Le Rossini Opera Festival (ROF) reprend sa production créée en 2019 par Moshe Leiser et Patrice Caurier dans la très grande salle de Vitrifrigo Arena, en périphérie de la ville. Avec une différence qui a son importance : cinq ans plus tard, les représentations se déroulent dans le Teatro Rossini, cadre bien plus intimiste qui permet une proximité accrue entre le public et les artistes sur scène. Le lieu est aussi plus favorable à la compréhension du texte, élément très important de ce dramma giocoso. Composé en 1811 par un jeune Rossini de dix-neuf ans pour le Teatro del Corso de Bologne, l’ouvrage bénéficie en effet du livret de Gaetano Gaspari, une écriture souvent loufoque, en particulier pour le personnage d’Ernestina qui est passionnée de livres et sujette régulière à des envolées littéraires. La musique se situe clairement dans la lignée de la production buffa des farces rossiniennes en un acte unique, à la différence qu’il s’agit ici d’une pièce en deux actes d’une durée de deux heures et trente minutes.
Les metteurs en scène jouent clairement la carte comique, dans les décors très réussis de Christian Fenouillat : un rideau gris se lève pour découvrir les motifs également gris d’une tapisserie posée du sol au plafond dans le salon (un lit viendra meubler le second acte), avec une imposante peinture alpestre encadrée en bonne place, aux sympathiques vaches et clocher savoyard. Les protagonistes arborent tous un faux nez, comme pour souligner, parfois au trait épais, le côté bouffe de l’opéra. Malgré cela, on sourit tout juste au cours d’une première partie qu’on commence à trouver un peu longue, l’ouvrage décollant tout de même après l’entracte, à partir de la mise en place de cette « extravagante équivoque ». Gamberotto veut marier sa fille Ernestina au riche Buralicchio, alors qu’Ermanno est amoureux de la jeune fille. Les domestiques Rosalia et Frontino montent alors un stratagème pour se débarrasser de l’empêcheur d’aimer en rond, une « équivoque » qui laisse croire à Buralicchio qu’Ernestina est en fait « Ernesto », fils castré à l’adolescence par Gamberotto, dans l’espoir d’une brillante carrière lyrique. Buralicchio se montre plus que crédule et va dénoncer cet Ernesto qui a, en tant que garçon, échappé au service militaire. Après un court séjour en prison pour Ernesto-Ernestina, sur la partie droite du plateau, puis un passage avec Ermanno par l’intérieur du tableau alpestre, tout se finit pour le mieux pour le couple à l’issue de ce dramma, qui reste tout de même giocoso.
La distribution vocale est composée principalement de jeunes chanteurs passés par de récentes éditions de l’Accademia Rossiniana, l’académie de chant du ROF. Ceci à l’exception du Gamberotto de plus grande expérience de Nicola Alaimo, magnifique baryton qui paraît comme un poisson dans l’eau vocalement et scéniquement dans ce théâtre, développant une vis comica à la juste dose. Deux chanteurs sont issus de l’Accademia Rossiniana édition 2018, en premier lieu la mezzo Maria Barakova qui compose une délicate Ernestina, jolie voix pleine de douceur à son entrée en scène, précise d’intonation, capable aussi de puissance et de souplesse vocale, dotée d’un bon italien pour les récitatifs. Le Buralicchio du baryton Carles Pachon, pas spécialement renversant dans son air d’entrée, s’affirme ensuite avec davantage d’ampleur dans ses interventions, ensembles et récitatifs compris.
Passé par l’Accademia Rossiniana en 2020, Pietro Adaíni en Ermanno est un ténor bien concentré dans le médium et l’aigu, plus discret dans la partie la plus grave, mais aux sonorités assez nasales, surtout dans ses traits d’agilité rapides. Dans les rôles des domestiques Rosalia et Frontino, la soprano Patricia Calvache et le ténor Matteo Macchioni se montrent drôles et bien chantants.
Actuellement directeur musical de l’Opéra et de l’Orchestre philharmonique de Marseille, le chef de grande valeur Michele Spotti obtient un résultat de qualité variable de la part de l’orchestre du Filarmonica Gioachino Rossini. Dès l’Ouverture, on entend un cor potentiellement fragile, une corde qui part une mesure en avance, puis plus tard plusieurs petits décalages avec le plateau, même s’il s’agit ce soir de la quatrième et dernière représentation. Il faut dire que les choristes masculins du Chœurs du Teatro della Fortuna, le théâtre de la ville voisine de Fano, sont amusants visuellement mais pas toujours bien ensemble pour le chant. Le chef parvient néanmoins à maintenir globalement le contrôle et propose de nombreux numéros fort réussis, y compris certains ensembles plutôt compliqués du point de vue du rythme, comme le quintette du second acte « Speme soave ah scenda », au chant sillabato très rapide pris à tour de rôle par les protagonistes.
Pour le Finale du second acte, les personnages retirent leur faux nez, on imagine qu’il s’agit d’une véritable délivrance pour eux, tant les marques des élastiques sur les joues sont visibles !
Irma FOLETTI
Rossini Opera Festival
L’equivoco stravagante, opéra de Gioachino Rossini
Pesaro, Teatro Rossini le 21 août 2024
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Direction musicale : Michele Spotti
Mise en scène : Moshe Leiser et Patrice Caurier
Décors : Christian Fenouillat
Costumes : Agostino Cavalca
Lumières : Christophe Forey
Distribution :
Ernestina : Maria Barakova
Gamberotto : Nicola Alaimo
Buralicchio : Carles Pachon
Ermanno : Pietro Adaíni
Rosalia : Patricia Calvache
Frontino : Matteo Macchioni
Orchestre du Filarmonica Gioachino Rossini
Chœurs du Teatro della Fortuna
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