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Auditorium Rainier III : Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo : L’Ancêtre de Camille Saint-Saëns (version de concert)

Auditorium Rainier III : Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo : L’Ancêtre de Camille Saint-Saëns (version de concert)

dimanche 6 octobre 2024

©Frederic Nebinger-Direction-de-la-communication

Camille Saint-Saëns et la Principauté de Monaco

Camille Saint-Saëns (1835-1921) a écrit douze opéras (dont Samson et Dalila (1877), de nombreux oratorios, cinq symphonies, cinq concerti pour piano, trois pour violon et deux pour violoncelle, des compositions chorales, un requiem, un oratorio de Noël, de la musique de chambre et des pièces pittoresques, dont Le Carnaval des animaux (1886).

Le compositeur est venu pour la première fois en Principauté de Monaco en 1881 pour exécuter son concerto pour piano et orchestre (et ce juste après la construction de la Salle Garnier qui a été inaugurée en 1879). Le directeur était alors Roméo Accursi qui était le neveu de Donizetti.

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© Gallica

Saint-Saëns a été nommé à l’Institut de France qui incluait l’Académie des Sciences à laquelle participait le Prince Albert 1er de Monaco, lequel effectuait des recherches sur les océans. C’est à l’occasion de réunions de l’Institut que le compositeur rencontrât le Prince et devint un proche de celui-ci, ce qui explique la profusion des œuvres lyriques de Camille Saint-Saëns créées et jouées à l’Opéra de Monte-Carlo : Le timbre d’argent, Etienne Marcel, Les Barbares, Hélène (création à l’Opéra de Monte-Carlo en 1904), L’Ancêtre (création à l’Opéra de Monte-Carlo en 1906) et Déjanire (création à l’Opéra de Monte-Carlo en 1911 (2e version). Par ailleurs, Raoul Gunsbourg devint le directeur mythique de l’Opéra de Monte- Carlo. Sa longévité à la direction de ce théâtre est absolument exceptionnelle, il fut directeur pendant quasiment 60 ans de 1892 à 1951 ! (il devint notamment l’ami de Jules Massenet dont dix opéras furent créés à Monaco) 1.

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©DR

Genèse et création de L’Ancêtre

Camille Saint-Saëns connut une étrange mésaventure lors d’un voyage en Corse : alors qu’il se promenait sur un chemin de campagne, il fut mis en joue et maîtrisé par deux hommes, ce qui l’effraya tout particulièrement. Mais, in fine, il s’avéra qu’il ne s’agissait que d’une méprise. Cette mésaventure qui aurait pu prendre l’aspect d’une « vendetta » lui inspira le sujet de L’Ancêtre.

L’Ancêtre (sur un livret de Lucien Augé de Lassus) fut créé en 1906 à l’Opéra de Monte-Carlo devant un parterre de personnalités célèbres et, notamment, du Président de la République Armand Fallières qui venait de succéder à Emile Loubet. A l’issue de la représentation, il y eût une somptueuse réception suivie d’un bal jusqu’à trois heures du matin. Elle réunissait toute l’élite et la gentry monégasque ainsi que la colonie française, les représentants de l’armée italienne et française ainsi que le Préfet de Nice.

Camille Saint Saens Raoul Gunsbourg et les interpretes de l Ancetre
©DR

Le rôle de Nunciata était tenu par la célèbre Felia Litvinne l’une des grandes cantatrices wagnériennes de sa génération : elle faisait partie des grandes divas de l’époque auxquelles, paraît-il, les admirateurs éperdus n’offraient pas des fleurs, mais des rivières de diamants !… Le reste de la distribution était le suivant : Margarita (Géraldine Farrar), Vanina (Marie Charbonnel), Raphaël (Renaud), Tébaldo (Rousselière), Bursica (Lequien), direction d’orchestre : Léon Jehin et mise en scène : Raoul Gunsbourg.

Toute la presse parisienne était présente, parmi les journalistes on trouvait notamment Gabriel Fauré qui envisageait de faire représenter la Pénépole qu’il composait à l’Opéra de Monte-Carlo. 2 

L Ancetre a l Opera Comique
©DR

Les représentations ultérieures de L’Ancêtre

Après sa création saluée au théâtre de Monte-Carlo en février 1906, L’Ancêtre y fut représenté à quatre autres reprises, puis dans plusieurs villes de France, de Belgique, de Suisse et d’Allemagne, à Alger (février 1911), au Caire (février 1912) avant deux nouvelles représentations en mars 1915 dans le théâtre qui l’avait vu naître.

Cet opéra a du attendre ensuite plus d’un siècle pour être de nouveau goûté du public, d’abord en 2019 au Prinzregententheater à Munich, à l’initiative du Palazzetto Bru Zane puis à nouveau grâce à cette institution, à Monte-Carlo dans le cadre des opéras en version de concert proposés par l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, suivant des modalités identiques à celles de Déjanire de Saint-Saëns qui avait fait également l’objet d’un enregistrement discographique en octobre 2022.

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©Alice Blangero

L’argument de l’Ancêtre

Acte 1 : Un site agreste dans les montagnes de Corse

Sur un site montagneux et sauvage se dressent face à face, près d’un humble ermitage, deux mausolées. C’est là que, dans la mort, voisinent ceux des Fabiani et des Pietra-Nera qui, depuis tant d’années que la haine les divise, s’entre-tuèrent de père en fils et en petits-fils.  L’ermite Raphaël confie à Tebaldo Pietra-Nera – un officier de Napoléon que la paix a ramené au pays natal – le projet qu’a formé son cœur d’homme et de chrétien et l’espoir qu’il nourrit : émouvoir, convaincre les deux familles qu’il va bientôt réunir de se réconcilier. Voici qu’aux premières paroles du bon ermite, les deux groupes ennemis maintenant rassemblés semblent incliner déjà vers la pitié ; voici qu’un même cri s’élève : assez de sang, de larmes et de deuil ! Désormais, plus de vendetta ! Cependant Nunciata, l’ancêtre, est restée à l’écart. On se tourne vers elle, on l’entoure ; les mains jointes, on la supplie de faire grâce. Alors farouche, hautaine, Nunciata rompt l’effrayant silence par ce seul mot : « Non ! »  C’en est fait : la pitié et le pardon ont fui. « La mort rouvre son aile ». 

Acte 2 : A la ferme de Nunciata

Lorsqu’il partit pour l’armée, Tebaldo aimait Margarita et en était aimé. Mais la sœur de lait de Margarita, Vanessa, aime aussi Tebaldo. Or toutes les deux sont dans les rangs de ceux que Tebaldo a le devoir de haïr. Léandri Fabiani, le petit-flls de Nunciata, attireTebaldo dans un guet-apens. Tebaldo se défend et tue son agresseur. Et tandis que, dans la maison de l’ancêtre, Vanina s’inquiète de ne point voir revenir son frère,on entend des chants funéraires qui s’élèvent dans le soir et peu à peu se rapprochent. Un lugubre cortège précède le brancard où gît Léandri. Devant le cadavre de son petit-fils, Nunciata ,délirante de colère et de douleur, exhale sa détresse et sa haine. Ce nouveau crime sera expié dans le sang ! Pour venger le mort, Nunciata choisit Vanina : c’est à la sœur qu’incombe le devoir de frapper l’ennemi. Le cœur déchiré, Vanina jure de tuer celui qu’elle aime : Tébaldo.

Acte 3 : Un site champêtre dans les montagnes

Tébaldo s’apprête à fuir le pays, mais non sans avoir lié sa destinée à celle de Margarita. Raphaël va donc les unir dans la chapelle. Mais Vanina aussi est là, serrant dans ses mains le fusil et luttant contre le plus monstrueux des devoirs. Ayant surpris en leur joie débordante les aveux des amants elle va, blêmissante, diriger son arme vers Tebaldo. Toutefois l’amour l’emporte et sa main défaillante laisse tomber le fusil. Nunciata, que la hantise de la vengeance mène en ces lieux, saisit l’arme. Vanina se précipite pour prévenir Tebaldo. Mais l’ancêtre, au hasard de ses yeux troublés par l’âge, a tiré. Et c’est Vanina qu’on voit revenir, se soutenant à peine, serrant de ses deux mains sa poitrine sanglante et tombant enfin sur le sol où elle expire. La balle qui devait venger le frère a tué la sœur.

La résurrection de L’Ancêtre à Monte-Carlo le 6 octobre 2024

Pour la circonstance L’Ancêtre de Camille Saint Saëns (sur un livret de de Lucien Augé de Lassus) fait l’objet concomitamment à la version concertante de cet opéra d’un enregistrement discographique par le Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française. On rappellera que cette institution a pour vocation la redécouverte et le rayonnement international du patrimoine musical français du grand XIXe siècle (1780-1920) et qu’elle s’intéresse aussi bien à la musique de chambre qu’au répertoire symphonique, sacré et lyrique.

Cette institution possède un impressionnant catalogue qui redonne vie à une multitude d’œuvres qui, pour ne plus avoir été représentées, ne sont pas pour autant dénuées de qualité. Initiative en tous cas ô combien passionnante pour les amateurs d’art lyrique et de musique classique.

Rappelons que le Palazzetto Bru Zane et l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo avait aussi coproduit en octobre 2022 Dejanire de Saint Saëns avec enregistrement discographique à l’appui.

Entre le répertoire romantique et les influences de Massenet

A la première audition de « L’ancêtre » on retrouve les fondamentaux du répertoire romantique qui structure l’œuvre lyrique de Saint Saens mais également le sens du théâtre et la passion, le pathétisme, voire la sensualité qui animait certaines partitions luxuriantes de Massenet

Au premier acte après un sombre prélude annonciateur événements tragiques, se situe un andante très agité qui parvient à se calmer comme une tempête s’apaise après l’orage. Il est suivi d’un salut au gai soleil avec le bruissement des abeilles, ces insectes que Raphaël, au fond de son ermitage, considère comme ses sœurs. Le prêtre invoquera ensuite le seigneur, l’implorant pour écarter la haine qui oppose les familles rivales (« plus de sang, plus de haine »). La prière se développe, devenant grandiose et incluant les solistes et les chœurs. Le premier acte se terminera sur le « Non ! » glaçant de l’ancêtre. A noter le très suave duo qui n’est pas sans rappeler précisément la musique de Massenet entre Tébaldo et Margarita.

Au deuxième acte, on entendra les rumeurs qui bruissent dans la plaine annonçant la mort de Léandri tué par Tébaldo. Les imprécations de l’aïeule font écho à certaines phrases de Dalila dans Samson et Dalila. Au troisième acte, changement d’ambiance musicale avec d’abord le prélude chaleureux précédant l’union de Tébaldo et de Margarita puis ensuite la conclusion grandiose et tragique avec la mort de Vanina.

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Jennifer Holloway et Gaelle Arquez©Alice Blangero

Les interprètes de l’Ancêtre le 6 octobre 2024

Jennifer Holloway s’investit corps et voix dans une Nunciata aveuglée par sa haine, farouche, intransigeante et hostile à tout compromis. La cantatrice américaine, familière du répertoire de Wagner (Tannhaüser, le Vaisseau Fantôme Lohengrin) ou de Richard Strauss (Salomé, Elektra, Ariane à Naxos), impose son charisme interprétatif et vocal dans pareil emploi. Sa voix de soprano dramatique impressionne par ses accents inflexibles et puissants.

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Gaelle Arquez ©Alice Blangero

Gaëlle Arquez qui nous avait enthousiasmé dans des rôles aussi divers que Hélène (La Belle Hélène), Isolier (Le Comte Ory), Charlotte (Werther) fait preuve d’une émotion toute contenue en Vanina qui paiera de sa vie son amour non partagé avec Tebaldo. On retrouve les mêmes qualités dont elle fait preuve dans un répertoire diversifié : la couleur ambrée de son timbre de mezzo et l’opulence de sa voix charnelle assortie d’une parfaite diction.  

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Hélène Carpentier©Alice Blangero

Hélène Carpentier s’est distinguée par les prix qui lui ont été attribués aussi bien dans le concours des Voix Nouvelles que par sa désignation de Révélation Classique par l’ADAMI. Elle poursuit depuis, une carrière significative dans un répertoire de soprano lyrique se distinguant récemment dans le rôle d’Inès de L’Africaine à l’Opéra de Marseille dans lequel elle avait fait excellente impression. On a remarqué à nouveau son très joli timbre clair et sa facilité d’élargir une voix que l’on pourrait penser au prime abord comme légère – ce qui n’est pas du tout le cas car elle sait lui conférer l’ampleur requise lorsque la partition l’exige- .

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Michael Arivony et Julien Henric©Alice Blangero

Son partenaire Julien Henric s’était notamment illustré dans le rare Guercoeur d’Albéric Magnard à l’Opéra du Rhin. Nous l’avons retrouvé au mois d’août au Festival de Salzbourg où il interprétait Läerte dans Hamlet d’Ambroise Thomas aux côtés de Stéphane Degout, de Lisette Oropesa et d’Eve-Maud Hubeaux avec l’Orchestre Philharmonique de Vienne sous la baguette de Bertrand de Billy. Il cumule lui aussi nombre de qualités au rang desquelles l’incisivité vocale, la séduction ardente du timbre, la parfaite diction française qui devraient lui assurer un bel avenir aussi bien en France qu’à l’étranger.

Michael Arivony ne nous est pas davantage inconnu. Baryton originaire de Madagascar, il a été membre pendant deux années du studio de l’Opéra de Vienne. Nous l’avons vu cet été faire ses débuts au Festival de Salzbourg dans Le Joueur de Prokofiev. A noter que, parallèlement à sa carrière de chanteur, il est également chef d’orchestre. Quel remarquable baryton doté d’un art consommé du phrasé dans le rôle de l’Ermite Raphaël !

En peu de temps, nous avons apprécié le talent de l’omniprésent Matthieu Lécroart puisqu’il fut en fin de saison de l’Opéra de Nice, le directeur de théâtre dans Les Mamelles de Tirésias et récemment , pour l’ouverture de la saison du même Opéra, Larivaudière dans La Fille de Madame Angot. Il se glisse ici avec subtilité dans le personnage de Bursica où il apporte son sens précis de la déclamation et du théâtre.

Bien entendu, cette version de L’Ancêtre n’aurait sans doute pas eu l’éclat dont elle s’est, en la circonstance, parée sans le concours précieux du somptueux Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo sous la direction aussi inspirée que vibrante de son chef titulaire Kazuki Yamada toujours aussi profondément investi, qu’il s’agisse de musique symphonique ou d’œuvres lyriques.

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©Frederic Nebinger-Direction-de-la-communication

A remarquer comme de coutume, l’excellente prestation du violon-solo supersoliste David Lefèvre. Décernons une mention toute particulière au Chœur Philharmonique de Tokyo (Chef de Chœur Hiroyuki Mito) à la fois sonore et nuancé et nanti d’une remarquable prononciation du français.

Formons enfin le vœu que l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, associé au Palazzetto Bru Zane, puisse à l’avenir continuer à nous offrir ces merveilleux cadeaux de passionnantes redécouvertes d’œuvres lyriques !

Christian Jarniat
6 octobre 2024

1 et 2  Extraits de la Conférence d’André Peyrègne à l’Auditorium Rainier III préalablement à l’exécution de l’opéra L’ancêtre en version de concert.

Direction musicale :Kazuki Yamada

Distribution :

Nunciata (L’Ancêtre) : Jennifer Holloway
Vanina : Gaëlle Arquez
Margarita : Hélène Carpentier
Tébaldo : Julien Henric
Raphaël : Michael Arivony
Bursica : Matthieu Lécroart

Chœur philharmonique de Tokyo – Hiroyuki Mito, chef de chœur

David Zobel, répétiteur

Coproduction Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, Palazzetto Bru Zane.

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