De l’écran à la scène: un examen de passage réussi !
Nous avons assisté à la répétition générale de l’opéra tiré du film éponyme de Lars von Trier Breaking the waves, Grand Prix du Festival de Cannes sorti en 1996.
Le réalisateur danois avait par la force et la sensualité du sujet bouleversé et choqué le public pourtant habitué aux réalisations de ce cinéaste fortement influencé par le russe Andrei Tarkovski.
Des sujets traités par ces deux géants du cinéma mondial, on retiendra essentiellement les aspects sombres et pessimistes de leurs personnages peu voués au bonheur.
La compositrice Missy Mazzoli ainsi que le librettiste Royce Vavrek nous livrent une œuvre puissante et parfaitement fidèle au récit du film.
Une habile mise en scène signée Tom Morris nous transporte sur l’île de Skye au nord de l’Écosse au sein d’une gigantesque plate-forme pétrolière.
C’est là que Bess rencontre Jan, jeune travailleur étranger dont elle va follement s’éprendre. Élevée dans une stricte communauté calviniste, on comprend très vite qu’elle est animée d’une ferveur mystique exacerbée ; nous assistons à leur union malgré la réprobation familiale, leur amour charnel semble indestructible. Hélas Jan est victime d’un grave accident qui le laissera paralysé ; il poussera Bess à chercher du plaisir auprès d’autres hommes. L’issue de ce jeu pervers sera fatale pour nos deux protagonistes, l’amour sans limites de Bess la conduisant dans un sacrifice à contre-courant de la morale commune.
Il était indispensable pour faire vivre ce drame proche de la tragédie grecque que les interprètes soient de très haut niveau : Sydney Mancasola, jeune soprano américaine connaît et semble habitée par le personnage, présente sur scène pendant plus de deux heures, elle est tout simplement époustouflante.
L’étendue des rôles figurant déjà à son palmarès (Mélisande, Pamina, Eurydice,Olympia) nous laisse songeur mais ne nous étonne nullement. Elle incarne l’amour fou qui conduit à la folie; mais n’est ce pas l’essence des héroïnes d’opéra ?
Face à elle, le puissant et magnifique baryton (également américain) Jarrett Ott nous émeut ; on songe à Tristan, Pelléas ou encore à Peter Grimes, que dire de plus ? fusion des voix, fusion des corps, une intensité rare se dégage de ce duo inoubliable.
L’ensemble homogène de la distribution, Wallis Giunta (Dodo), Susan Bullock (la mère) entre autres contribue à la réussite de la production plébiscitée depuis sa création en 2016 à l’Opéra de Philadelphie.
La scénographie est somptueuse, les lumières inquiétantes de Richard Howell nous plongent dans cet enfer dont on ne sort pas indemnes.
L’accueil réservé au Chef Mathieu Romano ainsi qu’à l’Orchestre de chambre de Paris et à l’Ensemble Aedes confirme que nous avons assisté à l’une des plus belles soirées lyriques de la saison.
Philippe Pocidalo
26 mai 2023.