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Bérénice au Théâtre de Nice / La Cuisine

Bérénice au Théâtre de Nice / La Cuisine

samedi 21 mai 2022
Frederic de Goldfiem et Carole Bouquet /photo Virgine Lançon

Après ses diverses escales à l’Opéra, au Forum Nice Nord et au Théâtre Lino Ventura, le Théâtre National de Nice a, en un peu moins d’un mois, inauguré les deux lieux qui vont lui servir de bases essentielles jusqu’à ce que soit définitivement édifié, dans quelques années, le nouveau Théâtre au Palais des Expositions. Dans une précédente chronique, nous avons évoqué la salle des Franciscains (Place Saint François) qui remplace, en quelque sorte, la salle Michel Simon du TNN. Ce premier lieu a ouvert fin avril avec un spectacle solo de l’une des plus attachantes stars du cinéma : Isabella Rossellini dans Le sourire de Darwin (voir notre article dans cette rubrique). Le deuxième lieu, qui se substitue à l’ancienne salle Pierre Brasseur du TNN et qui se dénomme « La Cuisine », est situé entre le Palais Nikaïa et le Centre Administratif Départemental des Alpes Maritimes (CADAM). Il s’agit d’une structure éphémère qui avait été édifiée, en son temps, à Genève dans l’attente de la reconstruction définitive du Théâtre de Carouge. Cette salle en gradins offre aux spectateurs 600 places avec un espace scénique de plus de 300m². Elle dispose d’un foyer pour le public assorti d’un restaurant s’ouvrant sur une grande terrasse extérieure.

Pour la prise de possession de ce nouvel espace, la Direction du Théâtre de Nice a de nouveau proposé à une actrice emblématique de théâtre comme de cinéma, Carole Bouquet, d’être la tête d’affiche de la production inaugurale. Pour la circonstance l’œuvre choisie est l’un des grands classiques du 17ème siècle à savoir Bérénice de Jean Racine.
Muriel Mayette-Holtz avait déjà, en 2011, mis en scène cette tragédie à la Comédie Française. Pour sa part Carole Bouquet avait incarné la reine de Judée en 2000 dans un téléfilm de Jean-Daniel Verhaege avec Gérard Depardieu (Titus) et Jacques Weber (Antiochus), puis aux Bouffes du Nord en 2008 dans une mise en scène de Lambert Wilson lequel interprétait également Titus. Pour Carole Bouquet c’est également un retour au Théâtre National de Nice où elle avait joué Phèdre de Racine voici 20 ans en 2022 (mise en scène de Jacques Weber).

Muriel Mayette Holtz transpose la tragédie de Racine à notre époque confiant les décors et les costumes à Rudy Sabounghi, habitué des productions lyriques de l’Opéra de Monte-Carlo. Ce dernier a du vraisemblablement s’inspirer des tableaux dans lesquels l’américain Edward Hopper a peint des angles d’appartements rectilignes, avec de grandes baies vitrées assorties de rideaux sur rails avec lit ou sofa. C’est stylistiquement le décor de Bérénice où deux portes sont en outre aménagées pour les entrées et sorties des protagonistes à cour et à jardin. « Une chambre qui devient tour à tour : passage, antichambre, lit et vide… » selon les propos de la metteuse en scène qui a aussi pris le parti d’ajouter une musique de fond signée Cyril Giroux en contrepoint du texte qu’elle accompagne avec discrétion. Elle a également opté pour un certain nombre de coupures : c’est ainsi que le personnage d’Arsace, qui est le confident d’Antiochus, disparaît purement et simplement et ne demeurent que Paulin (confident de Titus) et Phénice (confidente de Bérénice) mais les répliques de ceux-ci sont réduites à leur plus simple expression, la directrice du TNN ayant très certainement souhaité focaliser l’action sur les trois principaux personnages de l’œuvre de Racine. Au demeurant « action » n’est sans doute pas la terminologie la plus adéquate, car il n’y a strictement, en la circonstance, ni péripétie, ni renversement de situation, ni disparition d’un personnage, ni revirement, ni coup de théâtre, ni sang, ni mort etc.
Dès le départ le sort de chacun est en effet scellé. L’empereur de Rome, Titus, aime Bérénice reine de Judée d’un amour profond mais cette relation (et surtout le mariage envisagé) est absolument impossible car le peuple comme le sénat s’y opposent farouchement : « Rome par une loi, qui ne se peut changer /n’admet avec son sang aucun sang étranger ». De son côté Antiochus, Roi de Commagène, (royaume situé au Centre de l’actuelle Turquie) et ami de Titus est aussi secrètement épris de Bérénice. Sachant que celle-ci est perdue pour lui, il décide de rompre le silence et de s’éloigner d’elle. Ce drame est donc celui du renoncement car Titus va devoir se séparer de Bérénice et Antiochus ne pourra pas pour autant la récupérer. Et Bérénice ne parvenant pas à se résoudre à quitter Titus, ( «Que le jour recommence et que le jour finisse/sans que jamais Titus puisse voir Bérénice ») et en proie à un immense désespoir, songe à mettre fin à ses jours. Mais Titus l’en dissuade car ne plus la voir est déjà une épreuve et il ne supporterait pas de la savoir morte. De son côté Antiochus songe aussi à perdre la vie mais c’est de manière parallèle que Bérénice l’en empêche. Les trois protagonistes n’auront d’autre issue que de se séparer de manière définitive. 

Ainsi compactée, la pièce n’excède pas une heure trente et elle acquiert de ce fait, une force qui permet de concentrer toute l’attention du public sur cette « tragédie du cœur ». La transposition s’accorde parfaitement des alexandrins, d’autant que dans un décor quasi intemporel – qui conserve l’unité de lieu – Muriel Mayette-Holtz utilise un traitement très cinématographique en conférant au jeu des acteurs une indéniable modernité.

Carole Bouquet tout autant par sa sensibilité frémissante que par un port hiératique qui la qualifient parfaitement pour Bérénice, apporte son aura et sa classe évidente à la reine de Judée. Frédéric de Goldfiem délivre un Titus à la fois torturé par la passion mais également ravagé par une profonde tristesse à la mesure du sort malheureux d’un amour voué à son inéluctable perte. Il est particulièrement crédible et émouvant. Jacky Ido, Antiochus géant qui parait porter – ne serait ce que physiquement – en lui une assurance certaine, laisse néanmoins discerner que sa vie est aussi très profondément marquée par des sentiments irrépressibles pour Bérénice sans pouvoir être payé de retour.
Ce trio s’investit avec autant de profondeur que de conviction et de vérité dans la tragédie de Racine dont les vers ont marqué pour la postérité des générations entières d’amants du théâtre non seulement par la beauté de la langue, mais également par son épure. La passion s’oppose au devoir, la raison à l’amour, l’Occident à l’Orient dans une bouleversante symphonie en cinq mouvements évoquant « le long deuil des sentiments ».  

Christian JARNIAT
Le 21 mai 2022

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