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AUDITORIUM MAURICE RAVEL – ORCHESTRE NATIONAL DE LYON : CHAUSSON / STRAVINSKY : enchanteur cadeau préludant à Noël !

AUDITORIUM MAURICE RAVEL – ORCHESTRE NATIONAL DE LYON : CHAUSSON / STRAVINSKY : enchanteur cadeau préludant à Noël !

samedi 20 décembre 2025

©Yannis Adelbost

Ce programme atypique intitulé « L’Amour & la Mer », d’abord par référence à la partition jouée en première partie, prend malgré tout un sens global. Car l’ambiance méditerranéenne a pu influencer les compositeurs du baroque napolitain dont Stravinsky s’inspira pour l’œuvre présentée ensuite. A priori, l’on pouvait redouter qu’une affiche sans pièce rabâchée rebutât le public potentiel. Or, ce soir en tous cas, il n’en est rien. Le taux de remplissage visuellement constaté prouve même qu’il faut savoir faire preuve d’audace dans les saisons artistiques.

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©Yannis Adelbost

Un tendre instant de lyrisme pur, luxuriant mais spontané

Trop injustement délaissé aujourd’hui – comme tant de ses compatriotes contemporains, Lalo en tête – Ernest Chausson exige une mobilisation des professionnels de la musique en sa faveur. S’agissant du Poème de l’amour & de la mer Opus 19, nous assistâmes à trois exécutions dans cette salle en un demi-siècle. Une demeure gravée dans notre mémoire : celle de 1983, où une Régine Crespin déclinante compensait l’érosion des moyens par des trésors d’attention, son sens inné de la prosodie et son magnétisme légendaire. Nous avions déjà entendu, ici-même, la soprano australienne Siobhan Stagg en Rosalinde dans Die Fledermaus de Johann Strauss fils, le 1er janvier 2022. Va-t-elle laisser son empreinte sur cette composition exigeante entre toutes du répertoire français d’un XIXème siècle crépusculaire ?

Chantant sa partie entièrement de mémoire – démarche volontaire tout à son honneur – la voici passant du chic viennois à Chausson avec une relative aisance. D’abord, soulignons que son français se révèle des plus corrects. Ensuite, la sensibilité dont elle fait preuve dans ses accentuations ou inflexions atteste une réelle compréhension du texte. Concrètement, le léger tracas se situe ailleurs ; plus exactement, sous l’angle de la typologie vocale. L’écriture orchestrale nécessite, en l’espèce, une soprano dramatique ou une mezzo corsée au registre supérieur aisé. Or, Siobhan Stagg peine à affronter des segments ponctuels où, aussi bien l’étendue de la tessiture requise que l’ampleur incompressible du volume instrumental malmènent son bel organe, celui d’un très convaincant soprano lyrique. Toutefois, reconnaissons qu’elle compense ses limites intrinsèques par une rare technique. Celle-ci lui autorise, sans aucune tricherie, tant des aigus forte habilement négociés que des graves suffisamment ouverts pour ne point paraître trop chiches.

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©Yannis Adelbost

L’entente avec Nikolaj Szeps-Znaider s’avère patente. Conscient d’une large part d’influence wagnérienne contenue dans ces pages d’un des meilleurs disciples de César Franck, il ne se laisse pas pour autant déborder. Si l’on apprécie grandement la dose bien réelle de sensualité que le chef met en exergue (les courbes ondoyantes après « Fais-moi voir ma bien-aimée » dans La Fleur des eaux !), il agit en orfèvre, assidûment attentif à l’équilibre sonore enivrant, enveloppant, sans excès. Mieux : il en contrôle la naturelle opulence sans laisser son orchestre couvrir sa partenaire. Nous finissons par succomber aux divers charmes artistiques déployés par icelle, surtout dans La mort de l’Amour. Tout particulièrement, nous savourons d’inouïes touches d’une sophistication adéquate, par exemple : la stricte observance châtiée des liaisons obligées d’époque, jusque dans « Le temps des lilas et le temps des roses est passé ». Pourtant, nulle affectation ne se décèle. L’on se délecte d’un tel naturel, là où – nous en demandons par avance pardon aux sceptiques – une Jessye Norman faisait, sur le vif, un sort à toute note, sur chaque syllabe. Ici, nous vivons un tendre instant de lyrisme pur, luxuriant mais spontané.

Complète réussite. Fraîche, jolie, plaisante, évoquant une fine porcelaine de Capodimonte

À la différence des trois incontournables dans les créations stravinskiennes destinées au ballet que sont L’Oiseau de feu, Petrouchka et Le Sacre du printemps, Pulcinella subit un sort pire que celui réservé à Apollon musagète. Car, les rares fois où le titre est proposé, on se limite à la suite d’orchestre qui élimine presque la moitié d’une musique originelle aussi variée qu’attrayante. Grâces soient rendues à l’O.N.L d’offrir dans son intégralité Pulcinella, ballet avec chant en un acte d’après Giambattista Pergolesi, selon le titre voulu par le compositeur. Fait troublant : pour sa part, votre serviteur n’a conservé aucun souvenir d’avoir entendu, antérieurement, une exécution aussi complète ici-même.

Rappelons que sur les vingt et un numéros que compte cet ouvrage inaugurant, en 1920, la période néoclassique de Stravinsky, seulement dix proviennent d’originaux dus à Pergolèse, arrangés à partir d’opéras comme Il Flaminio ou Lo frate ‘nnamorato. Les autres résultent d’abus anciens, où l’on vendit frauduleusement des pages dues à Domenico Gallo, Carlo Monza et Unico Wilhelm van Wassenaer comme produites par l’auteur de la Serva Padrona !

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©Yannis Adelbost

Un chef autant qu’un orchestre rompus au grand répertoire symphonique épais doivent, en l’espèce, avant tout faire preuve d’allègement et d’esprit primesautier, ainsi que le souhaitait Stravinsky. Or, aussitôt l’Allegro moderato de l’ouverture entamé, tout traduit une surprenante compréhension du dosage nécessaire entre les réminiscences début XVIIIème siècle et la technique d’écriture inhérente à l’auteur du futur Rake’s Progress. Une infinie délicatesse envahit l’espace dans la Serenata provenant d’Il Flaminio, où hautbois et flûte solos – les exquis Clarisse Moreau et Jocelyn Aubrun – s’unissent aux pizzicatos renforcés des cordes pour soutenir Christopher Sokolowski, ténor di grazia sonore et stylé bien qu’un tantinet nasal. Tout concourt à un moment de temps suspendu, bientôt interrompu par l’attaca subito forte du Scherzino. Les quatre numéros exclusivement instrumentaux qui suivent confirment une capacité croissante à dépondérer, à laquelle certains auditeurs ne s’attendaient pas dans des proportions aussi tangibles chez un chef habitué aux fresques sonores monumentales. Ils oublient seulement qu’aussi violoniste, il a étudié cent ans d’écriture entre Vivaldi et Mozart.

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©Yannis Adelbost

« Contento forse vivere » fait apprécier d’autres vertus chez l’infatigable Siobhan Stagg : éclectisme et ductilité, dont un primordial art du trille, avant que L’Allegro assai consécutif donne la part belle aux cuivres, dont l’époustouflant trombone d’un Fabien Lafarge déchaîné.

Nous n’avions jamais vu en direct Edwin Crossley-Mercer, ahurissant d’abattage, qui passe admirablement la rampe dans une salle peu favorable aux voix. Il possède le mordant d’un Don Giovanni [puisse-t-il le chanter dans cette même salle en avril prochain !1], allié à un ambitus étendu, dont un registre grave sonore, inusuel chez un baryton aussi clair de timbre. Dans les trois sections en napolitain suivantes, le trio vocal nous régale d’une verve théâtrale bienvenue, tandis qu’avec la Tarentella les cordes allient l’apesanteur à la volubilité, dans un esprit “historiquement informé”.

En admettant que l’écriture dans « Se tu m’ami » soit un peu centrale pour la soprano, nous admirons sa désarmante capacité à négocier les difficultés, “l’air de ne pas y toucher”, tout autant que son gracieux colloque chambriste avec les solistes des cordes inspirés. Puis, de quelle badine rusticité opportune chez les bassons – épatants Olivier Massot et François Apap – vient se teinter la Gavotta ! Le “tube” du bref Vivo valorise nos contrebasses – un malicieux Vladimir Toma solo en tête, dans un esprit pertinemment facétieux. Le trio « Pupillette » confine à une telle symbiose chez tous les protagonistes qu’il suscite un imprévisible émoi avant l’étincelant Allegro assai du Finale, conduit avec un panache vésuvien par un Nikolaj Szeps-Znaider décidément plein d’esprit.

Enthousiasme garanti dans la salle pour saluer dignement cette complète réussite. Fraîche, jolie, plaisante, évoquant une fine porcelaine de Capodimonte : quarante minutes constituant un enchanteur cadeau préludant à Noël !

Patrick FAVRE-TISSOT-BONVOISIN
20 décembre 2025

1 À ce jour, nous constatons que la distribution n’est pas encore communiquée sur le site de l’Auditorium.

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