Pour clore en beauté la saison estivale, le Festspielhaus de Baden-Baden et le Gstaad Menuhin Festival et Academy Orchestra nous ont offert un grand moment lyrique et musical avec un « Gala Wagner » au cours duquel, le deuxième acte de Tristan et Isolde a été brillamment interprété, avec deux chanteurs exceptionnels, Jonas Kaufmann et Camilla Nylund (la superbe Isolde du Festival Wagner de Bayreuth cette année).
En ouverture, les musiciens du Gstaad Festival Opera ont interprété de Richard Wagner le « Prélude et l’Enchantement du Vendredi Saint », extrait de Parsifal. Le chef Sir Mark Elder dirige un peu lentement, la musicalité est bien présente, mais elle manque de couleurs, de nuances. Les cordes semblent tout en retenue, moins vaillantes. Par contre, les cuivres sonnent bien, les bois sont d’une grande suavité. Dans « l’enchantement du Vendredi-Saint », il réussit à atteindre un pathétique solennel et l’Orchestre devient à ce moment magique de la Cène, profondément lyrique, comme dans un rêve et le motif de la Rédemption semblait « transfiguré ».
Après la pause, place au second acte de Tristan et Isolde, dans une représentation semi-scénique, avec quelques accessoires (quelques cubes et une lanterne allumée posée par Brangäne, rappelant que tout se passe en pleine nuit…). Rentrant de Bayreuth la veille, j’ai particulièrement apprécié cette version concert après les mises en scène farfelues et grossières de Bayreuth où tout romantisme est absent. Quelle intelligence, subtilité, romantisme, sans pathos dans l’interprétation de Jonas Kaufmann et Camilla Nylund !! Pour créer un univers de mystère les deux amants sont recouverts de grands voiles semi-opaques bleu nuit.
La soprano finlandaise Camilla Nylund, vêtue d’une robe bleu nuit est magnifique dans le rôle d’Isolde tant vocalement que scéniquement. Elle restitue avec beaucoup de conviction la tristesse qui ronge son personnage. Son visage grave et inquiet devient soudain rayonnant lorsqu’elle étreint Tristan. Son vibrato dans l’aigu est puissant, mais elle doit forcer par moment, trop couverte par l’orchestre plus vif et plus fort que dans l’ouverture de Parsifal. On retiendra ce moment superbe où sa voix s’élève divinement lors de l’extase.
C’est bien sûr Jonas Kaufmann que l’on attendait dans le rôle de Tristan. Le ténor allemand, vêtu lui aussi d’un pantalon et d’une chemise bleu nuit ne force jamais ses moyens, même dans la partie si exigeante (« So starben wir ») où il nous rappelle le Kaufmann des grands soirs. Sa manière d’habiter le rôle est frappante, ce visage toujours si expressif, sa façon de serrer le poing et de ramener les mains sur son cœur. Tout l’essentiel est là ce soir : la beauté de sa ligne de chant, le velours de son timbre. Il a atteint des sommets vocaux radieux et héroïques. Totalement habité par son personnage, il dégage toujours autant de charme et de magnétisme. Un beau couple en totale symbiose !!!
Sasha Cooke, toute en dévotion au service de sa maîtresse, campe une Brangäne de haut vol, avec un investissement total, déployant de merveilleuses nuances de mezzo richement timbrées, surtout dans son appel retentissant « Soyez prudents ».
Christof Fischesser est un Roi Marke plein d’autorité avec une présence royale, son timbre de basse sonore et de belle rondeur complète sa colère et sa tristesse face à la trahison de son neveu Tristan.
Todd Boyce est un Melot fort antipathique, au comportement vengeur, mais doté d’un timbre de baryton superbement fluide, avec un médium chaleureux.
Le public présent dans une salle quasi comble, a chaleureusement applaudi les solistes, les musiciens et le chef Sir Mark Elder, mais les plus forts et tonitruants applaudissements étaient réservés à juste titre, à Jonas Kaufmann.
A quand un Tristan et Isolde avec cette exceptionnelle distribution ? On en rêve !!!
Marie-Thérèse Werling
25 aout 2024
Direction : Sir Mark Elder
Distribution :
Tristan : Jonas Kaufmann
Isolde : Camilla Nylund
Brangäne : Sasha Cooke
le Roi Marke : Christof Fischesser
Melot : Todd Boyce
Gstaad Menuhin Festival Orchestra
