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Auditorium Maurice Ravel – Orchestre National de Lyon 17 Janvier 2025 : Chatoyante inauguration du Bicentenaire Salieri !

Auditorium Maurice Ravel – Orchestre National de Lyon 17 Janvier 2025 : Chatoyante inauguration du Bicentenaire Salieri !

vendredi 17 janvier 2025

©Yannis ADELBOST

Quelle bienfaisante pensée ! Outre que les programmateurs de l’Auditorium n’ont pas oublié la célébration en 2025 des deux cents ans du décès d’Antonio Salieri, ils ont la riche idée d’un entourage très cohérent, historiquement comme esthétiquement, pour le compositeur vénitien. De surcroît, le bel éventail d’œuvres proposées, relevant du Classicisme le plus pur, permet d’aérer un orchestre voué – par essence – aux partitions plus tardives et à larges effectifs. Enfin, côté solistes, le choix ne s’effectue pas à l’extérieur mais autorise la mise en valeur d’un trio d’éminents artistes sélectionnés dans la phalange maison, ce qui, à l’indispensable condition d’un choix judicieux autant que prudent, retient invariablement l’attention.

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©Yannis ADELBOST

La démarche positive accomplie par l’O.N.L vis-à-vis des lectures historiquement informées

L’éventail des créations du Siècle des Lumières retenues ce soir arborerait presque une identité “Empire des Habsbourg”, s’il n’y avait l’exception notable d’un Carl Philipp Emanuel Bach. Néanmoins, pour le surnommé “Bach de Berlin & Hambourg“, un lien moral existe avec les classiques viennois. Ne serait-ce qu’à travers Mozart qui, dès 1764, rencontra un de ses demi-frères puînés : Johann Christian. Ultérieurement, Mozart explora bien des pages produites par toute la fratrie Bach, sans parler du titanesque père !

Violon solo supersoliste (en alternance avec Jennifer Gilbert), Giovanni Radivo dirige à l’archet ce concert, qui s’ouvre avec la tripartite Symphonie en Ré Majeur tirée du livre des Symphonies orchestrales à douze voix obligées venues au monde en 1776 sous la plume d’un Carl Philipp Emanuel Bach visionnaire. Les traits audacieux écrits dès l’incipit en font une œuvre parmi les plus captivantes et avant-gardistes du recueil. Or, pour avoir jadis entendu l’O.N.L bien peu attrayant dans ce répertoire, nous mesurons toute la démarche positive effectuée par ses membres actuels vis à vis des lectures historiquement informées. Ainsi, relevons-nous dès l’Allegro di molto une nervosité bienvenue, une fermeté d’accents authentique, alliées à une impeccable clarté de jeu, même dans les sections où les cordes aiguës sont astreintes à une forte célérité. Puis, le Cantabile profite aux bois, d’une frappante distinction avec, en particulier, les flûtes translucides méticuleusement tenues par Jocelyn Aubrun et Niccolò Valerio. Enlevé avec esprit et flamme, le Presto conclusif – avec ses déroutantes fractures dans le discours ! – ravit l’auditoire d’entrée de jeu.

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©Yannis ADELBOST

Irradiante hautboïste, Clarisse Moreau dispense une prestation apollinienne, solaire, conservant pourtant une spontanéité autant qu’une fraîcheur pimpante

Plat de résistance pour cette attractive première partie, le Triple concerto en Ré Majeur pour violon, hautbois & violoncelle d’Antonio Salieri ouvre donc, à Lyon, la célébration du bicentenaire d’un maître excessivement rare dans notre ville. L’on se souvient essentiellement d’avril 1989, où l’Opéra de Lyon – alors “hors les murs” pendant sa reconstruction – osa dans feu l’Eldorado Prima la Musica, Poi le Parole couplé avec le mozartien Schauspieldirektor, dans une mémorable mise en scène signée par Myriam Tanant. Il ne serait pourtant pas trop tard pour que l’opéra lyonnais s’intéresse à Tarare, Les Danaïdes, Les Horaces, La Grotta di Trofonio, Europa riconosciuta, Falstaff ossia le tre burle, ou Der Rauchfangkehrer, pour ne se limiter qu’à une drastique sélection parmi la quarantaine d’ouvrages lyriques produits en français, italien ou allemand par Salieri ! Grâces soient donc rendues à l’Auditorium qui, une fois encore, compense les tristes carences accumulées par la scène de la Place de la Comédie.

Sans être légions, les exemples de triples concertos durant l’ère classique ne constituent pas une totale rareté. Plutôt original en facture, celui de Salieri doit sa diffusion à l’excellente gravure réalisée par l’ensemble des Budapest Strings [CD paru chez Capriccio dès 1995, réédité en 2011]. Après une entrée légèrement incertaine dans l’Allegro moderato question intonation, Giovanni Radivo s’implique avec élégance, veillant à l’équilibre entre lui et ses deux partenaires. Chaleur et rusticité de bon aloi émanent du jeu noble, fervent, prodigue en sonorités ambrées du violoncelle d’Édouard Sapey-Triomphe. Irradiante hautboïste, Clarisse Moreau dispense une prestation apollinienne, solaire, conservant pourtant une spontanéité autant qu’une fraîcheur pimpante, dont l’acmé se situe dans le Cantabile central. Quel splendide timbre, fruité, pulpeux à souhait, mis en valeur par un divin legato… et, en sus, quels trilles ! Après une cadenza à la fois poétique et spirituelle à souhait, les trois complices, portés par tous leurs partenaires, offrent un Andantino terminal où ils se surpassent, d’un charme envoûtant. Accompli stylistiquement, le résultat nous suggère presque – les yeux clos – d’assister à un concert à l’Hofburgtheater sous Joseph II. Notons aussi, pour ce concerto, la tâche de Konzertmeister assurée avec une discrétion zélée par Jacques-Yves Rousseau.

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©Yannis ADELBOST

Jusqu’au Presto conclusif chamarré, à la physionomie farouchement Sturm und Drang assumée, tout séduit

Avec une petite trentaine d’instrumentistes, l’effectif utilisé ici s’apparente à celui dont Haydn disposait chez les princes Esterházy. Il convient idéalement aux pages d’un Mozart juvénile. À ce titre, la Symphonie N°17 en Sol Majeur KV.129 permet aux auditeurs néophytes d’entendre non seulement une partition dont les exécutions ne surabondent pas mais qui, en outre, relève des symphonies “à l’italienne” en trois mouvements, minoritaires dans son catalogue. Un bel entrain, une maîtrise accrue des contrastes dynamiques dès l’Allegro, un émérite continuo de clavecin (exquise Riho Ishikawa), une espièglerie bien dosée compensent largement une mise en place perfectible. Ce défaut mineur disparaît dans l’Andante central, restitué – philologiquement à juste titre – dans un coloris clairement apparenté aux sérénades salzbourgeoises, que souligne la présente interprétation. Une résolution fiévreuse dans l’Allegro final, soutenue par des cors aristocratiques, emporte victorieusement l’adhésion.

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©Yannis ADELBOST

De seulement sept ans plus jeune que Haydn, Jan Křtitel Vaňhal représente la vraie curiosité et force d’attraction dans cet attachant parcours. Maints enregistrements agréent aujourd’hui la réévaluation d’un compositeur tchèque trop longtemps oublié. Avec ses 4 cors naturels hyperactifs (Gabriel Dambricourt, Stéphane Grosset, Marin Duvernois et Guillaume Renevot, épatants de justesse !)1, sa petite harmonie abondamment sollicitée, sa quadripartite Symphonie en ré mineur sélectionnée aujourd’hui a de quoi électriser. Outre sa sombre tonalité principale, ses formules fusionnelles apparentées à Gluck stimulent perceptiblement nos exécutants. Leur investissement convainc dès l’urgent Allegro princeps aux âpres accents, autant que dans l’Arioso ma non lento où, très attentif, Radivo maintient une appréciable tension. Et quelle inspiration dans le Menuetto – avec sa partie centrale Trio si magnifiquement appréhendée – avant un da capo plus inquiet, d’une éloquente parure tragique. Jusqu’au Presto conclusif chamarré, à la physionomie farouchement Sturm und Drang assumée, tout séduit.

L’ovation décernée par une salle très remplie en témoigne. Incontestablement, autour de ce chatoyant hommage à Salieri et sa brillante époque, un bonheur complet se manifeste. Il aurait même pu se voir qualifié de parfait si une brève production de Haydn (telle l’ouverture d’un de ses opéras) avait été inscrite en tête de ce si intelligent programme. Ce dernier, compte-tenu de son format, ne mériterait-il d’ailleurs pas une tournée régionale, sur les scènes des villes moyennes en mesure d’en réaliser l’accueil ? Nous en formons le vœu sincère, indubitablement.

Patrick FAVRE-TISSOT-BONVOISIN
17 janvier 2025

1 Ne pourrait-on les réunir derechef pour la Symphonie no 31 en Ré Majeur, Hoboken I-31, “Hornsignal” de Joseph Haydn dans le futur ?

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