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Carrières de Lumières des Baux-de-Provence « Rêves d’Orient » par Aline Piboule au piano : une libre promenade entre ballades, nocturnes et flots marins pour le plus grand plaisir de l’ouïe et de la vue

Carrières de Lumières des Baux-de-Provence « Rêves d’Orient » par Aline Piboule au piano : une libre promenade entre ballades, nocturnes et flots marins pour le plus grand plaisir de l’ouïe et de la vue

lundi 29 juillet 2024

Crédits René Villermy

Dans le cadre de plusieurs soirées prenant pour contexte – et prétexte – les expositions-projections des Carrières de Lumières de la cité des Baux consacrées à « L’Egypte des pharaons » et aux « Orientalistes », la pianiste française Aline Piboule donne un récital enchanteur d’une exigence technique rare, sachant dresser des ponts entre des univers musicaux diverses pour le plus grand bonheur d’un auditoire conquis.

Ce qui frappe d’emblée dès l’arrivée d’Aline Piboule sur sa banquette, c’est sa capacité à établir un contact immédiat avec son public : évoquant tout d’abord, dans son début de récital, la personnalité de Franz Liszt comme celle du véritable inventeur du récital de piano solo, c’est vers un premier contraste que la récitaliste nous entraîne entre, d’une part, la dimension épique de la ballade n°2 – une pièce d’une douzaine de minutes qui s’inspire de l’épisode mythologique d’Héro et Léandre – et, d’autre part, la transfiguration amoureuse qui en résulte, dont l’héritage wagnérien, visant à une sorte d’épure, fera florès. Dans ce premier morceau de bravoure d’un récital qui n’en sera pas avare, Aline Piboule fait immédiatement état de son étonnante capacité à mettre en marche le moteur de son instrument pour nous faire entendre le déferlement de la houle et les rouleaux lugubres d’une tempête déchaînée : on est scotché sur son siège !

Si la ballade n°2 laisse à l’esprit une succession de thèmes d’une veine musicale inouïe, les deux extraits des Épigraphes antiques de Claude Debussy qui suivent, Pour un tombeau sans nom et Pour que la nuit soit propice – dans leur transcription pour piano seul – nous plongent davantage dans une atmosphère de mystère et de symbolisme – pas très éloignée, pour la première de ces pièces, des sonorités du Prélude à l’après-midi d’un faune –, toute empreinte d’une retenue pianistique où la méditation attendue se construit toutefois autour de savants contrastes entre des phrases agitées, délicieusement espiègles, et d’autres beaucoup plus lentes qui viennent mourir allegro dans des formes d’eau évoquant le ruissellement de gouttelettes.

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©Hugues CHARRIER

Avec les Nocturnes de Gabriel Fauré, auquel elle consacre d’ailleurs un album entier – à paraître ce mois-ci chez Harmonia mundi1 – Aline Piboule fait entrer en résonance l’un des compositeurs français les plus prolixes pour la voix humaine et le piano avec Frédéric Chopin, dont l’amour du Bel Canto romantique ne fut pas, on le sait, sans influence sur l’écriture pianistique. Ici, c’est donc le n° 13 opus 119 du premier qui vient s’inscrire en contraste avec le n°17, opus 62 du second et nous frappe par la forme libre – et violente ! – qu’il fait entendre, où alternent rage, calme et désespoir dans une forme de « mélodie continue ». Quel saisissement en comparaison du toucher adopté pour Chopin, pourtant porté par la même moisson de subtilités et d’envolées romantiques : il y a là, soudain, un climat d’éternité propice aux rêves d’un Orient débarrassé de toute scorie orientalisante…

Tout autre est l’environnement musical qui prévaut à la Salomé (1909) de Mel Bonis2. Extrait de son cycle pour piano Femmes de légende3, on retrouve dans cette fort belle œuvre un peu de l’orientalisme russe cher à Borodine et, surtout, à la Shéhérazade de Rimsky-Korsakov. Techniquement, cependant, la pièce fait moins appel aux mélismes et à la gamme pentatonique – en tout cas dans sa version pour piano – que d’autres œuvres contemporaines et l’auditeur peut ainsi se concentrer davantage sur certaines audaces musicales où la mélodie est interrompue par des sauts d’octaves et une harmonie qui frise l’atonalité, plus proche – jusque dans son étonnant accord final – de la Salomé de Richard Strauss (1905).

C’est cependant, pour clôturer ce roboratif programme, la transcription pour deux pianos – à l’origine – de La mer de Claude Debussy qui aura constitué, selon nous, le moment le plus exceptionnel de ce récital. Sur fond de projection de La Vague d’Hokusai – qui servait de couverture à la partition originale de 1905 -, Aline Piboule nous plonge littéralement ici, pendant quelques 25 minutes, dans le grand bain ! Ramassée sur son instrument avec lequel, ici plus qu’ailleurs encore, elle ne fait plus qu’un, la pianiste force l’admiration dès les embruns de l’aube à midi sur la mer, premier mouvement à la construction technique des plus exigeantes et à la poésie des plus irrésistibles. Peu à peu, c’est le mouvement des jeux de vague qui monte à la surface, moment rare où l’interprète se déploie en déchaînements ahurissants – on retrouve un peu ici du Liszt d’ouverture de programme – et en nuances impressionnistes infinies. C’est évidemment avec le Dialogue du vent et de la mer – illustré par la projection de l’un des tableaux d’Arnold Böcklin consacrés à L’île des morts – que la sensation d’entendre sous les doigts d’Aline Piboule tout un orchestre symphonique se fait plus prégnante. Dans ce dernier mouvement, le thème principal se développe de façon lancinante avec une subtilité à la fois aérienne et aquatique, pour aboutir au grand souffle d’un crescendo dont la concertiste dose parfaitement l’effet avant que l’impressionnante vague finale ne vienne se briser dans un accord final de grande facture.

Tout naturellement, dans un tel programme, l’apaisante mélancolie du Clair de lune extrait de la Suite bergamasque, donné en bis, vient cristalliser un jeu qui, par-delà toute virtuosité – pourtant également bien réelle ! – nous touche par sa simplicité juste.

Encore une soirée produite par l’association des « Fêtes des quatre saisons » que l’on n’oubliera pas de si tôt !

Hervé Casini
29 juillet 2024

1 Gabriel Fauré, Nocturnes et barcarolles, harmonia mundi.

2 Mélanie-Hélène Bonis (1858-1937) : L’une des compositrices fin -de-siècle les plus prolifiques – et les plus avant-gardistes ! – de son temps.

3 Lors du récital donné la veille, Aline Piboule a ainsi mis au programme l’opus 165, Ophélie.

Les artistes
Piano : Aline Piboule

Le programme
Franz Liszt, ballade n°2 en si bémol mineur ;
Claude Debussy, Épigraphes antiques : Pour un tombeau sans nom ; Pour que la nuit soit propice
Gabriel Fauré, Nocturne n° 13 opus 119
Frédéric Chopin, Nocturne opus n°17, opus 62
Mel Bonis, Salomé
Claude Debussy, La Mer
Bis : Claude Debussy, Clair de lune

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