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Auditorium Maurice Ravel – Orchestre National de Lyon : Vaughan-Williams / D’Indy / Dvořák

Auditorium Maurice Ravel – Orchestre National de Lyon : Vaughan-Williams / D’Indy / Dvořák

jeudi 19 septembre 2024

Auditorium Maurice Ravel – Orchestre National de Lyon ©Julien Mignot

Nikolaj Szeps-Znaider entame déjà sa cinquième saison artistique depuis sa nomination à la tête de l’O.N.L. Ce laps de temps est souvent propice à la réflexion. Or, son concert inaugural du 12 septembre a permis d’entendre le moins bon (une ouverture du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn historiquement informée dans son instrumentarium – ophicléide compris ! – mais prosaïque et lourde dans son rendu phonique) ; le plus séduisant (un Concerto pour violon de Sibelius – dans sa mouture définitive – chauffé à blanc par un Sergey Khachatryan superlatif) ; jusqu’au meilleur avec, rien de moins que, la plus mémorable des quatre auditions de la Symphonie N° 1 “Rêves d’Hiver” de Tchaïkovski entendue en ces murs en quarante ans.

ONL et NSZ © J Mignot ONL 1
Nikolaj Szeps-Znaider ©Julien Mignot-ONL

Vision gorgée de sève, injectée dans une luminosité solaire

Pour ce deuxième programme, le lien entre les trois œuvres affichées n’a, au premier abord, rien d’évident. Après mûre réflexion, le fil conducteur se fait jour, avec un triumvirat de compositeurs assurant la transition entre deux siècles, inspirés par une puissante évocation de la Nature au sein de pages hautes en couleurs, qui exigent, avant tout, une franche conviction de la part d’un chef et de ses troupes. Or, cette dernière se révèle dès l’ouverture pour The Wasps [Les Guêpes], numéro princeps d’une musique de scène conçue pour la pièce satirique éponyme d’Aristophane par Ralph Vaughan Williams. Encore trop ignoré en France aujourd’hui, ce dernier appartient à la génération des compositeurs britanniques tels que Delius, Holst et Ireland, située entre celle des Sullivan, Elgar et Stanford en amont et la sphère des Walton, Tippett et Britten en aval. En espérant entendre un jour futur ses grandes fresques dans cette salle, Nikolaj Szeps-Znaider met ici l’assistance en appétit avec cette page aussi subjective qu’évocatrice qui ne masque pas ses références (dont le bourdonnement épisodique, dérivé du prélude du I de La Walkyrie de Wagner). L’ensemble bénéficie d’une conception claire autant qu’enlevée. Notre directeur musical aime cette musique : cela se voit et s’entend. À noter qu’il semble vouloir adopter depuis la semaine précédente la disposition “à la Saxonne” (Violons I à Jardin ; Violons II à Cour ; Contrebasses à l’arrière-plan gauche…etc.). Un enthousiasme communicatif innerve son interprétation, tout à la fois dynamique dans les sections aux tempos vifs et méticuleuse jusqu’au pointillisme dans les passages intimistes les plus subtils. Voilà bien une vision gorgée de sève, injectée dans une luminosité solaire, où notre O.N.L retrouve d’emblée ses marques, son unité et tout son éclat naturel. L’art d’un ciseleur, joint à un dynamisme bouillonnant convainc totalement. Aussi, posons-nous cette fatale (!) question : à quand une partition grand format de Vaughan Williams à Lyon ? Commencer par A Sea symphonySymphonie N°1 de l’auteur – dont la forme cantate avec solistes et chœurs déploie mille attraits, constituerait un choix logique autant qu’idéal.

Irréfragable sensation d’apesanteur

L’actuelle programmation semble en passe de réparer bien des oublis durables. Car, depuis combien d’années les notes écrites par Vincent d’Indy n’ont plus retenti en ces murs ? Certes, nous n’avons pu entendre l’intégralité des programmes depuis près d’un demi-siècle mais notre dernier souvenir en l’espèce remonte à une Symphonie cévenole (de son vrai titre : Symphonie sur un chant montagnard français) dirigée par Serge Baudo dans les années 1980.

Magnifique surprise – de nature à pulvériser tous les a priori – : Nikolaj Szeps-Znaider opte pour le plus rare triptyque symphonique Jour d’été à la montagne Opus 61. Il s’approprie non seulement l’esthétique si particulière du compositeur mais fait corps avec elle. Donnant plus dans l’évocation suggestive que la narration détaillée, l’esquisse programmatique contenue dans ces pages se trouve restituée avec une rare évidence. Ainsi, l’Aurore évoquée dans la première partie se pare ici de teintes irisées, où vents et cordes, en parfaite symbiose, laissent percevoir une troublante parenté – qui nous avait jusqu’ici échappé – avec des tournures employées par Ottorino Respighi. Quel lever de soleil ! Une telle sensibilité s’exhale ensuite de la deuxième partie – Jour-Après-midi sous les pins –, si impeccable de mise en place, qu’il devient difficile d’y résister. Plus grave : l’on en frise l’oubli d’une mission de critique pour se laisser porter par une irréfragable sensation d’apesanteur, à peine troublée par la restitution des épisodiques ondulations voluptueuses des cordes en état de grâce. Par ailleurs, cuivres, bois et percussions (piano inclus) trouvent les coloris français spécifiques, consubstantiels à cette écriture. Dans la section conclusive – Le Soir – toute l’originalité comme l’esthétique prônées par d’Indy se trouvent servies avec zèle. L’O.N.L rappelle donc combien son sens des traditions en matière de répertoire français ne se borne pas au continuel duo Debussy – Ravel. Le public, de toute évidence séduit, en redemande : s’il vous plaît, affichons encore d’Indy !

Isserlis Steven © Jean Baptiste Millot 1
Isserlis Steven©Jean-Baptiste Millot

Steven Isserlis s’envole, transportant l’auditoire avec lui dans les nuées

Avec la complicité du chef Daniel Harding, Steven Isserlis nous fit en 2013 un somptueux cadeau : graver le juvénile Concerto pour violoncelle en La Majeur d’Antonín Dvořák [orchestré, jadis, par Jarmil Burghauser, mais dans une nouvelle édition, due à Günter Raphael], dont la discographie, jusqu’alors squelettique, n’offrait qu’une référence absolue : la version de Miloš Sádlo dirigée par Václav Neumann [SUPRAPHON 1977]. Naturellement, sur son généreux CD [paru sous label HYPERION], Isserlis compléta le programme avec l’incontournable “grand” Concerto en si mineur Opus 104, dont les apparitions s’espacent rarement plus de trois ans à l’Auditorium. Si l’unique point faible des standards du répertoire reste de ne pas souffrir la médiocrité, toute crainte s’efface pendant la présente prestation.

Après une introduction orchestrale classieuse, où il se montre en osmose avec ses partenaires, Isserlis subjugue par la noblesse de l’attaque. Le son n’a certes rien de gras et le volume ne perdrait rien en beauté de timbre à s’accroître un tantinet [NB : il paraît que cela passait moins bien aux balcons]. En revanche, l’ensemble d’une réalisation foncièrement habitée éclipse cette réserve. Techniquement irréprochable, le soliste britannique ose des doubles cordes ou des bariolages époustouflants, puis négocie souverainement glissandos ou chromatismes, le tout soutenu par une homogénéité rare dans tous les registres, jusqu’aux plus exquis pianissimos.

L’inspiration s’avère omniprésente : la direction enflammée autant qu’idiomatique du chef en témoigne. À ce titre, l’incipit de l’Adagio ma non troppo par la petite harmonie tinte si authentiquement tchèque que l’on se surprend, un instant, à s’imaginer au Rudolfinum de Prague. Puissants, les tutti ne sonnent jamais épais ni lourds. Jouissant de cet entourage sonore recherché, le soliste sait se monter poète, mais sans sombrer dans un lyrisme outrancier, travers frisant parfois la guimauve sous d’autres archets, même renommés. Un ensemble de cors aristocratiques participe de cette complète réussite.

Après un matériau cadentiel métamorphosé en véritable connivence chambriste, le Finale, Allegro moderato emporte tout sur son passage, dans une interprétation festive, euphorisante, d’une page si rabâchée qu’on s’étonne à en découvrir encore quelques détails insoupçonnés dans ses plus intimes recoins. L’intérêt demeure constamment soutenu, cela va sans dire, captés que nous sommes par tant d’implication. Isserlis s’envole, transportant l’auditoire avec lui dans les nuées. Triomphe inéluctable au terme du parcours ; qui en aurait douté ?

Décidément, voilà le jour des souhaits : on aspire au retour du violoncelliste dans le Don Quichotte de Richard Strauss, qui, déjà au disque, coïncide avec son tempérament impétueux.

Patrick FAVRE-TISSOT-BONVOISIN
19 Septembre 2024

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