Avec pour climax central de la soirée l’incontournable Symphonie fantastique d’Hector Berlioz, le programme du concert du 5 juillet de l’orchestre philharmonique de Marseille, placé sous la baguette de son directeur musical Michele Spotti, faisait la part belle au post-romantisme éternel avec deux œuvres, créées à cinquante ans d’intervalle, Le Roi d’Ys (1888) d’Edouard Lalo et le Concerto pour harpe et orchestre en mi bémol majeur (1938) du trop méconnu Reinhold Glière avec, en soliste, le harpiste international Xavier de Maistre.
Retour sur une soirée magique devant le mur d’Auguste.
Souffle romantique et feu d’artifice de thèmes…
Dès l’ouverture du Roi d’Ys, ouvrage issu de la plus pure esthétique d’un certain wagnérisme à la française mais qui sait en dégager sa propre personnalité, Michele Spotti, jeune et fringant directeur musical de la phalange phocéenne, donne le ton d’une soirée tout à la fois placée sous le signe de la tension dramatique et de la rêverie romantique. Avec cette ouverture – qui mériterait d’être entendue plus souvent dans les programmes de concert ! -, l’orchestre plante le décor du drame romantique parfait, mettant en exergue la richesse mélodique sous-tendue par de belles couleurs parmi la petite harmonie (hautbois et clarinette en particulier) et un harmonieux dialogue entre cordes et cuivres. Compositeur particulièrement sensible à la sonorité du violoncelle – qui donnera naissance à un célèbre concerto mais aussi à une belle sonate – Lalo donne encore ici à cet instrument toute son importance, magnifiquement traduite par le solo de Xavier Chatillon1 à la noblesse grave et d’une subtile poésie.
On savait déjà le maestro italien sensible à l’urgence dramatique dans son approche des partitions : l’exécution à la fois nerveuse et pleine de tendresse pour cette musique, qu’il faut savoir aimer si l’on veut « bien » la diriger, nous en donne un nouvel exemple !
Xavier de Maistre, harpiste sorcier
Enregistré, en 2022, avec l’orchestre symphonique de Cologne placé sous la direction de Nathalie Stutzmann, le concerto pour harpe et orchestre en mi bémol majeur de Reinhold Glière fait aujourd’hui partie des chevaux de bataille favoris de Xavier de Maistre. La performance entendue à Orange, lors de ce concert, nous aura personnellement donné un magistral exemple de l’importance d’un instrument que l’on associe encore trop souvent au confort douillet des salons de l’Ancien Régime2 ou à quelques-unes de ces introductions aériennes d’airs de divas du Bel Canto romantique…
Dans la brillante écriture du concerto de Glière – musicien qui, quoique particulièrement engagé dans le régime soviétique, lorgne perpétuellement sur la musique de ses illustres prédécesseurs russes – le jeu de De Maistre nous immerge dans un univers de fluidité musicale absolument irrésistible, mêlant arpèges et glissandi en cascade pour notre plus grand bonheur. Après un premier thème permettant de comprendre très vite que le soliste se fera, ce soir, sorcier, la deuxième partie de l’Allegro moderato nous conduit dans un environnement de plénitude aux influences proches du romantisme musical français. C’est avec le deuxième mouvement, tema con variazioni, aux réminiscences de musique médiévale, que l’on goûte le plus une succession de thèmes à la vaine mélodique particulièrement inspirée. Joyeux et délibérément optimiste, malgré son année de composition (1938…), la cadence du dernier mouvement, allegro giocoso, mêle davantage encore lyrisme et légèreté, achevant de conquérir un public particulièrement attentif et crépitant d’enthousiasme.
En bis, ô bonheur supplémentaire, « Carnaval de Venise » petit bijou signé Félix Godefroid (1818-1897), harpiste virtuose et compositeur belge, que, nous dit-on, la grande Mado Robin avait l’habitude d’inclure dans sa « leçon de musique » du Barbier de Séville ! On ne sera donc pas étonné, avec ce bis, de la virtuosité d’une interprétation qui rejoint alors la plus pure tradition d’un instrument « vocalisant » de façon stratosphérique, sans jamais perdre pour autant la ligne d’un chant legato de belle facture.
La Symphonie fantastique, chef-d’œuvre absolu et toujours à redécouvrir
Quel bonheur de ressentir le plaisir palpable des musiciens de l’orchestre philharmonique de Marseille et de leur chef à « partager » cette œuvre, probablement la plus paradigmatique du Romantisme musical français et de la volonté de son compositeur de cristalliser dans sa partition l’illusion de son idéal féminin !
Retrouvant, dans le 1er mouvement « Rêveries et Passions », ce climat d’inquiétude agitato e appassionato assai qu’il apprécie tout particulièrement, Michele Spotti met d’emblée en évidence le pouvoir mélodique de Berlioz, donnant au cor solo de Julien Desplanque l’occasion de se distinguer.
De même, sans oblitérer la frange d’irréalité que doit absolument contenir « Un bal », les interventions introductives des deux harpistes et des cordes nous font pénétrer, avec le deuxième mouvement, dans un salon parisien vers 1830. Délicieux.
C’est avec la bucolique « Scène aux champs » que l’orchestre – conscient de l’émotion qui envahit le compositeur en cet instant de sa partition – participe pleinement au spectacle de la nature, le chef ménageant superbement un effet de contrastes avec, tout d’abord, le dialogue, à la poésie mélancolique, du cor anglais – Faustine Medeville – et du hautbois solo – Ivan Kobylskiy – puis avec l’entrée de l’orage menaçant – timbales impressionnantes de Bernard Bœllinger – et le retour au silence et à l’isolement du héros romantique, évoqué à nouveau par le cor anglais, déjà pré-tristanien…
Le festival de percussions et de timbales se poursuit dans le mouvement suivant, « Marche au supplice », particulièrement bien réglé par la direction de Spotti qui favorise, en outre, un bel équilibre entre les phrases héroïques confiées aux trompettes et les irrésistibles dissonances des bassons. Irradiante également, l’introduction autant étrange qu’inquiétante du « Songe d’une nuit de sabbat » qui permet de faire exploser le tutti de l’orchestre, sans pour autant confondre terrifiant et tonitruant ! Pour aborder la dernière partie de ce cinquième mouvement, il faut disposer d’une véritable vision hallucinée et la transmettre à la phalange. Avec un enthousiasme communicatif, la direction de Spotti se lance à corps perdu dans la ronde du sabbat des sorcières pour en faire entendre, tout à la fois, le glapissement de la petite clarinette de Valentin Favre, l’épaisseur des cuivres chantant le Dies irae et la fugue finale, dansée et satanique, qui vient progressivement se superposer au thème religieux en une conclusion fracassante.
Hervé Casini
5 juillet 2025
1 Ne disposant pas de la composition de l’orchestre dans la feuille de salle, nous ne pouvons que le déduire…de notre connaissance de l’organigramme de la phalange marseillaise !
2 Ironie de l’Histoire… Xavier de Maistre descend en ligne directe de la famille du champion idéologique de la Contre-Révolution, le brillant Joseph de Maistre et de son frère, écrivain également célèbre en son temps et auteur du Voyage autour de ma chambre, un certain Xavier… !
Les artistes
Orchestre Philharmonique de Marseille, direction : Michele Spotti
Harpe : Xavier de Maistre
Le programme
Edouard Lalo, Le Roi d’Ys, ouverture
Reinhold Glière, Concerto pour harpe et orchestre en mi bémol majeur, op. 74
Hector Berlioz, Symphonie fantastique, op.14
Bis : Felix Godefroid, Carnaval de Venise, op.184