Le Grand Théâtre de Genève (GTG) ouvre sa saison avec un nouveau spectacle de Tristan und Isolde, monté en coproduction avec le Deutsche Oper de Berlin, institution dont Aviel Cahn, actuel patron du GTG, assurera la direction à partir de 2026. La mise en scène en est confiée à Michael Thalheimer qui resserre l’opéra au plus près des protagonistes, sans éléments de décors sur le plateau uniformément noir d’Henrik Ahr. Isolde tire une corde au début de la représentation et Tristan prendra le relais au début du troisième acte, celui-ci debout et plutôt bien portant, quand on songe à la lourde charge – imaginaire – attachée au bout cette corde… à chacun / chacune son fardeau ?
Un praticable surélevé monte ou descend suivant les scènes, mais c’est surtout un immense panneau constitué d’alignements de lampes (… un total de 260 lampes, nous avons eu le temps de les compter !) qui constitue l’élément scénographique le plus caractéristique, conçu par Stefan Bolliger. Ce mur, vertical pendant les deux premiers actes puis horizontal au plafond au dernier, varie les intensités lumineuses suivant les tableaux. On peut avoir quelques doutes quant à l’efficacité de ce dispositif, omniprésent et qui semble régulièrement surdimensionné et imposant, pour illustrer idéalement Tristan und Isolde. Mais il faut avouer qu’il donne sa pleine mesure à deux moments clés de l’opéra : au deuxième acte lorsque les lumières s’éteignent soudainement pour le très long duo des deux amants où ceux-ci baignent alors dans une lumière blanche et crue, les luminaires gris ressemblant à des haut-parleurs, et puis la scène conclusive du Liebestod où le panneau, mis finalement à la verticale, éblouit de plus en plus les spectateurs, avant le soudain noir complet.
Le jeu théâtral varie entre le bon et le moins bon, avec Tristan et Isolde qui se tiennent le plus souvent à bonne distance, voire à très bonne distance pendant le duo du II où ces deux protagonistes se tiennent à cour et à jardin. Lorsqu’ils se rapprochent, c’est pour s’entailler l’avant-bras tour à tour, avec un sentiment de déjà vu. On préfère le troisième acte d’un dépouillement extrême où, une fois Tristan allongé à terre, on croit à sa souffrance dans la longue attente avec Kurwenal. Une originalité est à signaler dans le traitement quasiment comique du personnage de Melot, scandalisé en fin de deuxième acte par le rapprochement des deux amants et qui fait deux allers et retours vers Marke, l’air outré. Puis quand Tristan se poignarde avec le couteau tenu par Melot, ce dernier fait plusieurs signes de dénégation pour indiquer à l’assistance qu’il n’y est pour rien.
Le plateau vocal est inégal, à commencer par le couple Tristan – Isolde. La première impression laissée par Gwyn Hughes Jones est plutôt bonne, on entend un ténor de format wagnérien, assez homogène sur son étendue et qui met du mordant sur plusieurs attaques. Mais les choses se gâtent rapidement, le timbre n’étant pas des plus séduisants et l’interprète rencontrant une baisse de régime au deuxième acte, montrant des signes de fatigue avec un commencement de graillonnement.
C’est un peu le contraire qui se produit avec Elisabet Strid, dont le manque de grave nous contrarie d’emblée au premier acte. La discrétion du bas registre nous fait en effet manquer plusieurs bribes de texte dans son récit de la guérison de Tristan / Tantris, tandis que ses notes aiguës s’épanouissent bien davantage. Très engagée scéniquement avec un visage le plus souvent très expressif – par exemple elle remue avec violence le corps inanimé de Tristan au III –, son Isolde se bonifie au fur et à mesure, pour terminer sur un Liebestod prenant.
La Brangäne de Kristina Stanek n’appelle en revanche que des éloges, voix qui semble disposer d’une puissance naturelle et qui projette sans effort, dans une splendide qualité de timbre. Elle amène, toute tremblante, le philtre d’amour à sa maîtresse, laissant le liquide déborder généreusement du verre, puis au II lance ses Appels à partir du premier rang de l’amphithéâtre, emplissant la salle d’un son riche et enveloppant. Le Roi Marke de Tareq Nazmi impressionne également, basse qui dispose d’un confortable creux dans le grave et qui fait passer dans son chant, ainsi que dans ses attitudes sur scène, toute la gamme de sentiments qui oscillent entre désespoir et colère. En Kurwenal, Audun Iversen fait entendre un vigoureux baryton, solidement timbré, un personnage d’une belle humanité auprès de son ami Tristan en début de III. Dans les rôles plus secondaires, Julien Henric (Melot), Emanuel Tomljenović (Un matelot, un berger) et Vladimir Kazakov (Un timonier) complètent avantageusement.
A la tête d’un Orchestre de la Suisse Romande en très bonne forme, ne seraient-ce certains cuivres aux fugaces caprices, Marc Albrecht assure une direction davantage lyrique que dramatique. Dès l’Ouverture, sa lecture s’attache en effet aux détails des bois et développe la délicatesse des cordes. Ces moments viendront contraster avec les habituels climax de la partition, mais sans jamais mettre en difficulté les solistes sur le plateau. On se surprend à sourire au début du II quand l’image paraît jurer avec le son : la partition est jouée avec lyrisme et vivacité, pendant que Isolde et Brangäne sont plantées dans un statisme qui les fait ressembler à des statues. Enfin, les choristes du Grand Théâtre de Genève font preuve de vaillance, en coulisses, lors de leurs épisodiques interventions.
Irma FOLETTI
Tristan und Isolde, opéra de Richard Wagner
Grand Théâtre de Genève, le 15 septembre 2024
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Direction musicale : Marc Albrecht
Mise en scène : Michael Thalheimer
Scénographie : Henrik Ahr
Costumes : Michaela Barth
Lumières : Stefan Bolliger
Dramaturgie : Luc Joosten
Distribution :
Tristan : Gwyn Hughes Jones
Isolde : Elisabet Strid
Le Roi Marke : Tareq Nazmi
Brangäne : Kristina Stanek
Kurwenal : Audun Iversen
Melot : Julien Henric
Un matelot, un berger : Emanuel Tomljenović
Un timonier : Vladimir Kazakov
Orchestre de la Suisse Romande
Chœur du Grand Théâtre de Genève
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