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Bruxelles, Théâtre de La Monnaie : Die Walküre, Première journée du Festival scénique Der Ring des Nibelungen de Richard Wagner

Bruxelles, Théâtre de La Monnaie : Die Walküre, Première journée du Festival scénique Der Ring des Nibelungen de Richard Wagner

dimanche 21 janvier 2024

© Monika Rittershaus

Die Walküre parmi les animaux à La Monnaie de Bruxelles

Pour son deuxième épisode du Der Ring des Nibelungen, après Das Rheingold chroniqué dans ces colonnes en octobre dernier1, Romeo Castellucci annonçait un resserrement de la mise en scène autour des protagonistes, chacun portant en lui ou elle une part de bien et de mal, ainsi que la présence d’animaux sur le plateau. C’est d’abord le chien de Hunding qui va et vient, animal tout noir comme son maître. Mais ce n’est pas le plus marquant du premier acte, d’autres images ou choix de scénographie restant plus durablement à l’esprit, par exemple ces mains qui frappent en transparence derrière un voile, comme dans un halo lumineux pendant les premières mesures de l’opéra, sans doute Siegmund qu’on imagine dans une fuite désespérée pour échapper à Hunding et ses hommes. Sieglinde donne à boire par la suite au fuyard dans un tube transparent, puis des meubles sombres se mettent en mouvement, en même temps que les personnages changent de place sur le plateau. L’idée de faire figurer un réfrigérateur est certainement plus discutable, tout comme le choix de faire porter l’épée Notung par Sieglinde, qui la donne à Siegmund, bien plus tôt que prévu par le livret. Celui-ci plante alors l’arme dans le frigo, puis le referme… mais la porte s’ouvre malencontreusement dans l’instant qui suit. Quelle que soit la position de la porte, on s’interroge encore sur le sens de la présence de cet élément d’électro-ménager qui tourne comme un manège…

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Nadja Stefanoff & Peter Wedd @Monika Rittershaus

On est également peu convaincu par la performance vocale du couple de jumeaux, en particulier par le Siegmund de Peter Wedd, qui détient certes la couleur du rôle, mais n’en possède pas les moyens en terme d’ampleur. On craint pour ses passages tendus dans l’aigu, avec des « Wälse » trop timides pour croire à une once d’héroïsme chez le personnage. En Sieglinde, Nadja Stefanoff accuse également d’un déficit de puissance, mais la voix semble tout de même mieux sortir du gosier, timbre agréable et frémissant dans le médium. Le couple de Wälsungen termine l’acte en s’aspergeant de sang et buvant quelques gorgées d’une bouteille de lait, se recouvrant d’un voile pour rappeler vraisemblablement leur gémellité in utero. Ante Jerkunica complète en Hunding, très sombre instrument de basse qui peut puiser dans un grave abyssal, moins à l’aise toutefois pour les notes les plus aiguës.

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Gabor Bretz & Marie-Nicole Lemieux © Monika Rittershaus

C’est au tour des oiseaux pour le deuxième acte, de nombreuses colombes amenées par des oiseleurs qui effectuent par la même occasion de petites chorégraphies à la manière d’automates. On ne peut tout de même pas s’empêcher de sourire à l’écoute des roucoulements des volatiles pendant le tête-à-tête entre Fricka et Wotan, c’est-à-dire l’une des plus intenses scènes de ménage de l’histoire de l’opéra ! Les confidences de Wotan à sa fille Brünnhilde se déroulent ensuite dans une obscurité mystérieuse, quelques discrets figurants agitant feuillage et drapeaux au plus près du dieu des dieux. Les drapeaux finissent par s’immobiliser et nous permettent de lire le mot « IDIOT », insulte, bien plus forte en allemand qu’en français, à l’endroit de Wotan, pris finalement à ses propres pièges. Pour l’ultime scène des jumeaux fugitifs et l’annonce de Brünnhilde, une quantité de matériau tombe des cintres, une apparence de terre dans laquelle rampent des corps habillés de la même couleur, ajoutant à l’angoisse du tableau.

Le chant wagnérien gagne largement au II, d’abord avec la présence de Gábor Bretz, Wotan très vaillant dans son registre aigu, tandis que le grave reste bien exprimé. On admire aussi son endurance, une petite baisse de régime au troisième acte lui permettant toutefois de finir avec éclat pour ses Adieux à Brünnhilde. Nous retrouvons la Fricka de Marie-Nicole Lemieux, cette fois bien plus exposée que lors du Rheingold. Le timbre est riche, mais avec des observations à formuler pour les deux extrémités de la tessiture : si certains aigus en limite de cri sont bien en ligne avec la colère vengeresse de l’épouse autrefois trompée, plusieurs notes parmi les plus graves sont davantage parlées que chantées. Enfin, la Brünnhilde d’Ingela Brimberg est certainement le format le plus wagnérien du plateau, un chant capable de projection naturellement puissante, tout en assurant une constante qualité de timbre et d’élocution du texte. Peut-être une sensation personnelle, mais la moitié inférieure de la voix évoque celle de Dame Gwyneth Jones et son humanité attachante sur plusieurs inflexions de phrases, la soprano britannique ayant été une autre très grande titulaire pour Brünnhilde.

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©Monika Rittershaus

Et ce sont des animaux de plus grande taille qui sont réunis pour le troisième et dernier acte, plus précisément neuf chevaux pour les neuf Walkyries du livret. Mais ces beaux équidés, noirs sur fond noir, restent finalement peu visibles, cantonnés sur la partie arrière de la scène, pour une très courte promenade. Les cadavres des héros morts au combat, en partance pour le Walhalla, sont déposés à l’avant du plateau. A noter le très bon ensemble des huit Walkyries, chanteuses aussi à l’aise en groupe qu’individuellement.

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Ingela Brimberg ©Monika Rittershaus

La longue scène entre Wotan et Brünnhilde se développe ensuite dans une appréciable simplicité, un écran lumineux blanc contrastant avec le noir ambiant. Cet écran descend d’abord à la verticale, passe à l’horizontale pour recouvrir la Walkyrie, en guise de barrière de feu. Magie de l’opéra, lorsque le mécanisme se relève légèrement, le corps de Brünnhilde a disparu, laissant simplement chaussures et robe sur place. Wotan proclame ses dernières paroles – sa lance est d’ailleurs déjà cassée, sans attendre le futur coup d’épée de Siegfried… –, puis après la dernière note de musique, c’est un cercle qui prend feu à mi-hauteur.

Le bonheur est aussi musical, Alain Altinoglu dirigeant un Orchestre symphonique de la Monnaie très attentif et en très grande forme. Le rendu est puissamment lyrique, qui provient en particulier des splendides pupitres de cordes, chargés d’émotion. Mais l’ensemble maintient aussi un équilibre serein entre les multiples instruments. Rendez-vous à présent au cours de la saison 2024-2025 pour les deux dernières journées !

Irma FOLETTI

21 janvier 2024

Direction musicale : Alain Altinoglu

Mise en scène, décors, costumes & éclairages : Romeo Castellucci

Dramaturgie : Christian Longchamp

Collaboration artistique : Maxi Menja Lehmann

Collaboration aux décors : Paola Villani

Collaboration aux costumes : Clara Rosina Straßer

Collaboration aux éclairages : Raphael Noel

Chorégraphie : Cindy Van Acker

Distribution :

Siegmund : Peter Wedd

Hunding : Ante Jerkunica

Wotan : Gábor Bretz

Sieglinde : Nadja Stefanoff

Brünnhilde : Ingela Brimberg

Fricka : Marie-Nicole Lemieux

Gerhilde : Karen Vermeiren

Ortlinde : Tineke Van Ingelgem

Waltraute : Polly Leech

Schwertleite : Lotte Verstaen

Helmwige : Katie Lowe

Siegrune : Marie-Andrée Bouchard-Lesieur

Grimgerde : Iris Van Wijnen

Rossweisse : Christel Loetzsch

Orchestre symphonique de la Monnaie

Production : La Monnaie

Coproduction : Gran Teatro del Liceu (Barcelona)

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1https://resonances-lyriques.org/das-rheingold-a-la-monnaie-de-bruxelles-romeo-castellucci-met-le-ring-wagnerien-a-nu/

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