doute celle avancée par Silvia Colosanti, nouvelle directrice artistique depuis cette année, de programmer davantage d’œuvres dites modernes, à savoir des XXème et XXIème siècles, à un public visiblement disposé à la suivre au vu du taux de remplissage optimal de la cour du Palazzo Ducale.

Le pari n’était pourtant pas gagné d’avance pour cette œuvre courte (50 minutes ce soir) et plutôt exigeante, ne serait-ce que pour la langue russe chantée. Heureusement, les surtitres en italien et anglais aident bien les spectateurs, excellente initiative pour ne pas perdre trop rapidement une partie de l’auditoire… même dans une pièce aussi brève ! Il faut dire aussi que cet opus se situe assez loin d’une classique symphonie, formée d’une suite de onze chants, tantôt pour basse, tantôt pour soprano, aux écritures orchestrales très variées. Les textes proviennent de onze poèmes traduits en russe, de Federico Garcia Lorca, Guillaume Apollinaire, Wilhelm Küchelbecker et Rainer Maria Rilke, le Français se taillant la part du lion avec six pièces. Le thème central et récurrent en est la mort, régulièrement une mort qui a déjà frappé, ou bien menaçante, voire imminente.

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©Clarissa Lapolla

Fabio Luisi dirige l’Orchestra dell’Accademia Teatro alla Scala, composé de jeunes musiciens fort bien préparés à cette première. L’effectif orchestral très particulier prescrit par l’auteur est respecté, à savoir uniquement les deux familles d’instruments des cordes (dix violons, quatre altos, trois violoncelles et deux contrebasses) et des percussions, en bon nombre. Pupitre le plus représenté, les dix violons assurent une ossature à la fois solide et pleine de charme, en démarrant avec douceur le premier numéro intitulé De profondis, en adagio. Plus tard le septième chant À la Santé, ici la prison du même nom, se fait singulièrement triste, entre sombres pizzicati des contrebasses et archets légèrement frappés par les autres cordes. Le numéro suivant Réponse des cosaques zaporogues au sultan de Constantinople demande quant à lui une extrême virtuosité et célérité de la part de cordes qui maintiennent cette folle cadence. Mais de nombreux passages relèvent d’une atmosphère chambriste, voire intime, que le public respecte dans l’ensemble, avec un silence presque idéal. Les organisateurs ont choisi, à juste titre, de laisser l’orchestre à son emplacement habituel du parterre, sans le faire monter sur scène où l’acoustique aurait été a priori bien moindre. Il faut saluer aussi tous les percussionnistes, bien précis sur l’ensemble de leurs attaques et autres changements de rythme, dans une partition qui ne manque pas de chausse-trappes.

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©Clarissa Lapolla

Les deux solistes sont placés devant l’orchestre, en proximité immédiate de la première rangée de sièges et surélevés d’une simple marche, ce qui oblige, pour les rangées plus à l’arrière, à tendre la tête si l’on souhaite apercevoir un tant soit peu le visage des artistes. Par ordre d’apparition, la basse Adolfo Corrado fait entendre une belle voix richement timbrée, dégageant bien plus d’éclat dans le haut médium et l’aigu que dans des graves profonds qui manquent de substance. L’instrument est bien à sa place dans À la Santé, long et triste comme une peine à perpétuité à purger en prison, ou bien dans Réponse des cosaques zaporogues au sultan de Constantinople, haletante comme une course de vitesse, les deux morceaux sollicitant la partie supérieure du registre. En revanche, certaines notes abyssales manquent d’ampleur à d’autres endroits, comme dans le premier De profondis, ou le n°9 Ô, Delvig, Delvig !

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©Clarissa Lapolla

Chantant dans sa langue maternelle, la soprano Lidia Fridman développe un instrument d’une qualité homogène sur toute la tessiture. La voix n’est pas surpuissante mais projette suffisamment dans les conditions du concert. L’interprète transmet fréquemment de l’émotion, comme dans le n°4 Le Suicidé, entre douceur d’une voix à la bonne dose de vibrato, accompagnée par le très beau violon solo, et par ailleurs certains éclats qui contrastent. Le n°10 La Mort du poète est aussi un moment d’une somptueuse atmosphère, sur une musique entre enveloppante et menaçante. Certains numéros font alterner les deux voix, comme le n°3 La Loreley, véritable scène lyrique qui fait avancer l’action vers son dénouement au contour dramatique. Enfin l’ultime n°11 Conclusion est le seul passage chanté à deux voix, très court numéro.

Chaleureux applaudissements à l’issue, et aussi un peu de possible étonnement chez les spectateurs les moins avertis qui pourraient se demander s’il s’agit de l’entracte….

François JESTIN
1er août 2025

Symphonie n°14 de Chostakovitch
Martina Franca, Palazzo Ducale

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Fabio Luisi, direction musicale
Lidia Fridman, soprano
Adolfo Corrado, basso
Orchestra dell’Accademia Teatro alla Scala

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