Emma Dante mettait en scène Macbeth de Verdi en janvier 2017 au Teatro Massimo de Palerme (DVD du label NAXOS disponible), en coproduction avec le Teatro Regio de Turin et le Macerata Opera Festival, où il était accueilli à l’été 2019 (Roberto Frontali et Saioa Hernandez en Macbeth et sa Lady). Le spectacle est rejoué six ans plus tard dans ce même Sferisterio, espace extérieur tout en largeur où le mur monumental en arrière du plateau renvoie une excellente acoustique. Cette reprise est confiée cette année aux soins de Federico Gagliardi, qui restitue avec fidélité la réalisation d’Emma Dante.
Comme souvent chez la dramaturge et metteuse en scène palermitaine, le travail des mouvements des corps est généreux, faisant intervenir de nombreux acteurs et figurants, pour une chorégraphie collective d’une grande densité, réglée ici par Manuela Lo Sicco. Dès l’Ouverture, ce sont les sorcières qui s’agitent frénétiquement par-dessous un immense voile tâché de sang, rejointes par des hommes en satyres à faux sexe pendouillant, qui avancent en rythme, entre quatre pattes et station debout.
L’entame du troisième acte plus tard met à nouveau en présence les sorcières, en compagnie de femmes enceintes visiblement agitées de contractions très douloureuses. On les fait accoucher l’une après l’autre dans chacun des deux chaudrons fumants à droite et à gauche, puis tout ce petit monde, satyres inclus, dorlote tendrement et berce gentiment les nouveaux-nés.
Les lumières de Christian Zucaro sont efficaces et belles, sur les élements de décors en petit nombre de Carmine Maringola : plusieurs groupes de lances déployées en éventail, des lances verticales également en fond de plateau, comme une grille qu’on ouvre ou ferme pour l’entrée des artistes, et encore un superbe squelette de cheval qu’on pousse sur roulettes pour l’arrivée de Macbeth, tel un roi vainqueur.
Le lit est aussi un élément symbolique, d’abord deux petits lits accolés qui arrivent sur scène, lieu de repos des époux Macbeth, et plus tard des lits pendant la scène de somnambulisme de Lady Macbeth au IV : quatre lits qui bougent tout seuls comme pour un ballet, qui deviennent neuf lits tâchés de sang et finissent par encercler au plus près la Lady. A la fin de son grand air, celle-ci quitte la scène pendant ses dernières notes, suivie de près par un lit qui l’accompagne comme un chien fidèle. Et enfin dans la dernière bataille de l’acte ultime, ce sont des figuiers de Barbarie qu’on déplace pour représenter la forêt de Birnam qui avance, dans le livret de Francesco Maria Piave et Andrea Maffei, d’après William Shakespeare.
En tête de distribution vocale, le Macbeth de Franco Vassallo est une bonne surprise, meilleur que dans nos derniers souvenirs. La voix porte en effet dans ce grand volume extérieur, dans un style contrôlé qui exprime le plus souvent la peur, voire la terreur du personnage. Si le baryton traverse une petite baisse de régime en fin de deuxième acte, l’entracte bienvenu régénère ses forces, jusqu’à son air du IV “Pietà, rispetto, amore” au legato soigné.
Sa Lady Macbeth est la formidable soprano Marta Torbidoni, que nous avions déjà entendue dans deux autres rôles verdiens significativement spinto : Abigaille à l’automne 2023 (Nabucco en concert, chroniqué dans ces colonnes) et Odabella en octobre dernier, les deux au Festival Verdi de Parme. Elle confirme dans ce nouveau rôle, meurtrier aussi bien vocalement que théâtralement, ses précieuses qualités : timbre séduisant et homogène en qualité sur toute la tessiture, aigus tendus puissants sans verser dans l’agressivité, musicalité précise (comme pour son air de somnambulisme du IV “Una macchia è qui tuttora !”), ainsi qu’une souplesse appréciable dans les passages fleuris, comme au cours de son Brindisi du II.
De son instrument sonore au vibrato présent, Simón Orfila impose un Banco autoritaire, tandis qu’en Macduff, les moyens d’Antonio Poli sont bien en adéquation aux standards du ténor verdien, une voix d’ampleur qui véhicule les sentiments avec expressivité. Autre ténor bien épanoui en décibels, mais au vibrato un peu plus développé, on apprécie le Malcom d’Oronzo D’Urso, les deux ténors s’en donnant à coeur joie ensemble à la conclusion du IV. La dame de compagnie de Lady Macbeth Federica Sardella et le médecin de Luca Park complètent agréablement.
Aux commandes des valeureux musiciens de l’Orchestra Filarmonica Marchigiana, Fabrizio Maria Carminati impulse une direction de qualité, mais aux tempi régulièrement lents. Il sait varier entre grands ensembles de belle allure et petits détails plus intimistes, comme les mélodies aux bois ou petites cordes. En revanche, certains rythmes paraissent traîner par moments, au risque de manquer de nerf dans l’avancée de l’action, par exemple dans l’introduction de la lecture de la lettre « Nel dì della vittoria io le incontrai », lue dans cette mise en scène par Macbeth lui-même, présent en face de sa femme. Les chœurs produisent globalement une belle prestation, avec certains passages un peu moins réussis, aussi bien pour les ténors en début de représentation que pour les femmes au III. Le grand chœur du IV « Patria oppressa » est en tout cas splendide d’homogénéité et de beauté de son, tous les choristes étant habillés de noir avec quelques corps allongés au sol, qu’on emmène après les avoir tristement couverts d’un drap.
Irma FOLETTI
Macbeth, opéra de Giuseppe Verdi
Macerata, Sferisterio
7 août 2025
Direction musicale : Fabrizio Maria Carminati
Mise en scène : Emma Dante
Reprise de la mise en scène : Federico Gagliardi
Décors : Carmine Maringola
Costumes : Vanessa Sannino
Lumières : Christian Zucaro
Chorégraphie : Manuela Lo Sicco
Maître d’armes : Sandro Maria Campagna
Assistant aux décors : Roberto Tusa
Assistant aux costumes : Margherita Platè
Macbeth : Franco Vassallo
Banco : Simón Orfila
Lady Macbeth : Marta Torbidoni
Dama di Lady Macbeth : Federica Sardella
Macduff : Antonio Poli
Malcom : Oronzo D’Urso
Medico : Luca Park
Domestico / Sicario / Araldo : Stefano Gennari
Prima Apparizione : Andrea Pistolesi
Seconda e terza Apparizione : Lucia Spreca
FORM-Orchestra Filarmonica Marchigiana
Coro Lirico Marchigiano “Vincenzo Bellini” (chef des choeurs : Christian Starinieri)
Complesso di palcoscenico : Banda Salvadei
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