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AUDITORIUM MAURICE RAVEL – ORCHESTRE NATIONAL DE LYON : WEBER / SCHUMANN / TCHAÏKOVSKI : “In Memoriam Sir Andrew Davis”

AUDITORIUM MAURICE RAVEL – ORCHESTRE NATIONAL DE LYON : WEBER / SCHUMANN / TCHAÏKOVSKI : “In Memoriam Sir Andrew Davis”

jeudi 16 mai 2024
Auditorium Maurice-Ravel avec l’Orchestre National de Lyon ©Julien Mignot

Au fil d’une vie d’auditeur, y compris chez un professionnel de la musique, certains rendez-vous manqués serrent le cœur. Un exemple parmi tant d’autres : le hasard fit que votre serviteur ne connut jamais le privilège de voir en scène Sir Colin Davis. Même constat pour son homonyme patronymique : Sir Andrew Davis… qui aurait dû diriger le présent concert. Nous nous en réjouissions, tant consœurs et confrères nous vantaient son charisme. Ce, sans oublier ses enregistrements, souvent fascinants, que nous possédons. Hélas, le 20 avril dernier ce valeureux chef britannique fut brutalement fauché par la camarde. Nikolaj Szeps-Znaider assume l’intégralité du programme prévu, tout en le dédiant à la mémoire de son aîné disparu.

Le thème de la cabalette de Reiza, rarement, aussi exultant d’enthousiasme amoureux

Trop rare à l’affiche ces dernières années, Carl Maria von Weber nous revient enfin avec l’ouverture de son ultime opéra achevé, Oberon. L’introduction se déploie en apesanteur : cors minutieux, bois espiègles au possible, violons diaphanes et cordes graves d’une opulente étoffe. Après le saisissant accord fff, l’attaque de l’Allegro con fuoco situe toute la phalange à un degré d’unité exceptionnellement atteint en texture, conjugué à une puissance et un panache des grands jours. Nous en voulons pour preuve quelques éléments saillants, constitutifs d’un tout recherché : d’abord le motif inhérent à Huon de Bordeaux énoncé Dolce, certes tel qu’écrit, mais avec un velouté incomparable par la clarinette de Nans Moreau, qui sera, au reste, inspiré toute la soirée durant, dispensant des trésors en hédonisme question timbre ; ensuite le chef, qui met en avant la paternité de Weber pour des recettes que l’on croit souvent, à tort, sui generis chez Mendelssohn (en oubliant la vénération du second pour le premier : confer le récit de Julius Benedict) ; le thème de la cabalette de Reiza qui, rarement, hors contexte, aura paru aussi exultant d’enthousiasme amoureux, avec des temps forts plus ponctués que brutalement appuyés (travers récurent sous moult baguettes). Au bilan : à un infime accrochage près du pupitre de trompettes dans l’introduction – signalé par acquis de conscience et que l’on préfère oublier – voilà bien une exécution qualifiable de… parfaite !

Garrick Ohlsson © Dario Acosta 1
Garrick Ohlsson ©Dario Acosta

Garrick Ohlsson appartient au cercle fort restreint des pianistes “communicants”

L’auteur de ces lignes se souvient encore avec émotion du disque qui lui fit découvrir le talent de Garrick Ohlsson en 1990 : le gigantesque Concerto en Ut Majeur pour piano, orchestre & chœur masculin de Ferruccio Busoni, dirigé par Christoph von Dohnányi avec les forces de Cleveland [CD TELARC 1989 : un must !]. Le grand pianiste américain offre aujourd’hui sa vision du beaucoup plus rabâché Concerto en la mineur Opus 54 de Robert Schumann. Mais nul besoin de se proclamer prophète pour deviner que, ce soir, l’audition sortira de la routine.

Après un incipit sec, idéalement percutant, nous apprécions combien, tout en jouant la carte du concerto symphonique, Nikolaj Szeps-Znaider aère la pâte sonore tout au long de l’Allegro affetuoso initial… même si l’on pourrait encore gagner en clarté sur ce point précis (Wolfgang Sawallisch le prouva). Quant au soliste, il nous captive : mains de fer portant gants de velours, mais quel velours ! Ohlsson appartient au cercle fort restreint des pianistes “communicants”. Scruter ses fréquents échanges oculaires avec ses partenaires se révèle prodigue de moments privilégiés, en cohésion comme en raffinement. Si ses cascades descendantes s’avèrent encore plus impressionnantes dans la réexposition, son jeu volontaire n’exclut pas le charme poétique. D’ailleurs, sa séquence cadentielle le laissait prévoir : l’Intermezzo : Andantino grazioso central – sensation nulle part ressentie auparavant – fait songer à un aveu amoureux de Robert à Clara. Gracieux, oui, tout en demeurant constamment viril avec, en osmose, les contrechants enjôleurs des cordes graves. L’impression d’une ravissante, attendrissante conversation Biedermeier, mais rehaussée de teintes goethéennes, séduit de bout en bout.

L’attaque de l’Allegro vivace conclusif – perception inédite là aussi – nous tire presque à regret d’un monde onirique auquel les exécutants nous ont permis d’accéder. Le chef insiste beaucoup, à raison, sur l’antagonisme des deux propositions thématiques principales, jouant le jeu de l’enthousiasme tempéré versus la robustesse rutilante. Ohlsson adhère à l’option avec cette faculté d’adaptation propre uniquement aux plus nobles artistes. Magique connivence, qui nous vaut une conclusion parmi les plus mémorables jamais entendues dans cette salle.

En bis, le pianiste annonce d’une voix claire (et qui porte !), dans un français impeccable, une Valse en ut dièse mineur Op. 64 N°2 de Chopin à se pâmer, sensible sans affectation aucune. L’assistance réserve un triomphe à un Grand Monsieur, dont elle espère vivement le retour !

Nikolaj Szeps Znaider © Fred Mortagne 1
Nikolaj Szeps-Znaider ©Fred Mortagne

Impérieuses indications de départs, aboutissant à des crescendos en acier trempé

Lorsqu’en septembre 2021 Nikolaj Szeps-Znaider dirigea la Symphonie N°4 de Tchaïkovski, nous écrivîmes dans feu Lyon-Newsletter.com : « Avec une implication de chaque instant, le juvénile maestro laisse pourtant ses troupes respirer. Jusqu’à une conclusion éruptive, la grandeur l’emporte sur le pathos ». Une semblable synthèse peut tout aussi bien s’appliquer ce soir, où il dirige la 6ème Symphonie en si mineur « Pathétique ». À ce sujet, la fréquence des auditions de cette œuvre crépusculaire céans, entre l’ONL et les orchestres invités, devient tellement élevée depuis dix ans que cela crée un danger : la critique croît en exigence. Donc, voici notre motivation majeure : comment le chef maison aborde-t-il cet Opus 74 fatidique ?

Habité à l’extrême, le basson solo de Louis-Hervé Maton nous transporte expertement en quelques mesures dans l’univers consacré à la désolation voulu par le compositeur… lugubre, glaçant. Puis, l’attaque de l’Allegro non troppo saisit par sa véhémence fiévreuse. Le maestro ne modère pas l’éclat (ses cuivres tonnent !). La substance des cordes suscite la déférence, à l’instar de leur façon – totalement exempte de guimauve larmoyante – d’engendrer le second thème. Cette vision plus distanciée que de coutume se défend. Foin d’effets racoleurs frisant la sensiblerie. Le heurt ouvrant le développement confirme même que le chef place l’ouvrage dans la lignée des pages de l’auteur influencées par Wagner, Francesca da Rimini en tête. Que l’ONL possède la Pathétique sur le bout des doigts ne fait aucun doute mais, cette surenchère jouissive en ampleur de son ou en dynamisme électrisant (quasi délirant) façon Bernstein subjugue voire terrifie ! Aucune faiblesse ne pointe, tous les pupitres s’investissant sans trêve.

Après ce sommet d’hypertension, l’on craint un Allegro con grazia psychanalysé. Or, cette valse à cinq temps prend ici la parure d’une nostalgie viennoise très fin de siècle (violoncelles envoûtants, conduits par Édouard Sapey-Triomphe !). Elle l’emporte sur toute autre considération mais dans un espace bien délimité, comme tiré au cordeau, pizzicatos inclus.

Conception apparemment certifiée par un 3ème mouvement revêtant ici une parure du type “Apocalypse joyeuse”, tel un point supplémentaire évoquant ce lien trop ignoré : l’admiration de Gustav Mahler pour Tchaïkovski. Plus que jamais l’épisode sert de repoussoir au drame, tout en conservant un sens coloriste affûté, soulignant l’ironie fataliste. Difficile d’énumérer le geste le plus admirable dans cette organisation fourmillante mais l’on rend d’abord les armes face à ces impérieuses indications de départs, aboutissant à des crescendos en acier trempé.

Attaque quasi subito sans abaissement de baguette (cela réfrène les éternels applaudissements disruptifs) pour l’Adagio lamentoso, où, loin des étirements inouïs d’un Bernstein, autant que des russes flirtant avec le sentimentalisme (de Mravinski à Fedosseïev), le chef semble se rappeler que, sur le manuscrit, l’auteur hésitant raya « Andante ». Cors bouchés et trombones participent à vif d’un rite versant macabre de Casse-Noisette. Terme suivi d’un silence absolu, façon Abbado à Luzern, avant la standing ovation spontanée d’un public en état second… !

Patrick FAVRE-TISSOT-BONVOISIN
16 Mai 2024

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